11/10/2018 reporterre.net  8 min #146849

Voltairine reviens, le sexisme est toujours là !

Un an après la déflagration de « l'affaire Weinstein », notre chroniqueuse juge que de nombreux progrès sont encore à faire pour la cause des femmes. Elle trouve chez deux anarchistes étasuniennes de l'aube du XXe siècle des modèles de la lutte contre le patriarcat.

Isabelle Attard a été députée écologiste du Calvados. Elle se présente comme  « écoanarchiste ».


Isabelle Attard.

Affaire Weinstein, affaire Baupin, affaire Tronc, affaire Baylet, affaire Ramadan, affaire XY.

En cette période anniversaire des révélations sur Harvey Weinstein, célèbre producteur hollywoodien, a-t-on évolué dans notre pays ? Après tous ces scandales mis sur la place publique, après tous ces articles, mémoires de recherches et débats sur le sujet, a-t-on compris ce que les femmes voulaient exprimer ? Notre société a-t-elle saisi l'ampleur des dégâts du sexisme ordinaire, des agressions sexuelles, des violences conjugales et des féminicides ?

Au vu des réactions à la libération de la parole via les mots-dièses (hashtags) « Me too » ou « Balance ton porc », j'ai un gros doute sur le changement de mentalité tant espéré. Comme le dit très justement  Lénaïg Bredoux dans Mediapart, il ne s'agissait pas de délation mais de dénonciation. Nous avons toutes vécu des moments de sexisme ordinaire en famille, sur notre lieu de travail ou d'étude, de harcèlement plus ou moins gênants, blessants voire d'agressions sexuelles par des inconnus, ou pas. Une bonne partie de ces moments ont été mis de côté. Notre mémoire les a stockés dans un endroit indolore pour que nous puissions continuer d'avancer, de travailler, de vivre tout simplement. Mais ces souvenirs ont souvent la (mauvaise ?) idée de revenir à la surface lorsque d'autres femmes témoignent publiquement. Encore faut-il savoir que faire de tous ces témoignages.

« Le système de la domination masculine, comme toutes les formes de tyrannie et d'exploitation, s'opposait à son esprit anarchiste »

Trop de femmes me disent encore avoir été totalement ignorées lorsqu'elles voulaient porter plainte. Les associations de soutien aux victimes d'agressions sexuelles croulent sous les demandes d'aide,  sans financements supplémentaires de la part de l'État. Et la meilleure méthode pour faire taire celles qui osent parler reste  la plainte en diffamation que brandit l'agresseur présumé. Inversion des rôles où la victime devient la coupable, car il faut bien que le patriarcat recouvre ses droits.

Il y a un siècle, deux femmes anarchistes étasuniennes ont combattu de toutes leurs forces pour l'abolition du patriarcat et l'égalité femme-homme, qui ne pouvait à leurs yeux se résumer à l'obtention du droit de vote.

 Emma Goldman disait dans son essai sur « le droit de vote des femmes » : les femmes doivent gagner l'égalité aux côtés des hommes. « Tout d'abord en se faisant respecter comme des personnes et en n'étant plus considérées comme des marchandises sexuelles. »


Emma Goldman à New York, en 1916.

Paul Avrich a rédigé la biographie de la seconde,  Voltairine de Cleyre. Il écrit : « Toute la vie de Voltairine de Cleyre exprime sa révolte contre le système de la domination masculine qui, comme toutes les formes de tyrannie et d'exploitation, s'opposait à son esprit anarchiste. » Elle écrivit : « Toute femme doit se demander : Pourquoi suis-je l'esclave de l'homme ? Pourquoi prétend-on que mon cerveau n'est pas l'égal du sien ? Pourquoi ne me paie-t-on pas autant que lui ? Pourquoi mon mari contrôle-t-il mon corps ? »

Quelle actualité dans ces propos ! Nous sommes encore bien loin de l'égalité salariale, car le « Equal Pay Day » en France est le 26 mars. Cela signifie que nous travaillons 15 mois pour gagner autant que les hommes en 12. Quant aux cerveaux, la tribune récente des  440 historiennes vient nous rappeler avec justesse à quel point les femmes sont encore aujourd'hui déconsidérées, intellectuellement parlant.

Oui, les femmes libres dérangent encore et toujours, comme dérangeait la liberté des « sorcières »

Voltairine de Cleyre ne se contente pas de critiquer la place de la femme dans la société, elle fait le parallèle entre sexisme-patriarcat et les relations patrons-employés. Elle démontre comment la société étasunienne du début du XXe siècle maintient fermement les relations hiérarchiques autoritaires pour que perdure ce système d'exploitation des citoyens : « À l'esclavage sexuel dans la sphère privée correspond l'esclavage salarial dans la sphère publique. Il s'ensuit que les problèmes, oppressions et injustices qu'ils entraînent ne seront éliminés qu'avec la disparition de ces rapports et non par les seules modifications apportées aux rapports juridiques ou par l'obtention du droit de vote par les femmes. »


Voltairine de Cleyre à 35 ans, en 1901, à Philadelphie.

Voltairine défendait l'indépendance économique des femmes, le contrôle des naissances, l'éducation sexuelle et le droit des femmes à conserver leur autonomie dans leurs relations amoureuses. Ce n'est ni plus ni moins que ce que nous réclamons aujourd'hui. Pourquoi est-ce si difficile à entendre ?

Oui cher lecteur, chère lectrice, ceci est mon coup de gueule, mon « ovairedose » de sexisme dans cette société, qui reste quoiqu'on en dise patriarcale. Car oui, les femmes libres dérangent encore et toujours, comme dérangeait  la liberté des « sorcières » ou des chercheuses ! Combien de prix scientifiques non attribués aux vraies découvreuses ? Combien de Camille Claudel laissées dans l'anonymat ? Trop, toujours trop.

Alors, reviens Voltairine ! Et permets-moi de reprendre tes mots : « Je ne dois prêter allégeance à personne et ne le ferai jamais plus ; je me dirige lentement vers un seul but : la connaissance, l'affirmation de ma propre liberté, avec toutes les responsabilités qui en découlent. Telle est, j'en suis convaincue, la raison essentielle de mon attirance pour l'anarchisme. »

 reporterre.net

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