22/07/2018 les-crises.fr  14 min #143946

Les sanctions et les droits de douane créent méfiance et hostilité, par Brian Cloughley

Source :  Strategic Culture, Brian Coughley, 08-06-2018

Les États-Unis ont atteint un nouveau plancher en terme de relations internationales. Non seulement le président Trump tweete et, sinon, se fend de commentaires insultants sur des dirigeants («  Little Rocket Man ») (petit homme-fusée, NdT) et diverses nations («  pays de m**** »), mais il fait tout son possible pour s'aliéner amis et alliés en imposant des droits de douane sur certaines de leurs exportations. Cela s'ajoute aux sanctions qu'il impose à des pays comme la Russie, le Venezuela et l'Iran, qu'il considère, avec ses collègues de Washington, comme des ennemis.

Les États-Unis se trouvent dans la position délicate d'essayer de punir la Russie tout en punissant simultanément les nations européennes dont il espérait qu'elles aideraient à faire respecter les sanctions économiques contre la Russie.

Trump n'a aucun sens de l'humour, donc il ne saisirait pas l'absurdité et le comique involontaire du commentaire de son secrétaire au Trésor, Steve Mnuchin,  lorsqu'il a dit, pour justifier des sanctions que « le gouvernement russe opère pour le bénéfice disproportionné des oligarques et des élites gouvernementales » - parce que c'est exactement ce que l'administration Trump fait pour les huiles incroyablement riches de l'establishment américain.

Pour commencer, le vertueux moraliste Mnuchin est un peu une sorte d'oligarque lui-même.  Comme le rapporte le magazine new-yorkais Fortune, « les avoirs nets de Mnuchin pourraient s'élever à 500 millions de dollars - auxquels il a récemment rajouté un revenu de près de 70 millions de dollars... Les premières révélations de Mnuchin ont montré qu'il possédait des actifs pour près de 400 millions de dollars, mais juste avant son audience de confirmation le 19 janvier [2018], il a ensuite divulgué des biens immobiliers supplémentaires évalués à près de 100 millions de dollars, que son avocat, a-t-il dit, avait omis par erreur dans le premier document ». (Comme c'est gênant qu'il puisse occulter temporairement des actifs d'une valeur de cent millions de dollars).

En ce qui concerne les droits de douane imposés aux pays européens, Mnuchin  a déclaré « nous n'avons pas peur [d'une guerre commerciale]... Cette administration va faire en sorte que nous soyons traités de manière équitable », ce à quoi les Français à l'inflexibilité arrogante ont répondu que « nous attendons que les États-Unis fassent preuve de bonne volonté envers l'Europe » et les Allemands ont insisté sur le fait que « nous devons nous assurer que le protectionnisme ne devienne pas la force dominante dans le monde ».

S'il est comique d'entendre M. Mnuchin prêcher contre l'élitisme, la question générale des sanctions est loin d'être amusante, car elles viennent s'imbriquer avec la désordre des tarifs douaniers à un degré tel qu'elles sont susceptibles de toucher le monde entier. Une complication majeure est le « Countering America's Adversaries Through Sanctions Act », qui impose des sanctions supplémentaires aux pays qui font des affaires avec la Russie. Selon  le département du Trésor de M. Mnuchin, la loi « impose, entre autres, de nouvelles sanctions à l'Iran, la Russie et la Corée du Nord » - mais elle touche également de nombreux autres pays. Par exemple, l'Inde.

L'Inde est un ami des États-Unis, bien qu'il n'y ait pas d'alliance militaire formelle et malgré le fait que la Russie est depuis des décennies son principal fournisseur d'équipements de défense de pointe. Les États-Unis ont l'intention de devenir le principal fournisseur d'équipements militaires de l'Inde et,  selon le Stockholm International Peace Research Institute, « les États-Unis augmentent rapidement leurs ventes d'armes à l'Inde, ils sont devenus au cours des cinq dernières années leur deuxième fournisseur en importance avec 15 % de leurs importations d'armes ».

Toutefois l'Inde  a conclu un accord pour acheter à la Russie des « systèmes de missiles sol-air à longue portée S-400, susceptibles de changer la donne selon l'armée indienne grâce à leur capacité à contrer les missiles balistiques et les avions furtifs ». Il est évident que le S-400 a le potentiel de modifier de nombreuses situations dans le monde, et les Israéliens, par exemple, sont terrifiés à l'idée que la Syrie puisse l'acquérir car aucun avion israélien qui risquerait une aile dans l'espace aérien syrien n'en réchapperait alors qu'il le viole actuellement avec une totale impunité soutenue par les États-Unis.

Mais les règles du jeu des sanctions auxquelles se livrent les États-Unis exigent que l'Inde ne signe pas l'accord de S-400 de 5,8 milliards de dollars avec la Russie. Le 28 mai, le président de la Commission des services armés du Congrès américain, Mac Thornberry,  a déclaré : « Le système S-400 suscite beaucoup d'inquiétude aux États-Unis, tant au sein de l'administration qu'au Congrès. Nous craignons qu'un pays, et pas seulement l'Inde, qui acquerrait ce système ne complique notre capacité à travailler ensemble vers l'interopérabilité ».

Alors, que doit faire l'Inde ? Le magazine The Diplomat  a rapporté le 30 mai que « un haut fonctionnaire du gouvernement indien » a déclaré que « les négociations pour l'accord sur les missiles avaient été conclues. La composante financière a été finalisée », et il a noté que l'accord sera probablement annoncé lorsque le Premier ministre Narendra Modi et le Président Vladimir Poutine se rencontreront dans quelques mois.

L'Inde s'affirmera-t-elle et dira-t-elle aux États-Unis que comment et avec qui l'Inde fait des affaires ne la concerne pas ? Ou va-t-elle céder à la pression de Washington et refuser d'accepter cinq batteries du système de missiles de défense aérienne le plus efficace au monde, pour au final avoir l'air faible et stupide ? Cela arrangerait les oligarques de Washington qui préféreraient que l'Inde achète le système de missiles Patriot de Raytheon. (La veille de l'entrée de Trump à la Maison-Blanche, le 20 janvier 2017, les actions de Raytheon  cotaient 146 $ et le 4 juin 2018  elles avaient bondi à 202 $. Allez savoir pourquoi.)

Et puisque nous dissertons sur le fait d'avoir l'air stupide, il y a le traitement réservé par Trump pour ses partenaires européens que le Pentagone est impatient d'enrôler dans ses préparatifs de guerre contre la Russie. Mais il ne semble pas important pour Trump et le Washington marchand que le fait d'imposer à des alliés de tarifs douaniers sauvages rendra l'establishment américain impopulaire auprès des gens dont l'aide est extrêmement importante dans tellement de domaines des affaires internationales.

Il serait difficile faire mieux que Heather Long et Steven Mufson du Washington Post pour décrire la pagaille causée par les droits de douane européens.  Ils écrivaient le 2 juin que « le Président Trump semble prêt à défaire 70 ans d'efforts laborieux menés par les États-Unis pour construire un système international de commerce basé sur des règles et des principes mutuellement acceptés ».

Lors d'une réunion du groupe des nations du G-7 le 2 juin, on a assisté à un «  rare spectacle de division au sein du club normalement harmonieux des nations riches » lorsque « les six autres pays membres du G7 ont publié une déclaration demandant au secrétaire américain au Trésor Steven Mnuchin de faire part au président Donald Trump de leur "préoccupation et de leur déception unanimes" au sujet des tarifs douaniers ».

En fait, il ne s'agissait pas du tout de « division » mais d'unanimité - c'était l'harmonie et l'unisson contre une administration outrecuidante qui agit entièrement pour le « bénéfice disproportionné des oligarques et des élites gouvernementales » à Washington.

Et pour la gouverne de Trump, qui ne connaît rien à la diplomatie, les mots « préoccupation et déception » sont des termes diplomatiques pour parler d'indignation et de fureur, ce qui est le sentiment en Allemagne à la suite de la sortie extraordinaire de l'ambassadeur américain nouvellement nommé, Richard Grenell, qui  a dit à Breitbart News le 3 juin que « Il y a beaucoup de conservateurs dans toute l'Europe qui m'ont contacté pour me dire qu'ils avaient le sentiment qu'il y avait un regain [de la droite, NdT]. Je veux absolument soutenir d'autres conservateurs partout en Europe, d'autres dirigeants. Je pense qu'il y a une vague de politiques conservatrices qui s'implantent en raison de l'échec des politiques de gauche ». Sa déclaration était directement dirigée contre l'actuel gouvernement allemand, et Breitbart  a clairement indiqué que « le bras droit de Trump en Europe veut donner plus de pouvoir aux conservateurs européens anti-establishment ».

Les États-Unis associent les sanctions et les droits de douane dans un mélange destructeur de mépris arrogant et d'excès de confiance économique, et l'UE devrait tenir compte de  l'avertissement du président Poutine selon lequel « Plus il y a de problèmes au cœur de l'UE, plus il y a de risques et de problèmes pour nous. Nous devons construire une coopération avec l'UE. Nous n'avons pas pour objectif de diviser quoi que ce soit ou qui que ce soit dans l'UE ».

Ce serait une très bonne chose si l'Union européenne (oublions la Grande-Bretagne) réévaluait ses priorités et regardait vers l'Est au lieu de se plier à la volonté d'un adversaire exigeant et inflexible de l'autre côté de l'Atlantique. La prospérité est à l'horizon, et tout ce qu'il faudra pour assurer son arrivée, c'est une coopération économique entre l'UE et la Russie.

Source :  Strategic Culture, Brian Coughley, 08-06-2018

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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