12/10/2018 ruptures-presse.fr  7 min #146904

Dans l'hystérie réchauffiste, les juges néerlandais se substituent au politique

Le 9 octobre, la cour d'appel de La Haye a rendu un jugement atterrant, stupéfiant et particulièrement dangereux. Elle a ordonné au gouvernement des Pays-Bas de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) plus drastiquement encore qu'initialement prévu.

En France en particulier, ce verdict a été qualifié d'« historique » par le chœur quasi-unanimement enthousiaste des forces politiques et des médias « mainstream », et bien au-delà de ce spectre. « Historique », il l'est effectivement, par ses implications non pas tant climatiques que juridiques et politiques.

Tout d'abord, il est en effet sans précédent : en principe, les tribunaux sont censés appliquer la loi (quitte à produire de la jurisprudence). Dans ce cas, les juges n'ont pas appliqué le droit national, ils l'ont créé. Car il n'y a aucun texte juridique qui prescrit une obligation quantifiée de réduction des GES.

La Cour de La Haye - qui confirmait un jugement de première instance de juin 2015 - a pallié l'absence de texte normatif par l'accumulation de références à une profusion de traités et d'accords internationaux : convention cadre de l'ONU, protocole de Kyoto, plan d'action de Bali, accords de Copenhague, Cancun et Durban. Et, pour faire bon poids, jusqu'à la convention européenne des droits de l'Homme...

Les juges néerlandais ont donc des connaissances scientifiques particulièrement pointues, au point de décider que les émissions de GES devront être réduites d'au moins 25% d'ici 2020 (base 1990). Et ce, afin de « protéger la vie et la vie familiale des citoyens ». L'institution judiciaire s'est réclamée des principes et déclarations générales pour fixer elle-même une norme applicable.

Au nom, par exemple, de cette même protection de la « vie familiale des citoyens », un juge pourrait ainsi relever le niveau du salaire minimum s'il juge que celui ayant cours n'est pas suffisant pour lutter contre la pauvreté - objectif qui figure dans maints traités internationaux... ou bien décider au contraire d'abolir le système de protection sociale si, d'obédience ultralibérale, il estime que ce dernier est un handicap pour le bien être général.

Apparaît donc ici le deuxième scandale de l'événement : des juges qui se substituent aux pouvoirs législatif et exécutif pour prendre des décisions éminemment politiques. La sacro-sainte séparation des pouvoirs est ainsi foulée aux pieds, sans que les habituels zélotes de l'« Etat de droit » n'y trouvent à redire.

Cela peut s'illustrer concrètement : si, demain, une nouvelle majorité parlementaire sortait des urnes qui décide de ne plus aller dans le sens des oukases environnementaux (hypothèse d'école, hélas), le jugement resterait applicable. La décision politique est ainsi transférée au judiciaire. Or faut-il rappeler que les juges ne sont pas responsables devant les électeurs ?

Il est à noter que près de 900 actions similaires sont en cours dans le monde, dont les deux tiers pour les seuls Etats-Unis. Cela illustre cette tendance bien connue, issue du monde anglo-saxon, à une judiciarisation de la vie collective. 120 procès comparables ont été engagés au sein de l'Union européenne, dont 50 au Royaume-Uni. Mais c'est bien l'esprit même de l'UE qui est à l'œuvre : faire créer du droit par des instances non élues et non politiquement responsables, comme l'illustre l'exemple de la Cour de justice européenne.

Le fond du dossier

Troisième aspect, évidemment pas des moindres : le fond du dossier, en l'occurrence le réchauffement climatique (et plus généralement les « dérèglements » environnementaux), accusé de tous les maux, un « cataclysme » planétaire représentant « le plus grand défi de l'histoire de l'humanité », selon la formule employée par 200 personnalités du monde de la culture il y a quelques semaines. On n'épiloguera pas ici sur la compétence scientifique des artistes, cinéastes et chanteurs (certainement remarquables dans leur propre partie) qui affirment sans hésiter qu'« au rythme actuel, dans quelques décennies, il ne restera presque plus rien », ni, surtout, sur leur légitimité politique pour en appeler à des « mesures potentiellement impopulaires » (sans cependant oser préciser lesquelles).

Il serait évidemment vain d'espérer équilibrer ici en quelques phrases les déferlements multi quotidiens de propagande visant à imposer l'idée que, faute de mesures restrictives drastiques, la planète court à grand pas vers les catastrophes les plus épouvantables les unes que les autres. Le dernier missile en date n'est autre que le énième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) décrivant des conséquences encore plus lourdes que précédemment annoncées, mais pointant opportunément que, finalement, il n'est pas trop tard pour « agir ». Rappelons qu'en 2009, la Conférence de Copenhague (COP15) était unanimement évaluée comme celle de la « dernière chance », avant, finalement, d'échouer.

Nul ne met en doute la compétence des experts du GIEC, mais l'organisme, par nature sous contrôle des Etats, exclut de fait les voix discordantes.

Or dès lors qu'on parle de climat, et plus généralement d'environnement, ce dont on manque, ce n'est pas d'experts, c'est de débats. Précision utile dans le contexte : un débat se mène entre interlocuteurs ne partageant pas le même point de vue... Idéalement, de tels débats devraient inclure tous les éléments du dossier - et pas seulement ceux des procureurs. Car le moins qu'on puisse dire, c'est que, pour le coupable « réchauffement », l'instruction est exclusivement menée à charge. Que celui-ci puisse également avoir des conséquences positives est une question taboue.

En outre, un élément, parmi bien d'autres, mérite d'être ne serait-ce qu'évoqué : tous les modèles et plans de réduction des émissions de GES, même jugés insuffisants par les juges néerlandais, ont un point commun : ils se basent sur une stagnation, au mieux une hausse faible de la croissance dans des pays tels que ceux de l'UE, comme c'est le cas depuis des années - 2% à 2,5% au grand maximum, bien souvent moins.

Si d'aventure la croissance repartait sur des rythmes bien plus élevés, cela balaierait toutes les réductions d'émission planifiées. Certes, à politique économique austéritaire inchangée, c'est une hypothèse improbable. Mais ceux qui veulent encore combattre en faveur du progrès économique et social - hausse du niveau de vie, de la protection sociale et des services publics, réindustrialisation - devraient être conscients que cela passe par une croissance considérablement plus forte qu'actuellement, qui implique évidemment une hausse significative de la consommation d'énergie, y compris fossile. Dans cette perspective progressiste (pour redonner un sens à ce terme, qu'Emmanuel Macron tente d'inverser), une croissance « à la chinoise » est une condition certes pas suffisante, mais ô combien nécessaire pour répondre aux besoins sociaux.

Mais la réalité est que le système nommé capitaliste par Karl Marx est arrivé au bout du rouleau historique. Il a longtemps permis un développement des forces productives, au prix de l'exploitation de l'homme par l'homme, pour reprendre les termes de l'auteur du Capital. L'exploitation est toujours là, mais la machine s'avère, en tendance, de moins en moins capable de produire des richesses, notamment parce qu'elle est phagocytée par la prolifération de la finance.

Il était donc inévitable qu'un tel système en bout de course secrète une idéologie qui justifie la faible croissance voire la décroissance, et habille la volonté d'imposer aux peuples la résignation avec un habit post-moderne, que certaines forces de « gauche », voire d' « ultra-gauche » portent, si ce n'est avec élégance, du moins avec suffisance.

Pour tout dire, les actuels Torquemadas revêtus de vert - ou ornés d'une épitoge batave - n'ont rien à envier, en matière de tolérance et de culture du débat, à leurs ancêtres de la Sainte Inquisition.

Pierre Lévy

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