11/07/2018 tlaxcala-int.org  14 min #143546

Le bluff pétrolier de Trump contre l'Iran vient des décennies trop tard

 Dan Glazebrook

Trump utilise tout ce qu'il peut pour mener une guerre économique contre l'Iran. Son problème est que « tout ce qu'il peut » est loin d'être suffisant, car le monopole virtuel des USA s'est évaporé depuis longtemps.

La semaine dernière, un haut fonctionnaire du département d'État a  annoncé l'intention des USA de réduire les exportations pétrolières iraniennes « à zéro » d'ici le 4 novembre de cette année, en menaçant d'imposer des sanctions à toute entreprise dont les activités commerciales avec l'Iran se poursuivraient au-delà de cette date.

Jusqu'à présent, les experts  avaient prédit que les sanctions US entraîneraient une réduction d'environ 500 000 barils par jour (b/j) d'ici la fin de l'année, soit à peine un cinquième des 2,4 millions de b/j que le pays exporte actuellement. Même les sanctions qui ont précédé l'accord nucléaire de 2015 qui, contrairement à l'effort unilatéral d'aujourd'hui, étaient soutenues par une large alliance de puissances mondiales, dont la Russie et la Chine n'ont réussi à soustraire du marché que la moitié du pétrole iranien.

Cette détermination à détruire l'Iran par tous les moyens possibles a été la marque de la politique étrangère de l'administration Trump depuis le début. Presque tous les membres de son équipe ruminaient de longue date une vendetta contre la République islamique. Ce qui est nouveau avec Trump, cependant, n'est pas cette détermination en tant que telle n'oublions pas que l'Iran figure sur la liste du Pentagone des pays à faire tomber depuis au moins 2001 que le moyen utilisé pour assurer son succès.

Comme  je l'ai suggéré en 2014, l'accord nucléaire n'était pas, de la part de l'Occident, un véritable rapprochement, mais plutôt un programme à long terme d'infiltration occidentale basé sur le « modèle libyen », qui visait à construire une cinquième colonne pro-impérialiste au sein de l'État iranien afin de préparer le terrain pour un futur « changement de régime ». Mais l'équipe Trump, bien sûr, n'a aucune patience et veut simplement aller droit au but.

La raison de cette obsession anti-iranienne partagée par toutes les factions de la classe dirigeante occidentale, malgré les différences de leurs stratégies est évidente : l'existence même de l'Iran en tant qu'État indépendant menace le contrôle impérial de la région et par extension, la puissance militaire US et le rôle mondial du dollar. Et à mesure du développement de la coopération Sud-Sud, cette menace s'accroît de jour en jour, tandis que les moyens de la réduire s'amenuisent d'autant.

Dans le même temps, l'encerclement militaire US de la Chine - entamé par Obama avec son « pivot vers l'Asie », mais qui, comme tant d'autres choses, connaît une escalade majeure sous Trump - est intimement lié à une politique d'endiguement de la Chine, qu'il s'agit de couper de ses fournisseurs. En ce sens, la « politique d'isolement » de l'Iran vise également à isoler la Chine, le  plus grand marché pour le brut iranien.

La politique de Trump, cependant, n'est pas très vendeuse. Pepe Escobar a  détaillé la réponse probable de chacun des principaux clients de l'Iran aux plans de Trump : « L'Inde achètera du pétrole iranien avec des roupies. La Chine sera également indifférente aux oukases de l'administration Trump. Sinopec, par exemple, a grandement  besoin de pétrole iranien pour ses nouvelles raffineries dans diverses provinces chinoises, et n'arrêtera pas d'en acheter. Le ministre turc de l'économie Nihat Zeybekci a été clair : « Les décisions prises par les USA sur cette question ne sont pas contraignantes pour nous ». Il a ajouté, « Nous ne reconnaissons pas d'autres intérêts que les nôtres. » L'Iran est le  premier fournisseur de pétrole de la Turquie, avec près de 50 % des importations totales. La Russie ne reviendra pas sur  son intention d'investir 50 milliards de dollars dans l'infrastructure énergétique de l'Iran. Et l' Irak n'abandonnera pas sa coopération énergétique stratégique avec l'Iran. Bagdad envoie du pétrole de Kirkouk à une raffinerie à Kermanshah en Iran et reçoit en retour du pétrole raffiné iranien pour le sud de l'Irak ».

Les tentatives de Trump pour convaincre le reste du monde de se tirer des balles dans le pied pour lui complaire sont donc vouées à tomber dans l'oreille de sourds. C'est sous cet angle qu'il faut voir la guerre commerciale mondiale de Trump.

Le 5 juillet à minuit, des tarifs douaniers US sur une valeur de 34 milliards de dollars d'importations chinoises sont entrés en vigueur, à un taux de 25 %. Trump a déclaré aux journalistes que des tarifs douaniers d'une valeur supplémentaire de 16 milliards de dollars allaient probablement suivre dans deux semaines, tenant ainsi sa promesse faite en avril d'imposer des taxes douanières sur 1300 produits, pour un total de 50 milliards de dollars par an. Le total final, cependant, a-t-il ajouté, pourrait finalement atteindre 550 milliards de dollars - un chiffre dont Industry Week  note qu'il dépasse le volume total des exportations chinoises vers les USA de 2017. Ces tarifs douaniers spécifiques à la Chine suivent les tarifs douaniers sur les importations d'acier (25 %) et d'aluminium (10 %) imposés à l'UE, au Mexique et au Canada quatre jours plus tôt.

Selon  Fox Business, le Canada risque de perdre environ 2 milliards de dollars par an en raison de ces tarifs douaniers ; pour leur part, le Brésil, la Russie, la Chine et la Corée du Sud peuvent perdre chacun au moins 500 millions de dollars par année.

Mais c'en est peut être précisément la raison : non seulement « ramener des emplois aux USA », mais aussi créer de nouvelles formes de chantage à utiliser contre les rivaux et alliés (et y a-t-il une différence entre les deux, de toutes façons, de nos jours ?). Jusqu'à présent, comme nous le savons, Trump a refusé d'accorder des dérogations à ses alliés. Mais avec Trump, rien ne dure pour toujours - tout est négociable, à imposer ou à marchander selon les besoins. Il se pourrait donc que des dérogations soient offertes aux pays qui parviendraient à se passer de pétrole iranien avant la date limite de novembre. Mais, même si ce n'est pas le cas, sa volonté même d'utiliser le commerce comme une arme aussi ouvertement et impudemment signale qu'il pourrait y avoir des punitions supplémentaires prévues pour ceux qui ne s'alignent pas sur sa politique d'étranglement de l'Iran. Après tout, comme l'a souligné Louis Kuijs, économiste en chef à Oxford Economics, cette « nouvelle ère » ne fait que commencer : « Il est clair que les premières salves ont été échangées, »  a-t-il écrit. « Et en ce sens, la guerre commerciale a commencé. Il n'y a pas de fin en vue. »

Néanmoins, Trump aboie mais ne mord peut-être pas tant que ça. D'une part, les  contre-mesures des Chinois un tarif douanier de 25 % sur 50 milliards de dollars de marchandises US frapperont durement les USA. Un exemple : un des produits soumis aux nouveaux tarifs chinois est le soja. La Chine est le plus grand marché pour tout le soja cultivé aux USA.  Grant Kimberley, un producteur US de soja de l'Iowa Soybean Association, estime que ce tarif douanier, à lui seul, pourrait entraîner une baisse de 70% des exportations.

Et, même en dehors des contre-mesures chinoises, les tarifs imposés par les USA sont susceptibles de faire plus de mal aux USA qu'à la Chine. Un rapport sur la NPR suggère que « pour l'instant, les coups risquent d'atterrir plus durement sur des entreprises non chinoises comme Snow Joe/Sun Joe, basé au New Jersey », qui, comme beaucoup d'autres entreprises US, dépend d'importations chinoises pour des parties cruciales de sa chaîne d'approvisionnement.

Pour la Chine, cependant, l'impact sera probablement - selon les termes d'Ethan Harris, responsable de la recherche économique à la Bank of America Merrill Lynch  « assez faible ». James Boughton, chercheur au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale à Waterloo, en Ontario,  a expliqué : « La dynamique est différente de tout ce que nous avions vu jusqu'ici. La Chine a aujourd'hui la capacité de surmonter ce genre de pression, de résister à la tempête, ce que beaucoup de pays n'avaient pas dans le passé. »

Ainsi, l'idée selon laquelle la guerre commerciale exercera une pression sur la Chine (et d'autres) pour qu'elle se débarrasse de l'Iran semble en fin de compte fantaisiste. Le processus de « déconnexion » est déjà trop avancé. La Chine est le plus grand partenaire commercial de l'Iran et - avec des tarifs douaniers chinois sur le pétrole US en préparation - elle est plus susceptible d'augmenter les importations de pétrole iranien pour remplacer celui qui ne vient plus des USA que l'inverse. L'Iran vend déjà son pétrole à la Chine en yuans et non en dollars US, ce qui signifie que l'ensemble du système financier contrôlé par les USA est complètement contourné pour le commerce bilatéral de ces pays, et donc en dehors du contrôle des sanctions financières imposées par les USA. Pour ce qui est de l'avenir, l'Iran est prêt à jouer un rôle crucial dans le développement de la méga-nouvelle Route de la soie chinoise, avec un chemin de fer à grande vitesse qui ouvrira un accès maritime à l'Asie centrale enclavée. Et avec le projet d'investissement du géant pétrolier français Total dans l'énorme champ pétrolier de South Pars en péril, le contrat devrait passer à une compagnie pétrolière chinoise.

Actuellement, moins de 20 % des exportations chinoises partent vers les USA, et près de la moitié vont ailleurs en Asie. Selon le World Factbook de la CIA, les exportations chinoises représentent au total un peu moins de 20 % du PIB. Si nous faisons le calcul, 20% d'exportations vers les USA sur 20% d'exportations au total, signifient que seulement 4% du PIB chinois provient des exportations vers les USA. Ce n'est pas rien, mais ce n'est pas, et de loin, le pistolet sur la tempe que Trump semble imaginer.

L'époque où la perte de l'accès au marché US envoyait des pays comme la Chine aux oubliettes de l'économie est révolue depuis longtemps. L'avenir réside maintenant dans la coopération Sud-Sud, précisément dans de nouveaux projets de développement comme l'Initiative Belt and Road, qui s'élève à plusieurs milliards de dollars. Le gouvernement US le comprend, et ses tentatives de sabotage simultané de la Chine et de l'Iran sont des tentatives désespérées pour empêcher l'inévitable - le progrès du nouveau multilatéralisme et une économie mondiale dans laquelle les USA deviennent de plus en plus périphériques. Mais en vérité, cet effort est déjà trop tardif.

Courtesy of  Entelekheia
Source:  on.rt.com
Publication date of original article: 09/07/2018

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