15/08/2018 histoireetsociete.wordpress.com  7 min #144633

Quartier d'été 8. 1818-2018 : Marx en Russie, par Boyer Jakline

Cet intéressant article qui rectifie bien des campagnes anti-marxistes, que l'inculture autorise, me permet également de vous recommander le blog de Jakline, Bordeaux-Moscou (note de Danielle Bleitrach) :

 bordeaux-moscou.over-blog.com

Publié le 15 août 2018 par Boyer Jakline

Bicentenaire de la naissance de Karl Marx oblige, les évocations du philosophe révolutionnaire ont été nombreuses partout dans le monde.

Toutes n'ont pas été fidèles à sa pensée, loin de là.

Mais sans aucun doute, la Russie actuelle s'est distinguée dans la noirceur. Il faut dire que le marxisme-léninisme soviétique est passé par là, période où le moindre chef de service avait dans son bureau un portait de Marx. Les élites très libérales au pouvoir actuellement le vomissent. (Dont certains, nombreux, ont commencé leur carrière politique dans un bureau avec le portrait de Marx.)

Au point que le 4 mai dernier, un journaliste, Andréiev, dans la très officielle Rossiiskaya gazeta, quotidien du gouvernement, a écrit un torchon. Des lecteurs s'en sont émus et ont demandé au journal Sovietskaya Rossya de rétablir la vérité.

Le propos officiel, toujours le même, qui traîne aussi chez nous est de dire que Marx et Engels n'aimaient pas la Russie, ce pays plus ou moins de sauvages. Russophobes, donc.

Pour asseoir ce parti-pris, la confusion est toujours entretenue entre la dénonciation du pouvoir tsariste « gendarme de l'Europe » qui écrasa les insurrections polonaise, hongroise ou autrichienne et le peuple russe, lui aussi écrasé, subissant un servage sans pitié, dont témoignent de nombreuses œuvres littéraires. Servage aboli en 1861.

C'est Rustem Vahitov, professeur de philosophie à l'université d'Oufa, qui s'y est collé (j'ai abondamment parlé de lui dans ce blog ; première mention : le 4 août 2017, autour de son essai polémique et passionnant: La Révolution qui a sauvé la Russie.) Il n'est ni membre du KPRF, ni marxiste. Il doit à la vérité de dire... selon cette magnifique expression.

Le titre de l'article incriminé : « Karl Marx. Brûler Odessa, détruire Sébastopol », la riposte de Sovietskaya Rossia: « à un pas du fascisme«. C'est dire.

La pensée surgissant de la pierre. Marx à Moscou, face au Bolchoï.

Il va s'employer dans sa riposte à mettre à nu la malhonnêteté intellectuelle du journaliste « officiel » Andréev.

Ainsi, le titre déjà attire, et trompe le lecteur en lui suggérant l'actualité dramatique récente puisque le 2 mai 2014, dans la Maison des syndicats, à Odessa, des opposants au régime de Kiev furent assassinés, acculés qu'ils avaient été dans ce lieu. Sous l'oeil complaisant de la police ukrainienne (voir mes articles des 2 et 3 mai 2014...).

Il s'agit pour l'auteur de l'article, de trouver une » accroche » d'associer Marx aux partisans honnis de Bandera et ainsi remporter la conviction du lecteur, note Rustem Vahitov.

Or, Marx analyse la guerre entre Russie d'un côté et l'alliance turco-européenne de l'autre. Déjà une Entente lors de la guerre de Crimée, 1854-1856. Déjà la Crimée...

Analysant les stratégies dans cette guerre, dont il est contemporain, Engels, et non Marx, note en 1855 que » pour entrer plus profondément dans le territoire russe, il faudrait brûler Odessa, détruire Sébastopol «, et de conclure, Engels, mission impossible.

Dès 1854, sur le même sujet, Marx, en observateur attentif, écrivait que les coalisés devraient prendre Odessa et Sébastopol pour arriver à leurs fins. Ce qui ne veut pas dire qu'il était d'accord avec ces objectifs.

Dans toute sa démonstration Rustem Vahitov indique que Marx et Engels qui avaient rencontré les dirigeants révolutionnaires russes, ont exprimé un intérêt grandissant, à partir de 1860, pour ce peuple qui subissait aussi « le gendarme de l'Europe », au point de se mettre à l'apprentissage du russe. Ils ont lu les grands auteurs russes dans le texte. Y compris les philosophes révolutionnaires, le fameux » Que faire » de Tchernychevski, dont Marx regretta la mort politique comme une perte pour la Russie et l'Europe.

Marx était impressionné par le travail et l'organisation des différents groupes révolutionnaires russes. Il était en contact épistolaire avec Véra Zasoulitch, révolutionnaire russe, dont le parcours est exemplaire: d'abord anarchiste, elle a participé à un attentat à St-Pétersbourg contre un général-tortionnaire... puis nihiliste, enfin marxiste. Correspondance aussi avec Nikolaï Danielson, premier traducteur au monde du Capital.

Marx avait accepté de représenter les révolutionnaires russes au Congrès de la Première Internationale, 1864.

Véra Zassoulitch 1849-1919

Dans une lettre à Véra Zassoulitch, Marx eut ces mots célèbres : « peut-être la Russie réussira-t-elle à passer à la société socialiste en évitant l'étape funeste de la construction du capitalisme », en s'appuyant sur ces cellules de socialisme que sont l'obchtchina et l'artel.

Dans les années 90 (du XXe siècle), note Rustem Vahitov, les élites au pouvoir maudissaient Marx pour son » utopie communiste ». Aujourd'hui il est attaqué sur le thème de la russophobie.... Avec des mots, « sanctions » « Angleterre » (qui s'associa à la France finalement lors de la guerre de Crimée et proposa des « sanctions » contre la Russie...) qui sont censés faire écho avec la situation actuelle. Flagrant délit » d'historicisme «. dit Rustem Vahitov.

J'y vois aussi l'intérêt de connaître l'histoire longue pour comprendre ce qui se passe dans notre monde contemporain, en ce temps de « nouveau partage du monde »

Ce journaliste » officiel » s'indigne de la présence d'un monument à Marx en plein coeur de Moscou. Il propose que soient inscrites sur son socle des « citations russophobes » de Marx.

Rustem Vahitov conclut en notant que de tels mensonges contre Marx pouvaient être lus jusqu'à présent dans des petits torchons d'extrême-droite, vendus à la sauvette près du métro.

Les retrouver dans un tel quotidien interroge, car la direction du journal aurait pu s'adresser à un spécialiste de Marx. Ils sont nombreux, écrit-il.

Son article déploie une finesse d'arguments, de confrontation minutieuse, de citations de Marx et Engels que je n'ai pas traduites, car inopérantes pour nous. J'en suis restée au fond.

Petit info très révélatrice : si c'est en russe que fut éditée la première traduction du Capital de Marx, c'est que la censure ne s'y était pas opposée: » ils n'y comprendront rien », pensaient les censeurs...

Publié dans  société,  du grain à moudre.

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