07/07/2018 mondialisation.ca  13 min #143363

L'homme malade de ses sous-sols ignorés

J'ai rencontré dernièrement un certain nombre de personnes, y compris dans ma famille, avec lesquelles il m'a été possible d'échanger, mais aussi une autre catégorie de personnes devenue étrangement étanche à la pratique de l'échange, à la raison et au bon sens, et cela en invoquant justement ce même « bon sens et cette même raison », qui plus est « scientifique », usant et abusant au passage de l'argument confortable prétexte, devenu fourre-tout, du « complotisme » qui vous « cloue le bec », un peu à la manière de l'argument bélier de la « Shoah » qui vous accusait, pour un oui ou pour un non, « d'antisémitisme », si votre pensée s'avérait dissidente pour le discours ambiant de la pensée unique!

Lorsque vous demandez à ces personnes quelles études universitaires, spécialisées, elles ont lues pour se faire une opinion si radicale dans la négation de la réalité, elles vous répondent sans sourciller qu'elles n'ont lu aucune études sérieuses sur la réalité de la situation civilisationnelle, politique ou géopolitique, économique, culturelle, psycho-sociale actuelle...etc, car « toutes les publications existantes sur ces questions sont assurées par des charlatans qu'il est impossible de prendre au sérieux »!

On se demande alors aussitôt, quelles sont les publications, informations qui ne sont pas proposées par des « charlatans »?! Quels critères permettent de savoir qui est charlatan et qui ne l'est pas, surtout si l'on n'a pas lu les publications accusées d'être a priori le produit du charlatanisme!

Ces personnes vous répondent avec assurance, pour ne pas dire avec arrogance: « le principe de réalité »! Exemple : de vrais spécialistes écrivent des livres documentés et sérieux sur le nucléaire, démontrant qu'il faut impérativement abandonner le nucléaire trop dangereux pour l'homme et la nature tout entière! Le principe dit « de réalité » démontre qu'il est impossible de se passer du nucléaire ! IMPOSSIBLE sur tous les plans! Les spécialistes ont beau être compétents et sérieux dans ce qu'ils disent sur ce sujet pris en exemple, en « réalité », il s'avère que cette voie d'un abandon du nucléaire n'est ni réaliste, ni envisageable, ni même tout simplement dans l'ordre du possible... C'est pourquoi, ce ne sont « en réalité » que des « charlatans » qui parlent pour ne rien dire! Bref, nous sommes faits comme des rats et il est impossible d'échapper désormais au piège que nous avons créé en nous engageant dans le nucléaire. Autrement dit, il est trop tard. Personne ne peut plus revenir en arrière et changer la situation. Nous allons vers notre extermination obligatoire et irréversible. Ce raisonnement est valable dans toutes les autres directions. Rien ne peut plus changer la donne! De là vient ensuite l'affirmation suivante : « on ne peut pas vivre constamment dans le complotisme!» Sous-entendu : « tous ceux qui ne partagent pas ce point de vue 'éclairé' sont les accusateurs permanents du système, qui est ce qu'il est, mais que l'on ne peut pas critiquer sans arrêt étant donné qu'il est notre seule réalité indiscutable actuelle! »

En d'autres termes, on pourrait dire : « Capitaine, j'observe que nous allons droit sur des icebergs devant nous et que cette collision va nous couler! Taisez-vous complotiste, fermez-la, car je sais parfaitement que nous allons droit sur ces récifs et que nous allons tous mourir noyés, mais c'est cela la réalité qu'il est inutile de dénoncer! »

Conclusion : un « complotiste » c'est donc quelqu'un qui voit vraiment le problème en face, qui le décrit, qui le dénonce, qui en est parfaitement conscient, qui donne l'alerte, mais qui vient troubler la morne indolence des handicapés de la vie du sous-sol mental, devenant dérangeant pour ceux qui désirent mourir tranquillement dans le silence de l'inconscience scellée sur elle-même et heureuse d'avoir les yeux bandés pour arriver sans peur la tête la première sur le mur de béton qui approche à grande vitesse! Le « complotiste » est quelqu'un qui, par ses analyses, génère de l'angoisse. En réalité c'est quelqu'un qui descend dans le sous-sol mental des personnes et qui leur montre tout ce qui s'y passe, du moins ce qui a été soigneusement refoulé parce que générateur d'angoisse et problème nié comme problème.

Pourquoi la personne qui a exploré son sous-sol mental n'a-t-elle pas peur de vivre en pleine conscience ? Parce qu'elle a la connaissance de ce qui était auparavant son refoulé, sa vie inconsciente, devenue consciente ; parce qu'elle a intégré ce contenu qui auparavant était la cause de son angoisse, de ses peurs, de ses fragilités psychiques!

Ceux qui font la guerre aux personnes qu'ils adorent nommer « complotistes », sont bel et bien des angoissés qui s'ignorent comme tels, des handicapés de la vie du sous-sol mental, du fait de leur ignorance des contenus de ce sous-sol, faute de ne l'avoir pas exploré en prenant les moyens nécessaires pour cela...

Se référer à autre chose que la vie purement « consciente », « rationnelle », de la « réalité », échappe à tout contrôle et constitue donc une prise de position « complotiste », puisque se référer à autre chose que la pure « réalité », c'est condamner la « réalité » à ne pas être la vérité de la pensée officielle, la seule manière « réaliste » de voir les choses, la cause de laquelle personne ne peut se désolidariser en osant penser autrement! Le sous-sol mental n'a pas le droit d'exister dans la société judéo-chrétienne qui se dit aujourd'hui « scientifique », car la vie du sous-sol mental échappe aux critères scientifiques du contrôle rationnel par la connaissance dite « cartésienne » de la réalité. L'intelligence rationnelle est mathématique mais surtout pas émotionnelle. Or, l'essentiel de l'intelligence chez l'homme est justement lié à « l'intelligence émotionnelle » alors que « l'intelligence rationnelle » est secondaire au regard de son intelligence émotionnelle. Toute la vie du sous-sol mental est la base d'une intelligence émotionnelle développée. Ignorer son sous-sol mental équivaut à dire, vivre une mutilation de ses potentialités majeures! On peut dire alors qu'une grande partie de l'humanité, refusant ce regard sur l'intériorité, est piégée comme un rat.

Dostoïevski disait (Fédor Dostoievski, Les carnets du sous-sol, traduit par André Markowicz, Arles, Actes Sud, « Babel », 1992.)que le rat symbolisait les entrailles de l'homme et sa vie souterraine. Les profondeurs de l'âme et sa puissance réflexive qui a été mise en avant en Occident, sont le lieu de la conscience de soi, mais aussi celui de l'animal malade de ses sous-sols, la métaphore du sous-sol désignant aussi bien l'animalité refoulée de l'humanité, le minotaure du labyrinthe intérieur, que le ressentiment sans cesse ressassé dans la vie consciente.

L'homme s'explique par sa vie souterraine et il faut reconnaître que les profondeurs de l'âme humaine sont souvent ignorées au profit d'une valorisation de l'esprit pleinement maître de ses capacités dites « intellectuelles ». Le rat, symbolise donc cette vie du sous-sol mental que l'on préfère ignorer. Les réactions défensives des personnes révèlent cette lutte en sous-sol, entre les instincts, les affects, le refoulé. La pensée consciente se croyant raisonnable et réaliste, alors qu'elle est objectivement trop ignorante, ne peut pas traduire avec honnêteté une foule de processus qui restent inconnus tant qu'ils n'ont pas été explorés réellement et courageusement ! Les réactions défensives utilisant prioritairement les accusations, jugements, condamnations, critiques faciles, symbolisent les arrière-pensées, ce qui se joue derrière le masque humain, chargé d'occulter le numineux de son mythe intérieur, son ombre, le Double de lui-même qu'il s'acharne à cacher avec plus ou moins de réussite et avec beaucoup d'hypocrisie ontologique.

Si le rat symbolise si bien l'animal qui s'agite derrière toute pensée et derrière le visage civilisé de la bien-pensance, c'est parce qu'il est l'animal vermine par excellence : vecteur de la peste ou globalement des maladies, il s'immisce partout et prolifère en contaminant son environnement si on ne procède pas rapidement à une dératisation.

Ce diagnostic opéré par Nietzsche comme par Dostoïevski, dépeint l'homme torturé par son intériorité. Voilà le malheur des hommes : ils se sont réfugiés dans le mirage « scientifique » en faisant de ce qui était un échappatoire à l'enfermement religieux, une nouvelle Église avec un nouveau dogme, auquel ils ont sacrifié tout l'aspect « irrationnel » de l'intériorité humaine ignorée, ne comprenant plus que c'était l'expérience subjective par excellence qui apportait la connaissance la plus objective qui soit à l'intelligence rationnelle de l'homme...

L'homme malade de ses sous-sols par la prédominance du « cartésien » en lui, ne peut se soigner que par lui-même. On ne dératise pas le sous-sol mental, on l'explore et on l'apprivoise, pour l'intégrer à la vie consciente.

Dans Les carnets de sous-sols, Dostoïevski dit que l'homme qui a perdu son adaptation à la nature par la priorité donnée à sa pensée réflexive, est incapable d'affirmation spontanée dans l'action ; il rumine ses défaites et ses humiliations. (Dostoievski, op. cit., pp. 19-20.)

Dans la Généalogie de la morale, Nietzsche ironise sur « les petits agneaux qui, contemplant le vol fier et menaçant des rapaces, leur reprochent d'imposer leur force : reproche-t-on à ce qui est d'exprimer cet être? », demande le philosophe.

« Exiger de la force qu'elle ne se manifeste pas comme force, qu'elle ne soit pas volonté de domination, volonté de terrasser, volonté de maîtrise, soif d'ennemis, de résistances et de triomphes, c'est tout aussi absurde que d'exiger de la faiblesse qu'elle se manifeste comme force. » (Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, Premier traité, |13, traduction d'Eric Blondel et alii., Paris, GF, 1996, p. 56.)

Descendre dans les sous-sols, c'est assurément découvrir le rat qui se cache derrière l'homme : « un nid à rats d'arrière-pensées », aurait pu écrire Nietzsche ! L'homme qui refuse le réel au nom de la « réalité », n'est pas seulement l'agneau de la Généalogie de la morale, car il n'est ni doux, ni innocent ; c'est, en effet, un rat qui répète sans cesse le même discours rassurant, parce qu'il ne veut pas reconnaître la possibilité de son ignorance, de sa mesquinerie et de sa lâcheté.

Les sous-sols plus profonds correspondent aux pensées infra-conscientes.

Pour Nietzsche il s'agit de révéler l'amoralité de la pensée infra-consciente, de regarder la bête en face, quitte à voir un rat à la place d'un homme. « Les pensées sont signesd'un jeu et d'un combat des affects : elles restent toujours liées à leurs racines cachées. » (La pensée du sous-sol : Nietzsche, FP XII, I [75].)

Nietzsche avait raison : les découvertes récentes en neurosciences ont confirmé le point de vue du philosophe. Une pléiade de phénomènes mentaux relève, en effet, de l'inconscient. La démonstration a été faite de la capacité du traitement sémantique de la pensée inconsciente... La civilisation qui est la nôtre, oblige à refouler la vie inconsciente car ce qui se passe dans le sous-sol mental révèle la source affective et pulsionnelle de la pensée sémantique.

Le rat nietzschéen n'est pas que le rat dostoïevskien, qui essaie de cacher sa mesquinerie et sa lâcheté sous des motifs nobles et civilisés, « scientifiques » ou « rationnels ». C'est un être qui nie furieusement l'inconscient et qui a la volonté de s'ériger en « norme dans la normalité » au nom d'une conscience rationnelle dominante.

« Mais pourquoi écoutes-tu le langage que te tient ta conscience ? Et dans quelle mesure as-tu le droit de considérer un tel jugement comme vrai et infaillible ? Pour cette croyance- n'y a-t-il plus là de conscience ? N'as-tu pas la moindre idée d'une conscience en matière intellectuelle ? D'une conscience derrière ta « conscience » ? Ton jugement « voici qui est juste » a une préhistoire dans tes pulsions, inclinations, aversions, expériences et non-expériences ; « commentest-il apparu ? » dois-tu te demander, et ensuite : « qu'est-cequi véritablement me pousse à y prêter l'oreille ? » (Nietzsche, Le Gai savoir, Quatrième livre, |335, Paris, GF, 2007, p. 270.)

La vie souterraine se révèle donc, chez Nietzsche, comme lutte interprétative d'instincts nombreux et inconscients dans les sous-sols du corps qui est lui-même le sous-sol de l'esprit. Le rat sommeille bien. « L'homme est un nid à rats, qui grouillent et luttent en sous-sol. »

La parole la plus infime n'est pas exempte d'arrière-pensées. Ces arrière-pensées ne relèvent pas seulement de l'égotique qui s'impose au cosmocentrique, du Moi qui s'impose au Soi...

Dans « Malaise dans la civilisation », Freud constate que s'humaniser implique des frustrations, car la civilisation demande de réprimer ses pulsions et il est évident que les rejeter hors de soi devient vite un moyen privilégié de les contrôler. Mais à ce moment là, ces pulsions simplement réprimées sont en réalité toujours présentes, dans l'ombre et continuent d'agir même à l'insu des personnes. L'esprit est malade à cause des contraintes et parce qu'on lui fait croire qu'il est une conscience morale en soi. Les instincts, selon Nietzsche, deviennent contraires à la bonne santé et s'exercent par habitude mortifère.

Les évangiles canoniques fidèles à la représentation du christianisme paulinien que nous connaissons, répètent sans arrêt que « si mon œil me conduit à faire le mal, je dois l'arracher ». « Si ma main me conduit à faire le mal, je dois la couper. » « Si ma sexualité me pousse à des pulsions coupables, je dois la castrer ! »... etc.

L'Église combattait la passion par l'excision: sa pratique, son « traitement », c'était la castration. Jamais elle ne s'est demandée, dans la perspective de ce christianisme de Paul de Tarse, le christianisme que nous connaissons tous: « comment spiritualiser, embellir, diviniser, le désir ? » Le créateur du christianisme paulinien que nous connaissons a insisté, dans ses écrits, (dans ses épîtres), dans sa discipline, sur l'extirpation de la sensualité, l'éradication de l'ego, la négation des instincts... Or attaquer les passions à la racine, c'était s'attaquer à la vie dans ses racines naturelles : la pratique de l'Église était, dès l'origine, hostile à la vie...» (Nietzsche, Le crépuscule des idoles, « La morale comme manifestation contre nature », I, Traduction Eric Blondel, Paris, Hatier, 2011)

Voilà qui explique bien des choses : la conscience réflexive rationnelle étant la création d'un type décadent de l'humanité, en d'autres termes, l'invention du Christianisme paulinien que nous connaissons, les individus ont malgré eux, malgré les révolutions et les Lumières, été façonnés par cette culture de la pensée hégémonique et finalement totalitaire. (Cf., Nietzsche, Par-delà bien et mal, |23, page 71-72.Nietzsche,Généalogie de la morale, Premier traité, |13, traduction d'Eric Blondelet alii., Paris, GF, 1996, p. 56.)

Face à la déstabilisation opérée par l'analyse explorant le sous-sol mental de l'humanité, une majorité de personnes se défend aujourd'hui en brandissant l'accusation de « complotisme » qu'il faut donc comprendre comme le refus de se soigner de son ignorance sur l'essentiel : soi-même! « Celui qui ne se connaît pas lui-même ne connaît rien », disaient selon l'expérience et avec raison les thérapeutes de Maréotis. Si l'homme est malade de ses sous-sols ignorés, il devient prisonnier d'une vision purement « factuelle », de l'ici et du maintenant de la pensée réflexive qu'il nomme « la réalité » comme une sorte « d'exclusivité » en dehors de laquelle rien ne peut tenir ! Voilà pourquoi il traitera de « charlatan » tout esprit qui regardera au-delà de cet horizon fini, limité à la rationalité ou pensée réflexive, en l'appelant couramment « complotiste », par paresse intellectuelle et par lâcheté !

Jean-Yves Jézéquel

Le dimanche 24 juin 2018

La source originale de cet article est Mondialisation.ca
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