23/09/2018 reseauinternational.net  6 min #146032

En se substituant aux faits, l'émotion égare le jugement

Si le bon sens se perd, c’est que les gens se laissent entraîner par leurs émotions au lieu de s’attacher aux faits. Tout n’est plus question que de sentiments. Ce biais date semble-t-il du mouvement féministe. Ainsi, en habituant les femmes à se fier à leurs sentiments, à penser que leurs sentiments reflètent la réalité, ce travers a pu s’échapper du vestiaire des femmes. Il est aussi courant chez les hommes et il touche désormais aussi certains jeunes hommes.

J’ai appris cela de courriels de lecteurs. Certains sont intrigués par ce qu’il leur semble être un changement chez moi. Auparavant en faveur de Poutine, ils pensent que je suis à présent contre lui. Ils veulent savoir pourquoi j’ai cessé de l’aimer. En d’autres termes, ils prennent la montée de mon inquiétude à propos de sa politique, pour le signe que je ne l’apprécie plus.

J’écris sur la politique de Poutine, pas sur mes sentiments à propos de lui. Sa politique, consistant à ne tenir aucun compte des provocations, a été parfaitement logique pendant quelque temps. Elle a montré aux Européens que contrairement à Washington, Poutine est équilibré et n’est pas agressif. L’ouverture d’esprit et le comportement responsable de Poutine allaient a contrario du cliché de ‘menace russe’ que Washington avait mis dans la tête des Européens. L’espoir était que de complice des agressions de Washington, l’Europe devienne un obstacle pour lui.

Le problème avec une politique consistant à tendre l’autre joue [à ne pas répliquer aux affronts], c’est qu’elle enhardit à poursuivre la provocation en l’aggravant. La question que j’ai soulevée concerne la politique, pas l’homme Poutine. Combien de temps maintient-on une politique qui au lieu d’atteindre son but, pousse à toujours plus provoquer ?

Il y a quelques signes de la part de certains politiciens européens qui ont adopté une attitude plus responsable vis-à-vis de la Russie, mais il se pourrait que cela ne reflète que leur rejet de Trump ou que ce soit une combine visant à pousser Washington à leur verser des subsides plus importants pour revenir dans le droit chemin. Est-ce que cela suffira à compenser l’attitude toujours plus provocatrice et insultante de Washington et du gouvernement britannique envers la Russie ?

C’est la question que je soulève. Cela n’a rien à voir avec mes sentiments pour Poutine. C’est l’expression de mon inquiétude du fait que l’aggravation des provocations puisse dégénérer en guerre nucléaire. La politique de riposte anodine ou nulle de Poutine n’a pas permis à l’Europe de freiner l’attitude agressive de Washington envers la Russie. Bien au contraire, la politique de Poutine invite à pousser toujours plus la provocation. Washington a désormais fait savoir qu’il attaquerait la Syrie en cas de tentative de libération de la province d’Idleb. En imposant de nouvelles sanctions aux apparatchiks russes, Washington les rendra plus hostiles à Poutine. Les nationalistes russes se fâchent contre Poutine qui ne défend pas l’honneur de la Russie. La politique de Poutine ne semble pas être une formule payante.

La question est donc de savoir si Poutine doit poursuivre cette politique.

Je pense que Poutine a accordé assez de temps à cette politique et qu’il aurait dû mettre un terme aux provocations en prenant du recul et en tapant fortement du poing sur la table. Le monde saurait ainsi que les débiles mentaux étasuniens et européens poussent le monde dans la guerre nucléaire. Je crois que les Européens et une partie du Congrès étasunien auraient été refroidis, et que cela aurait amené d’autres pays à faire pression sur Washington pour qu’il se maîtrise. Si Washington s’en sort avec ses massacres, c’est parce que le monde laisse faire, et si le monde laisse faire, c’est parce qu’il ignore qu’un pays puissant tient tête à Washington.

Peut-être ai-je tort. Mais il n’empêche  que ma question est valable. Le gouvernement russe, pas moi, doit voir si sa politique donne les résultats souhaités ou produit des effets contraires.

Les faits et la pensée rationnelle doivent intervenir, pas les sentiments, pas les intérêts matériels des intégristes atlantistes et du lobby juif russe, que The Saker qualifie de cinquième colonne.

La question se posant au président Poutine et au peuple russe, c’est de savoir si la Russie peut être un pays souverain, indépendant de l’emprise de Washington, sans entrer en guerre. Ce qui me préoccupe, c’est qu’à moins de prendre fermement les choses en main, à moins de se montrer à la hauteur en tapant du point sur la table, la seule alternative des Russes sera la capitulation ou la guerre nucléaire.

 Paul Craig Roberts

Original :  www.paulcraigroberts.org/2018/09/22/emotion-is-supplanting-evidence-as-the-basis-for-truth/
Traduction  Petrus Lombard

 reseauinternational.net

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