22/06/2018 reporterre.net  9 min #142776

Edf est un champion de l'énergie éolienne

EDF, dinosaure du nucléaire ? Sans doute. Mais le groupe électrique français est aussi un acteur majeur de la production d'énergie éolienne, le deuxième en France. Avec une activité intense à l'étranger aussi.

C'est une petite note issue de l'Observatoire de l'éolien en France, parue fin 2017 qui le rappelle : « 11 exploitants gèrent chacun plus de 300 MW de capacités éoliennes. Parmi eux, le groupe Engie est le premier exploitant éolien de France, avec plus de 1.335 MW gérés par ses filiales et participations (Engie Green, La Compagnie du vent,). EDF-Énergies nouvelles se classe deuxième avec 1.250 MW en France, suivi par EnergieTeam avec 588 MW. »

La présence sur ce podium de l'ancienne entreprise publique du gaz et, surtout, d'une filiale d'Électricité de France, pourrait laisser songeur. Longtemps, dans les milieux antinucléaires, on a voulu croire qu'EDF se positionnait comme l'un des principaux adversaires des énergies renouvelables, notamment de l'éolien. Dans son ouvrage l'État nucléaire (Albin Michel, 2014), Corinne Lepage, ancienne ministre de l'Environnement, mettait en évidence les réseaux d'influence déployés par le premier énergéticien français, toujours détenu à 83,5 % par l'État, pour assurer ses intérêts dans les différents cercles de décision.

« Inventer une organisation pour faire de l'éolien de manière industrielle »

Mais peut-on conclure qu'EDF avait intérêt à torpiller la filière éolienne en lui mettant des bâtons dans les roues ? Rien n'est moins sûr. Car EDF, à l'instar d'autres grands groupes mondiaux, comme le chinois Guodian ou l'états-unien General Electric, a su rendre complémentaires les énergies renouvelables avec les fossiles et le nucléaire.

Pour comprendre comment, il faut suivre l'histoire de ce qui est aujourd'hui EDF-Énergies nouvelles. L'arrivée de nouveaux directeurs, comme François Roussely en 1998 puis Pierre Gadonneix en 2004, conduisant le groupe à considérer avec de nouveaux égards l'intérêt des énergies renouvelables.

Le premier à en témoigner est Pâris Mouratoglou, considéré aujourd'hui comme  un « vétéran des énergies vertes ». Ce polytechnicien a créé en 1990 la Société internationale d'investissements financiers-énergies (Siif), et a lancé le développement de centrales hydroélectriques et thermiques avant de se repositionner en 1999 sur le créneau des énergies renouvelables solaire et éolienne. Au même moment, François Roussely, alors PDG d'EDF, faisait entrer EDF dans le capital de la Siif à hauteur de 35 % en 2000, puis de 50 % en 2002. L'enjeu : créer la branche des énergies renouvelables d'EDF.

« Il a fallu inventer une nouvelle organisation pour faire de l'éolien à grande échelle et de manière industrielle, explique Pâris Mouratoglou. Les petits parcs de production électrique n'étaient pas la priorité des grands groupes, plus pour des questions d'organisation que de compétence. » En 2004, un banquier d'affaires, David Corchia, ancien de la BNP et de JP Morgan, a rejoint Pâris Mouratoglou et la Siif est devenue EDF-Énergies nouvelles (EDF-EN).

Or, 2004, c'est justement l'année durant laquelle une bataille législative a été menée pied à pied sur la réglementation de l'éolien par certaines figures du lobby pronucléaire. Ainsi Patrick Ollier, alors député UMP des Hauts-de-Seine et président de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, tenta de faire barrage à l'éolien pendant les débats sur la loi d'orientation sur l'énergie : « Je veux qu'on réglemente pour éviter le développement anarchique [des éoliennes], car nous n'avons pas besoin d'un tel développement aujourd'hui en France »,  disait-il alors.

Pourtant, en coulisse, chez EDF, le discours était tout autre : « Bien sûr qu'il y avait des gens qui considéraient au début des années 2000 que faire de l'éolien n'était pas stratégique, mais pas parmi les dirigeants du groupe, soutient Pâris Mouratoglou. En réalité, on nous sermonnait presque parce que nous n'en faisions pas assez. » Plus qu'une bataille entre l'atome et les renouvelables, la période a surtout été l'occasion de voir comment financer le redéploiement du réseau électrique, via RTE et Enedis, toutes deux filiales d'EDF, et surtout trouver des nouvelles ressources pour financer les très coûteux projets de réacteurs nucléaires de nouvelle génération EPR.

L'éolien, pierre angulaire de EDF-EN en France

Avec le tandem Mouratoglou-Corchia, EDF-EN allait connaître un développement rapide en France mais surtout à l'international. « La France est le pays du cœur, elle a un bon gisement vu d'Europe mais beaucoup de pays ont des gisements bien meilleurs dans le monde », dit David Corchia, qui a passé cinq ans à la tête de l'entreprise avant qu'en 2008, EDF prenne le contrôle complet de sa filiale. Ce rachat, d'un montant estimé à 1,5 milliard d'euros, s'il a été validé par l'autorité des marchés financiers, a fait un peu tousser les parlementaires, qui soulignaient alors dans un rapport : « Il semble qu'EDF n'ait pas suffisamment anticipé le potentiel de développement des énergies renouvelables et qu'en conséquence, le groupe ait racheté EDF-EN à un prix élevé. » En outre, l'opération s'était effectuée via une holding au Luxembourg,  l'État n'y trouvant pas son compte.


L'« ensemble éolien catalan », dans les Pyrénées-Orientales.

David Corchia assure aujourd'hui que ce rachat était bien « une décision unilatérale d'EDF », les renouvelables étant devenues « extrêmement stratégiques pour le groupe ». Avec l'argent reçu, Mouratoglou et Corchia ont poursuivi leur aventure commune en fondant en 2012 le groupe EREN-RE. Aujourd'hui, c'est Total qui vient d'entrer dans leur capital : une alliance qui « n'est pas plus paradoxale que lorsque nous travaillions avec EDF, affirme Pâris Mouratoglou. Nous avons d'importants besoins en capital et avons tout intérêt à travailler avec un partenaire qui connaît bien les questions d'énergie et qui a une réelle stratégie de croissance dans l'électricité ».

Depuis 2008, le groupe EDF-EN était dirigé par Antoine Cahuzac (un ancien d'HSBC et frère de Jérôme Cahuzac, l'ancien ministre délégué au Budget du gouvernement Ayrault). Il a été remplacé le 16 avril dernier par Bruno Bensasson, venu de la direction générale d'Engie Afrique. Depuis la prise de contrôle total d'EDF, sa filiale EDF-EN a poursuivi son développement du solaire, de l'éolien terrestre comme offshore. Le groupe dispose d'une série de filiales à l'étranger sur quasiment tous les continents, désormais unifiées  sous le nom EDF-Renewable Energy. Dans ce panorama, la France ne représente que 15 % des activités, parmi lesquelles se prépare un grand « Plan solaire », visant à installer 30 GW de capacités solaires entre 2020 et 2035 sur le territoire.

Pour l'heure, c'est bien l'éolien qui représente la pierre angulaire du groupe en France, avec « un portefeuille de 1,45 GW en exploitation fin 2017, ce qui représente 10,5 % des capacités éoliennes installées dans le pays », précise EDF-EN [1]. Et ça ne s'arrête pas là puisque le groupe à des objectifs annuels de 150 à 200 MW supplémentaires, avec « un portefeuille de projets éolien de plus de 1.000 MW » en développement.

Au cœur de nombreuses polémiques

Avec une telle implantation dans l'éolien français, on retrouve forcément le groupe au cœur de nombreuses polémiques entourant l'implantation de parcs éoliens. Ainsi, les premières éoliennes du Lévezou, avec  le parc de Salles-Curan (Aveyron) qui souleva après sa construction un vent de fronde et contribua à l'unification des premiers collectifs d'opposants au début des années 2000 ? C'était eux. Le parc de Camarade, en Ariège, construit avec  l'accord prétendument écrit d'un propriétaire introuvable ? Encore Edf-EN. Plus récemment, un aigle royal, une espèce protégée, retrouvé mort au pied d'un mât éolien à Joncels, dans l'Hérault,  à l'automne 2017 ? Toujours EDF-EN. Et en janvier, qui appela les gendarmes et lança des plaintes (classées sans suite)  contre les manifestants anti-éoliens dans le sud de l'Aveyron ? La société Futuren, rachetée par EDF-EN six mois plus tôt.


Un technicien dans une éolienne.

Il pourrait bien s'agir d'une simple corrélation entre le nombre de parcs détenus et la multiplicité des controverses, mais peut-être aussi d'un effet plus structurel. Car de nombreux militants anti-éoliens, pour certains anciens militants écologistes dans les années 1970, font désormais le rapprochement entre les méthodes peu démocratiques employées par l'énergéticien pour faire accepter les parcs et celles utilisées il y a quarante ans lors de l'implantation des centrales nucléaires. Et dans les milieux mêmes de l'éolien, EDF-EN n'a pas forcément la meilleure réputation, comme nous l'ont confié plusieurs développeurs éoliens, sans que personne ne veuille se risquer à en témoigner, même anonymement.

Si elle ne communique pas outre mesure sur l'éolien terrestre, EDF-EN est également investie dans la filière éolienne offshore, avec une récente acquisition d'un projet de parc offshore en Écosse de 450 MW. Elle est aussi partie prenante dans trois projets d'éolien flottant (Saint-Nazaire, Courseulles-sur-Mer et Fécamp). Des projets qui tombent désormais sous le coup de l'article 34 du projet de loi pour « un État au service d'une société de confiance », qui conduit à remettre en cause les tarifs de rachat d'électricité très élevés accordés au moment de l'attribution des appels d'offres en 2011 et 2013. Véritable volonté de l'État de réduire la facture des renouvelables ou coup de billard à trois bandes entre multinationales concurrentes pour se redistribuer les lots, une chose est sûre, sur terre comme sur mer, avec de tels mastodontes économiques, l'éolien s'éloigne de plus en plus des préoccupations écologiques fondamentales.

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