22/09/2018 entelekheia.fr  10 min #146015

A bas les classes populaires !



Par CJ Hopkins
Paru sur  Consent Factory sous le titre Down with the Working Classes!

Si la gauche doit un jour s'unir pour sauver le monde de Donald Trump et de ses légions de fascistes poutino-nazis, nous devrons affronter notre ennemi principal... les classes populaires internationales. Oui, mes camarades, j'ai bien peur qu'il soit temps de se confronter aux faits, si déprimants soient-ils. Les classes populaires ne sont pas nos amies. Regardez comme elles nous ont trahis... et après tout ce que nous avons fait pour elles pendant toutes ces années ! On ne peut pas permettre que cela continue, pas si nous voulons sauver la démocratie de Trump, de Poutine, d'Assad, des Iraniens et des enfants palestiniens armés de cerfs-volants terroristes, et finalement endiguer la marée sanguinaire néo-fasciste anti-mondialiste !

OK, je sais que vous vous demandez probablement, « mais comment les classes ouvrières internationales pourraient-elles être les ennemies de la gauche ? » et « cela ne viderait-il pas le concept de gauche de tout son sens ? » et autres questions pertinentes de ce genre. Et c'est très bien, vous avez le droit de poser ces questions. Réfléchir à certains aspects du paradigme officiel auquel les classes dirigeantes forcent tout le monde à se conformer, tels des membres d'une secte mondiale, ne fait pas de vous un nazi ou quoi que ce soit de cette sorte. Il est tout à fait normal de poser ces questions, tant que vous ne continuez pas à les poser, encore et encore, après que les faits vous aient été pédagogiquement expliqués. Voici ces faits, une fois de plus.

Les classes populaires internationales sont racistes. Ce sont des misogynes. Des transphobes xénophobes. Ils ne pensent pas comme nous le voudrions. Certains d'entre eux croient encore en Dieu. Ce sont des partisans du suprémacisme blanc. Des antisémites. Des ploucs armés jusqu'aux dents battant pavillon confédéré. La plupart d'entre eux n'ont même jamais entendu parler d'intersectionnalité ou de « TERF » [« trans-exclusionary radical feminist », féministe radicale transphobe, NdT], etc. Ils ne respectent pas les médias grand public. Ils pensent que des sources d'information comme le Washington Post, le New York Times, le Guardian, CNN, MSNBC, la BBC, etc, sont essentiellement des plateformes de propagande au service des multinationales et des oligarques qui les détiennent, et ne sont donc en rien différentes de FOX [plateforme américaine grand public de droite, NdT], dont ils boivent chaque parole. Leur esprit est tellement dévoyé par le racisme et la xénophobie qu'ils ne veulent pas comprendre que le capitalisme mondial, l'élimination progressive de toute souveraineté nationale, la privatisation de presque tout, la servitude envers la dette de presque tout le monde et le remplacement de leurs soi-disant « cultures » par un simulacre de culture à la Disney omniprésent, souriant, de genre neutre, non oppressif, ami de l'esprit d'entreprise, sont en fait des étapes merveilleusement progressistes vers un monde plus pacifique, moins agressif.

Cela a été prouvé par de nombreuses études illustrées par toutes sortes de tableaux, de graphiques, tout ça. Et pas seulement de la part de statisticiens d'entreprises, de médias détenus par des groupes privés et de think tanks libéraux. Pas plus tard que cette semaine, Mehdi Hasan, dans une violente  diatribe publiée dans l'Intercept, ce bastion de l'audace journalistique détenu par le milliardaire Pierre Omidyar, a prouvé, une fois de plus, que Donald Trump a été élu parce que LES GENS SONT DES SALETÉS DE RACISTES !

Apparemment, Hasan ne peut plus voir en peinture ces poutiniens partisans de Trump selon qui l'insatisfaction générale à l'égard du capitalisme mondial, du néolibéralisme et du communautarisme a peut-être un rapport avec l'élection par les Américains d'un clown pompeux et dénué de toute expérience politique au plus haut poste du pays. Hasan cite plusieurs rapports d'experts, dont une étude réalisée par le  Democracy Fund, qui se trouve être une autre organisation d'Omidyar. Mais ne tombons pas dans la paranoïa conspirationniste. Il y a littéralement des centaines d'études de ce genre à l'heure actuelle, toutes citées à l'envi par les médias grand public, les médias alternatifs, les médias très alternatifs et virtuellement tous les cinglés obsédés par Trump dotés d'un blog ou d'un compte Facebook ou Twitter.

D'accord, je sais que la vérité peut être difficile à accepter, mais les statistiques ne laissent pas subsister le moindre doute. Même si certains d'entre nous préféreraient le nier, le fait irréfutable est que le pays qui a élu à deux reprises Barack Obama (qui est Noir) a été transformé en cloaque de xénophobie et de racisme par les agents de la désinformation de Poutine, et que c'est à nous, les gauchistes, de redresser la barre !

Et bien sûr, pour ce faire, nous devons unir la gauche, faire en sorte que tout le monde collabore, tout ça. Ce qui veut dire que nous devons identifier et éliminer tous les faux gauchistes de nos rangs. Ensuite seulement (c'est-à-dire après avoir traqué, vertueusement dénoncé et exilé tous les infiltrés « d'extrême droite » néo-strasseristes, les gauchistes-Sputnik et les partisans d'Assad), nous pourrons nous tourner vers un face à face avec les classes populaires internationales et vertueusement les dénoncer comme la bande de racistes nauséabonds qu'ils sont en réalité.

D'accord, ça a l'air un peu dur et peut-être même totalement idiot, mais quel autre choix nous laisse-t-on ? Si nous voulons vaincre ces poutino-nazis, il va nous falloir casser quelques œufs. Nous ne pouvons pas manquer à notre engagement d'imposer notre idéologie communautariste à tous les habitants de la planète Terre, ni retourner au gauchisme à la papa qui se fondait sur la volonté des classes populaires. Ce que veulent les classes populaires, on s'en fout. Ce qui compte, c'est ce que nous voulons qu'ils veuillent. Nous ne sommes plus dans les années 90, enfin ! Toutes les inepties sur la mondialisation, les entités supranationales comme l'OMC, la Banque mondiale, sans même parler de « l'emploi des Américains »... seuls des fascistes parlent comme ça aujourd'hui !

Mais, sérieusement... si vous êtes arrivé jusqu'ici dans mon essai, et que vous vous considérez comme un gauchiste d'un type ou d'un autre, vous êtes probablement extrêmement frustré par ce qui passe pour « la gauche » aujourd'hui, et par la façon dont les classes populaires se tournent vers la droite, tant aux États-Unis que dans le reste du monde. Si j'ai raison, vous voudrez peut-être lire  cet article [lien en français, NdT] de Diana Johnstone (que nous, les gauchistes, ne sommes techniquement pas autorisés à lire parce qu'il a été publié dans The Unz Review, qui passe également beaucoup d'articles d'extrême droite... et vous ne voulez pas que ce genre de chose déteigne sur vous ! *

Ce dont elle parle, c'est de l'insurrection « populiste » en cours contre le capitalisme mondialisé, ce dont j'ai également parlé pendant le plus clair de ces deux dernières années. C'est le moment historique que nous vivons, un soulèvement démocratique maladroit, désordonné, en partie fasciste, en partie non fasciste, en partie contre l'extension du capitalisme mondialisé, contre l'érosion de ce qui reste des souverainetés nationales, et... oui, en défense des cultures et des valeurs des peuples aussi.

Les classes populaires internationales le comprennent bien. La droite néo-nationaliste le comprend aussi. La majorité de la gauche ne le comprend pas et refuse d'admettre que cela puisse se produire, de sorte qu'elle reste sur la touche à traiter tout le monde de « racistes » et de « fascistes » pendant que les classes dirigeantes capitalistes mondiales et les néo-nationalistes s'entre-écharpent.

C'est exactement ce que voulaient les classes dirigeantes et ce que le  battage médiatique sur les poutino-nazis se proposait d'obtenir depuis le début. La « fenêtre d'Overton » (c'est-à-dire l'éventail des idées acceptables dans une société donnée) fonctionne mieux lorsqu'elle est scindée en deux moitiés antagonistes. Pendant la soi-disant « Guerre contre le terrorisme », c'était la démocratie contre les terroristes islamiques. Aujourd'hui, c'est la démocratie contre les poutino-nazis. Ces deux visions sont fantaisistes, bien sûr, la réalité étant, comme toujours, beaucoup plus compliquée.

Si ce qui reste de la gauche espère jouer un rôle significatif dans notre moment historique (autre que débiter des leçons de morale tout en jouant les pom-pom girls pour les classes dirigeantes mondialistes), il va lui falloir mettre les mains dans le cambouis, se mêler un peu plus à tous ces « populistes » des classes laborieuses, leur parler, et je ne sais pas, peut-être même les écouter.

Ou peut-être que je suis devenu complètement fou... Je veux dire, vraiment écouter les classes populaires ? Il est assuré d'avance que certains d'entre eux diront des choses racistes, antisémites et transphobes, ce que nous ne pouvons pas ignorer ne fût-ce qu'une seconde, pas plus que nous ne pouvons en discuter rationnellement ou leur marquer notre désaccord face à face, parce que cela impliquerait d'offrir une plateforme à leur racisme. Ouais, et puis merde, je ne sais pas où j'avais la tête... oubliez tout ce que je viens de vous faire lire. A bas les classes populaires fascistes !

C.J. Hopkins est un dramaturge primé, un romancier et un satiriste américain basé à Berlin. Son premier roman de science-fiction,  Zone 23, est publié par Snoggsworthy, Swaine & Cormorant. Il peut être joint à  cjhopkins.com et  Consent factory.org

Traduction Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia

Note de la traduction :

* The Unz Review, un ovni dans le monde des médias alternatifs, est détenu par le milliardaire et ancien candidat au poste de gouverneur de Californie Ron Unz, un co-fondateur de The American Conservative, à qui il ne participe plus. Ron Unz est lui-même de droite « dure » libertarienne, mais avec sa nouvelle publication comme avant avec TAC, il s'est proposé d'ouvrir sa plateforme à toutes les tendances politiques, même et surtout aux plus opposées à ses vues, les socialistes. D'où la présence de journalistes notoirement d'extrême gauche dans ses colonnes.

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