16/10/2018 2 articles les-crises.fr  13 min #147073

Le pire scénario de l'armée américaine : La conquête d'une grande partie de l'Afrique par l'Ei, Al Qaïda et Boko Haram. Par Nick Turse

Source :  The Intercept, Nick Turse, 12-09-2018

Photo Illustration : Elise Swain/The intercept ; Photos : Getty Images (4)

Qu'est-ce qui empêche le général Thomas Waldhauser, chef du Commandement des États-Unis pour l'Afrique, (AFRICOM) de dormir ? On ne sait pas, mais les analystes sous son commandement s'inquiètent du fait que des organisations terroristes comme l'État islamique, Al-Qaïda et Boko Haram unissent leurs forces et déstabilisent de larges pans du continent africain.

Les documents de planification publiés en octobre 2017 et classés par Waldhauser détaillent les pires scénarios imaginés par le commandement. Ces prévisions, qui constituent une mise à jour du plan de campagne de l'AFRICOM et ont été obtenues par The Intercept en se référant à la loi sur la liberté de l'information, portent sur la possible augmentation des organisations terroristes dans le nord et l'ouest du continent, notamment en Libye, au Sahel et dans le bassin du lac Tchad. Ils offrent une vision cauchemardesque d'une région déstabilisée et en crise qui pourrait - si le pire se produisait - tomber de plus en plus sous le contrôle d'al-Qaïda, de l'EI et de Boko Haram.

L'Afrique du Nord et de l'Ouest ont connu une implication militaire intense de la part des États-Unis au cours de la dernière décennie. Comme The Intercept l'a rapporté plus tôt cette année, les États-Unis ont mené environ  550 frappes de drones en Libye depuis 2011 - plus qu'en Somalie, au Yémen ou au Pakistan. En juillet, Politico a révélé que depuis au moins cinq ans, les Bérets verts, les Navy SEALs [force spéciale de la marine de guerre des États-Unis, NdT] et d'autres commandos - opérant sous une autorité budgétaire opaque connue sous le nom de Section 127e - ont été impliqués dans  des raids de reconnaissance et d'« action directe » avec les forces locales au Cameroun, Libye, Mali, Mauritanie, Niger, et Tunisie. Entre 2015 et 2017, il y a également eu  au moins 10 attaques non signalées contre des troupes américaines en Afrique de l'Ouest, a révélé le New York Times en mars. En octobre dernier,  quatre soldats américains ont été tués dans une embuscade de l'EI au Niger. Deux mois plus tard, des Bérets verts combattant aux côtés des forces locales dans ce même pays  auraient tué 11 militants de l'EI.

Cette révélation intervient alors que Waldhauser a soumis une proposition, en réponse à la stratégie de l'administration Trump qui est de se concentrer de plus en plus sur  les menaces que représentent la Chine et la Russie, de réduire considérablement le nombre de commandos américains sur le continent et de  fermer plusieurs bases, selon un récent article du New York Times. L'AFRICOM n'a pas répondu aux demandes d'interview de Waldhauser.

Les documents de l'AFRICOM imaginent un avenir dans lequel l'État islamique consoliderait son contrôle sur l'est de la Libye - une région déstabilisée par l'intervention militaire de l'OTAN en 2011 qui a renversé l'autocrate Muammar Kadhafi. EI, dans ce scénario, dominerait les grandes villes et développerait des liens étroits avec les milices locales et les « structures tribales ». Selon les dossiers, l'EI pourrait alors utiliser les recettes pétrolières pour financer une vaste campagne de terreur. « L'EI et ses branches associées pourraient alors commencer à planifier et à mener des attaques à grande échelle et à fort impact contre des cibles occidentales en Afrique du Nord et en Europe », toujours selon les dossiers.

Les experts disent que ces scénarios sont en général plausibles, mais manquent de finesse. Peu d'éléments donnent à penser que beaucoup de temps ou d'efforts ont été consacrés à l'élaboration de ces prévisions cauchemardesques. Des aspects clés - comme les mesures de protection probables qui empêcheraient probablement que des projections aussi sombres ne se réalisent - ne sont pas mentionnés. Un ancien analyste du renseignement américain, qui a demandé à ne pas être nommé par crainte de compromettre ses relations avec les responsables actuels, a qualifié de « ridicule » un scénario impliquant Boko Haram et l'EI en Afrique de l'Ouest en raison de son improbabilité. Des contrôles supplémentaires sur les militants, comme les groupes d'autodéfense et les forces d'autodéfense locales, empêcheraient presque certainement que le pire scénario ne se réalise.

Parmi les préoccupations de l'AFRICOM figure une alliance potentielle entre l'EI et Ansar al-Sharia-Benghazi, ou ASB, dont les membres auraient pris part à  l'attaque meurtrière contre le consulat américain à Benghazi, en Libye, en septembre 2012. Une telle fusion, prévient le commandement, fournirait à l'État islamique des réseaux d'approvisionnement sophistiqués et un important contingent de combattants expérimentés et bien armés. La combinaison du pouvoir local de l'ASB et des « tactiques agressives » de l'EI pourrait permettre au groupe d'expulser de Benghazi l'armée nationale libyenne, dirigée par le général Khalifa Haftar.

Juste au sud, dans les pays de la région du Sahel, le scénario cauchemardesque de l`AFRICOM implique l'union de l'EI et d`Al Qaïda au Maghreb islamique, ou AQMI, groupes terroristes concurrents avec lesquels ils ont rivalisé antérieurement. Les projections expriment la crainte que « les agents de l'AQMI et de l'EI s'associent pour préparer des attaques contre les autorités américaines, occidentales et locales dans le but de démontrer la portée de cette fusion ». Une telle vague de violence, préviennent les documents, permettrait à l'organisation terroriste hybride de faire des incursions en Algérie, au Mali et en Tunisie, « unifiant les extrémistes à travers la région ». Cela permettrait à son tour d'y lancer des attaques à grande échelle contre les soldats de la paix des Nations unies ainsi que des enlèvements et des « opérations d'assassinat » contre les Occidentaux.

« D'ici cinq ans, les groupes rétabliront leur contrôle du territoire nord malien jusqu'à Tombouctou et maintiendront des relations étroites et de coopérations avec les groupes rebelles maliens pour assurer une gouvernance efficace du territoire acquis » selon les prévisions les plus sombres de l'AFRICOM.

Le général Tom Waldhauser, commandant des forces américaines en Afrique (AFRICOM), assiste à une conférence de presse après une réunion sur la sécurité avec le gouvernement de réconciliation nationale dans la capitale libyenne,Tripoli, le 31 mai 2018. (Photo par STRINGER / AFP/ Getty Images)

Selon les termes de  la proposition de Waldhauser de réduire le nombre de commandos américains opérant en Afrique de 25 pour cent sur 18 mois et de  50 pour cent sur trois ans, les réductions de troupes diminueraient fortement en Afrique centrale et occidentale, à commencer par des pays comme le Cameroun et le  Niger. C'est précisément dans cette région que l'AFRICOM, dans ses documents de planification pour 2017, a envisagé ce qui semble être son scénario le plus sombre.

Si les efforts régionaux de lutte contre le terrorisme échouent et que Boko Haram et l'EI-Afrique de l'Ouest reçoivent des fonds suffisants, a averti AFRICOM, les groupes commenceront à exercer une domination territoriale sur une grande partie du nord-est du Nigeria et le bassin du lac Tchad - y compris le contrôle de facto sur certaines régions du Cameroun et du Niger. « En deux ans, BH et l'EI-WA (WA: West Africa) pourraient devenir une destination pour un djihad mondial destructeur, recevant des combattants étrangers régionaux et mondiaux pour entraînement et endoctrinement », préviennent les documents de planification.

L'AFRICOM n'a pas répondu aux questions de The Intercept concernant le projet de retirer sept  des huit unités d'élite antiterroristes opérant en Afrique et les avant-postes militaires proches en Tunisie, au Cameroun, en Libye et au Kenya, ni comment cela pourrait affecter les efforts militaires américains par rapport aux pires scénarios du commandement. Mais le nombre de  groupes terroristes et  d'attaques terroristes a augmenté en même temps que le nombre de déploiements contre les commandos américains. Au lendemain de l'attentat meurtrier de 2017 au Niger, un expert a déclaré à The Intercept que « la présence militaire américaine plus importante a, au minimum, servi  d'outil de recrutement pour le nombre croissant de groupes terroristes opérant en Afrique occidentale ».

« Aucune décision officielle n'a été prise concernant les forces antiterroristes américaines opérant en Afrique », a déclaré le major Sheryll Klinkel par courriel. « L'effort d'optimisation ne signifie pas que nous allons nous retirer de la lutte contre le terrorisme, mais que les efforts doivent être "correctement proportionnés" pour être en phase avec les priorités actuelles en matière de sécurité, définies par la Stratégie de sécurité nationale et la Stratégie de défense nationale. »

Même si les scénarios cauchemardesques de l'AFRICOM ne se réalisent pas, le commandement entrevoit de nombreux problèmes à l'horizon. « Au cours des cinq prochaines années, l'Afrique restera mûre pour l'instabilité politique, les conflits et d'autres événements qui nécessiteront une aide humanitaire », préviennent les documents. « Le continent africain restera instable, imprévisible et caractérisé par des conflits et des troubles dans un proche avenir ».

Image du haut : L'image principale de cette illustration, une photo de février 2018, montre une vue aérienne de la périphérie de Maroua, dans la région de l'Extrême-Nord du Cameroun, où se déroule depuis 2014 un conflit entre le groupe terroriste islamique nigérian Boko Haram et l'armée camerounaise.

Source :  The Intercept, Nick Turse, 12-09-2018

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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