14/10/2018 reseauinternational.net  7 min #146984

Washington s'est-il adapté au message du système S-300 ?

Par Nasser Kandil

Tandis que la Turquie fait de nets progrès, en marquant des points aux dépens de l’Arabie Saoudite, en tant que candidat concurrent pour se positionner contre l’Iran dans toute forme d’un nouvel ordre régional, on ne peut occulter le fait que les points forts de la Turquie résident dans sa position médiane entre Washington et Moscou, parrains du nouvel ordre régional désormais géré par Moscou avec l’assentiment américain.

La Turquie semble être le candidat de la Russie approuvé par les Etats-Unis, en face de l’Arabie Saoudite soutenue par Israël, suite à l’alliance déclarée entre le prince héritier Mohammed bin Salman et le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahou sous le patronage du président américain Donald Trump et son gendre Jared Kushner, dans le cadre du « deal du siècle « , en tant que mécanisme pour résoudre le problème palestinien et annoncer une alliance arabo-israélienne contre l’Iran.

Le fléchissement de l’Arabie Saoudite semble être dû à son incapacité à promouvoir le « deal du siècle  » pour en faire un accord effectif qui amorce une nouvelle orientation dans les équilibres régionaux. L’Arabie Saoudite paie le prix de cet échec ainsi que son impuissance à gagner la guerre au Yémen. Si bien que les répercussions de l’affaire de Jamal Khashoggi semblent être conformes au contexte nécessaire pour consolider le déclin saoudien, comme l’invasion du Koweït par l’Irak au début des années 90 était plus proche du scénario écrit pour le renversement du régime irakien.

La victoire russe en plaçant en Turquie à la place de l’Arabie Saoudite, avec le consentement américain, se traduit par l’accord relatif au prêtre américain détenu à Ankara et libéré hier, ainsi que les accords sur des patrouilles turco-américaines à Manbij, dans le nord de la Syrie. On reparle de discussions portant sur la normalisation des relations turco-américaines, fondées sur l’acceptation des Etats-Unis de la fourniture des missiles « S-400″ russes à la Turquie, ainsi que des accords économiques stratégiques entre la Turquie et la Russie concernant l’énergie nucléaire et le marché pétrolier et gazier.

D’un autre côté, des questions se posent sur le statut d’Israël dans le nouvel ordre régional, dont les règles devront être élaborées dans les phases finales des conflits avant l’émergence de la version définitive du règlement dans le processus de la guerre en Syrie qui, selon l’aveu unanime, est dans son dernier quart de l’heure.

Son pari sur l’accord du siècle ayant échoué, malgré l’engagement de Washington envers le duo israélo-saoudien à provoquer le choc nécessaire à la promotion du règlement sur lequel est basé l’accord, centré sur la non-négociation quant à l’avenir de Jérusalem et la question des réfugiés, conformément aux exigences de la vision israélienne et agréée par les Saoudiens, Israël réalise qu’elle paie avec les Saoudiens le prix de cet échec, dont  Washington ne supporte pas les conséquences.

Etant le parrain du projet saoudien à Washington, en misant sur ce que pourrait accomplir le prince héritier de l’Arabie Saoudite, en le libérant de toute contrainte dans son leadership saoudien, arabe et islamique, Israël doit assumer les répercussions de ses paris. Avec l’incapacité de Bin Salman à garantir le partenaire palestinien pour conclure l’accord du siècle, son échec dans la guerre au Yémen et, plus grave encore, son insuccès à maintenir le statut du Pakistan dans l’alliance américano-israélienne, Israël a perdu toute occasion de réserver son siège, en tant qu’entité porteuse d’un projet de paix viable. Le recours à la menace de guerre est son unique voie alternative.

L’évolution de la relation russo-israélienne dans les équations et les rapports de force en Syrie, avec le déploiement des batteries du système S-300 par l’armée syrienne sous les auspices de la Russie, soulève des questions majeures sur la capacité d’Israël à préserver son siège par la force des menaces de sabotage militaire, surtout qu’il n’y a aucun espoir de miser sur une action militaire israélienne contre l’Iran, et que l’équilibre de la dissuasion sur le front libanais est de plus en plus solide.

Israël a essayé d’absorber le choc en prétendant que le déploiement du système S-300 ne changera rien à sa capacité d’évoluer dans l’espace aérien syrien, utilisant la science-fiction pour parler des performances de l’avion moderne américain F-35 contre les capacités du S-300, lançant ainsi une course dangereuse entre les potentiels des armes russes et américaines. Des officiers russes ont en effet promis, qu’en cas d’utilisation, ils abattront tout F-35 au risque d’employer des batteries S-400.

Il est bien connu que les chefs militaires russes et américains sont conscients que s’engager dans une telle course portera préjudice à la réputation des armes russes et américaines, les deux parties risquant de perdre les secrets des armes modernes et de se consacrer à une course indésirable aux armements technologiques.

Les déclarations américaines du Département d’Etat sur le système S-300 et sa livraison à la Syrie suggéraient leur adoption de la volonté israélienne de pénétrer les capacités du système russe, considérant la décision russe comme une grave escalade aux graves conséquences, alors que les déclarations du Département de la Défense, diffusées au nom de l’alliance de lutte contre Daech, assuraient que le déploiement du système S-300 n’affecterait pas le travail des forces de la coalition dans la lutte contre Daech.

Il semble ainsi que Washington ait décidé de s’adapter au changement imposé par la Russie, et trouvé le moyen de le faire en annonçant hier le clouage au sol de tous les types F-35, prétextant une panne technique, après le crash d’un de ces avions lors d’une mission de formation, et après que les Américains eurent annoncé le début des expériences de mise au point du F-35 pour lui permettre de faire face aux missiles S-300.

Les Russes, quant à eux, affirment que l’avion, dont Israël n’en possède que sept unités, a été abattu, il y a un an, par un missile S-200 et non un S-300. Les Israéliens avaient prétendu que le crash avait été causé par une collision avec un oiseau lors d’un vol d’entraînement.

Article en arabe :  al-binaa.com

traduit par Rania Tahar

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