04/09/2018 reporterre.net  6 min #145284

François de Rugy, l'écolo Macron-compatible

Vanessa Jérome : « François de Rugy ne nuira pas aux lobbiess »

La nomination de François de Rugy au poste de ministre de la Transition écologique et solidaire est « cohérente » avec la politique d'Emmanuel Macron, explique à Reporterre la sociologue Vanessa Jérome. Elle nous dresse son portrait : libéral, sécuritaire, professionnel de la politique...

Vanessa Jérome est sociologue à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), spécialiste de l'écologie politique.


Vanessa Jérome.

Reporterre Que signifie le choix de François de Rugy comme nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire ?

Vanessa Jérome C'est un choix cohérent au vu de la trajectoire de François de Rugy : il est écolo, c'est un professionnel de la politique, il est libéral il ne s'en n'est jamais caché, il est sécuritaire il avait voté pour l'état d'urgence, par ailleurs, on sait qu'il est capable de gérer des secrets d'État on connaît la position qu'il avait prise dans l'affaire Baupin [1], il a participé aux primaires de la gauche puis, très vite, il s'est déclaré en faveur d'Emmanuel Macron...

En même temps, cela révèle la vision de l'écologie qu'ont le gouvernement et le président Emmanuel Macron.

Justement, quelle écologie représente François de Rugy ?

Une écologie compatible avec un modèle non pas productiviste mais libéral, qui ne nuira ni aux intérêts économiques ni aux lobbies qui font leur nid dans ce gouvernement. Il faut bien avoir en tête que, économiquement, tous les écologistes sont historiquement anti-productivistes. Mais antilibéraux, pas du tout. Depuis qu'il est entré dans l'écologie politique française au sein de Génération écologie c'était en 1991 jusqu'à son arrivée à En Marche !, François de Rugy s'est toujours positionné du côté libéral économiquement.

Comment l'arrivée du nouveau ministre peut-elle se traduire dans la politique écologique du gouvernement ?

Je pense qu'il n'aura pas les mêmes réticences que Nicolas Hulot. Il est plus sur un mode d'accompagnement du capitalisme, du libéralisme, vers une transformation écologique lente. Il n'est pas prêt à faire une véritable rupture de paradigme ni sur le plan politique ni sur le plan économique.

Pour Nicolas Hulot, à l'inverse, libéralisme et écologie ne sont pas compatibles. C'est en tout cas ce qu'il a expliqué sur France Inter mardi 28 août. En quoi sont-ils compatibles selon François de Rugy ?

La différence se fait sur deux choses. D'abord, dans le rapport à l'économie. Il y a des gens qui pensent qu'il est possible de transformer le capitalisme et d'accompagner les entreprises, les firmes internationales, pour « écologiser » leurs pratiques ; et il y a des gens qui pensent que ça ne l'est pas parce que les intérêts privés préféreront toujours accumuler les bénéfices plutôt que de voir à long terme.

Ensuite, il y a la question de combien de temps on a et combien de temps on prend. De ce point de vue, François de Rugy est un homme beaucoup moins pressé que Nicolas Hulot. Il pense qu'on a le temps d'une transformation lente de l'économie, sans froisser personne.

Donc, il n'y a rien d'incohérent, pour Emmanuel Macron de choisir François de Rugy, et pour ce dernier d'accepter de venir dans ce gouvernement après la séquence Hulot.

Un des  dossiers importants du nouveau ministre sera l'énergie, avec notamment des décisions sur la fermeture de centrales nucléaires ou pas via la programmation pluriannuelle de l'énergie. Que peut-on attendre de François de Rugy sur ce dossier ?

Cela va être intéressant ! En tant qu'écologiste convaincu, il ne peut pas être pronucléaire. En revanche, compte tenu de son rapport au temps, peut-être sera-t-il prêt à faire plus de concessions dans des scénarios de sortie du nucléaire. Ses actes et décisions vont parler pour lui très rapidement.

Vous disiez qu'il est un professionnel de la politique. Cela peut-il l'aider à défendre son budget et à gagner ses arbitrages mieux que n'y arrivait Nicolas Hulot ?

Je ne sais pas. Une chose est certaine, on est d'autant mieux servi dans les arbitrages que l'on est docile, fidèle au gouvernement. En revanche, il n'a, pas plus que d'autres écologistes, le profil qui plaît à la haute fonction publique et aux grands corps d'État.

Il faudra, comme toujours, prêter attention à la composition du cabinet. Plus les ministres sont supposément indociles, plus la présidence s'immisce dans la composition des cabinets.

Le choix de François de Rugy ne donne pas le signe d'une inflexion de la politique écologique d'Emmanuel Macron, malgré la démission de Nicolas Hulot. Peut-on en déduire que l'avenir de l'écologie politique n'est pas au gouvernement ?

Je refuse de perdre l'espoir, même s'il est souvent déçu jusqu'à maintenant, que le politique puisse encore faire quelque chose. Parce qu'à partir du moment où l'on abandonne cela, on abandonne ses droits à revendiquer des formes de démocratie meilleures que celle que l'on a actuellement. Au contraire, il faut mener cette bataille plus que jamais parce que la représentativité du personnel politique est en dessous de tout.

En revanche, cette séquence fait aussi la preuve que cela ne suffit pas et qu'il y a des formes plurielles d'écologie politiques, associatives, syndicales, citoyennes et qu'on n'a plus le temps d'en perdre. Il faut qu'elles soient toutes mobilisées.

On observe une mobilisation de ces formes d'écologie, notamment cette semaine, avec une série d'appels à des mobilisations citoyennes pour le climat. Peuvent-elles peser ?

Je ne doute pas du tout de la vivacité de l'écologie de terrain et je crois beaucoup à toutes ces initiatives. Après, là où je suis un peu plus pessimiste, c'est qu'ils n'impressionnent pas le pouvoir, sinon on n'en serait pas là. Je ne suis pas sûre qu'elles vont impressionner François de Rugy et le gouvernement, Emmanuel Macron. Leur profil les incline plutôt à mépriser ces initiatives...

  • Propos recueillis par Marie Astier

 reporterre.net

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