16/10/2018 reseauinternational.net  10 min #147068

Le Bouclier Rouge

Rothschild, Rot-h-Schild, en allemand, « bouclier rouge », cela fait au moins un point commun avec Trotski : le rouge. Pas le rouge de la politique bien sûr, mais celui du sang. C’est ce qui permet qu’un capitaliste et un communiste puissent coopérer partout, en tout temps, à distance, sans complot précis mais avec cette fameuse « incroyable communauté d’esprit » tendue vers le même but. De ce point de vue, la révolution de 1917 est un cas d’école. On retrouve les membres de la communauté du bouclier rouge avant, pendant et après, aussi actifs dans la préparation de cette révolution que dans son exécution et son exploitation.

Le Bouclier contre les Tsars

1881, le Tsar Alexandre II est assassiné devant le Palais d’Hiver à Saint-Pétersbourg par des membres du groupe anarchiste Narodnia Volia. Membre du noyau dur, une jeune juive, Gesja Gelfman. Elle sera condamnée à mort pour sa complicité dans cet attentat mais, enceinte, elle verra sa peine commuée en prison à vie. Le bouclier rouge ne lâchera plus les Romanov jusqu’à leur chute.

Double attaque-suicide à la bombe du tsar Alexandre II par les membres du groupe anarchiste « Narodnaïa Volia »

Au XVIII e siècle, à Francfort, dans le quartier juif, deux familles se partageaient une demeure. Celle-ci était ornée côté Rothschild d’un écusson rouge et, côté Schiff, d’un bateau d’où le nom des deux familles : les membres du bouclier rouge ne rentrent jamais dans l’histoire sous leur vrai nom.

A vrai dire, Jacob Schiff est un personnage un peu oublié aujourd’hui, mais, en quelque sorte, comme pour Gesja Gelfman, volontairement oublié, c’est-à-dire, non pas oublié car il n’aurait eu aucun poids sur le cours des événements, mais oublié précisément pour occulter son action. Ce n’est que récemment, en 1999, qu’une chercheuse, Naomi Cohen, a publié un « Jacob Schiff, A Study in American Jewish Leadership ». On aura compris au nom de la chercheuse que « Le bouclier rouge » pense qu’il est temps, partie gagnée, de célébrer les héros de la conquête, c’est désormais sans inconvénient. Tout est important dans le titre de ce livre et notamment l’absence de trait d’union entre « American » et « Jewish », trait d’union qui aurait au contraire signifié une séparation et une hétérogénéité.

Très tôt émigré aux Etats-Unis, Jacob Schiff y est devenu le deuxième banquier derrière Morgan, finançant toutes les grosses affaires et en bonne place dans tous les grands scandales de l’époque, monopole des chemins de fer ou des assurances par exemple. Mais ce n’est pas qu’un banquier, pour situer immédiatement son importance et le rôle politique et historique qu’il s’est donné pour sa communauté il faut savoir que c’est lui qui aida Adolph Och – membre de l’American Jewish Commitee – à acquérir le New York Times en 1896 parce qu’il estimait qu’il « pourrait être très utile aux Juifs en général » (Kevin MacDonald « Le néoconservatisme un mouvement juif » p39 et note 26.

L’obsession de toute sa vie : faire tomber le Tsar. Son arme principale : l’argent.

En 1904, dès le début de la guerre Russo-Japonaise, 72 heures avant qu’elle n’éclate même car il était au courant de son imminence, il choisit, sans aucune incitation du gouvernement américain, de financer le Japon. Cela lui valut en 1906, lors d’une tournée triomphale au Japon, d’être décoré par l’empereur lui-même de l’ordre du soleil levant. A peine avait-il reçu sa décoration qu’il s’inquiétait aussitôt des signes d’antisémitisme au Japon ! Le raisonnement est limpide : recevoir une décoration est le signe de la reconnaissance de la puissance des Juifs, or, penser que les Juifs sont puissants, c’est déjà de l’antisémitisme. Et après tout, c’est peut-être ce qui va arriver, en tout cas, c’est comme ça que Schiff va le prendre : en 1910, les Japonais vont finalement s’entendre avec les Russes pour exploiter la Mandchourie : quelle trahison ! Ivre de rage, il déclara publiquement que « cette alliance avec la Russie – ennemie de tout le genre humain – présageait une guerre majeure impliquant les Etats-Unis » : en gros, il menaçait déjà le Japon d’un Hiroshima.

Côté russe, on s’est également souvenu de Jacob Schiff, interrogé, le ministre des finances Russe, Herman Bernstein, déclarait : « Notre gouvernement n’oubliera ni ne pardonnera jamais ce que le Juif Schiff nous a fait…. Lui seul a rendu possible l’obtention d’un prêt auprès de l’Amérique. Il aura été l’un des hommes les plus dangereux que nous ayons eu contre nous. »

Encore, ce ministre des finances ne savait pas tout, en association avec un certain George Kennan, Jacob Schiff a fait distribuer de la propagande révolutionnaire auprès des prisonniers Russes au Japon, une opération qui ne sera rendue publique qu’en 1917 par Kennan qui commentera : « cinquante mille officiers et soldat sont rentrés en Russie ardents révolutionnaires. Ils sont devenus cinquante mille graines de liberté dans cent régiments qui ont contribué à la chute du Tsar. » On commence à comprendre pourquoi la révolution communiste a éclaté dans un pays encore à dominante rurale alors que d’après la théorie marxiste elle aurait dû éclater dans un pays capitaliste : parce qu’en Russie il y avait des membres du bouclier rouge.

Jusqu’à la chute du dernier des Romanov Schiff jouera du bâton financier et organisera le blocus financier de la Russie auprès de ses collègues et coreligionnaires banquiers, ainsi Lord Rothschild, l’anglais de la famille, assura Schiff en 1904 de ce que sa filiale anglaise n’avait pas accordé le moindre prêt à la Russie depuis 1875. En France Edmond de Rothschild était également anti-tsariste. Ce petit jeu n’était pas sans inconvénient, comme le remarque Naomi Cohen, cela renforçait le stéréotype du pouvoir juif par l’argent. Et pourtant, même pendant la guerre, en 1915, Schiff indiquait qu’il était prêt à placer un emprunt de cent voire deux cents millions de dollars à la Russie si cette dernière accordait des droits civiques et religieux aux Juifs. Il a fait transmettre par l’intermédiaire du philosémite, fondateur et président de la ligue des droits de l’homme, Victor Basch, la même promesse à la France de Raymond Poincaré, confère les mémoires de ce dernier, à la date du 15 mai 1916 : « 250 millions de dollars si la Russie accordait quelques avantages aux Israélites »

Les Rothschild finançaient directement la révolution par le biais de Jacob Schiff de la Kuhn Loeb & Company qui mit à disposition de Lénine et de Trotski 50 millions $ US dans un compte bancaire suédois

Schiff redoutait par-dessus tout une victoire de la Russie contre l’Allemagne qui aurait rétabli le prestige et l’autorité du Tsar, ainsi, jusqu’à l’abdication de Nicolas II le 3 mars 1917, il milita pour une paix sans victoire – et donc incidemment contre l’entrée en guerre des USA – en des termes qui devraient en pétrifier plus d’un : il appelait de façon répétée à la fin de cet « holocauste ». (Page 191 de l’ouvrage de Naomi Cohen).

Le Bouclier aux Etats-Unis

Toutefois, la Russie n’était pas le seul objectif de Schiff et, paradoxalement, la lutte contre l’empire des Romanov va être l’occasion d’une éclatante victoire aux Etats-Unis même et l’arme des boucliers rouges, cette fois, ne sera pas l’argent, mais plutôt l’entre-gens et les médias.

En 1910, Schiff et les siens vont littéralement s’en prendre au Président des Etats-Unis d’alors – le républicains Howard Taft élu en 1908 – le faire trébucher et faire élire en 1912 son concurrent démocrate Woodrow Wilson ; c’est l’affaire de l’abrogation d’un traité commercial russo-américain datant de 1832. Par les termes de ce traité, les deux pays s’accordaient mutuellement des droits de séjours pour affaires pour les Russes et les Américains. Or, à partir du dernier quart du 19 e la Russie s’est mise à restreindre la délivrance de passeports pour les Juifs d’Amérique. Au départ, durant sa campagne électorale, Taft s’était engagé à soulever cette question avec la Russie, mais en 1910 il n’avait toujours rien fait, pressé d’agir, il a déclaré qu’il ne pouvait pas mettre en péril la prospérité économique de 98 millions d’Américains pour en satisfaire deux millions.

Ceci signifiait la guerre pour Schiff qui a aussitôt apporté 25 000 $ pour une campagne publique. En décembre 1911 le congrès auditionnait Schiff, se rangeait de son côté et le traité fut abrogé. Schiff exulte « La Russie a reçu une claque de la part d’une grande nation un acte de la plus haute importance pour l’histoire de la civilisation. » Oui, sachant que l’important dans l’affaire n’était pas tant le coup porté à la Russie que d’avoir réussi à le faire porter- contre sa volonté et son intérêt – par les Etats-Unis.  Taft commentera amèrement : « J’avais raison en m’opposant à l’abrogation, le ridicule est du côté de Schiff et de ses frères circoncis ». Autrement dit, « J’ai essayé de contrecarrer la prise de pouvoir par les Juifs aux USA, mais j’ai échoué ». Cette affaire aurait pu éclater bien plus tôt, pendant les deux mandats de Theodore Roosevelt de 1901 à 1908, mais Schiff a manifestement attendu d’avoir quelqu’un de plus faible en face de lui. L’année suivante, Wilson qui avait fait campagne en faveur de l’abrogation, et donc contre la Russie, fut élu.

On commence à comprendre pourquoi les USA sont entrés en guerre si tardivement, presque trop tard, en avril 1917 : parce qu’en Amérique aussi il y avait des membres du bouclier rouge.

En 1917 donc, la révolution n’était ni Russe ni limitée à la Russie.

Francis Goumain

Photo: Jacob Schiff

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