16/10/2018 tlaxcala-int.org  6 min #147082

La réalité de mes trois jours au Sahara Occidental occupé Notre réputation et le sort d'un peuple sont en jeu

 Heidi Hautala

Heidi Hautala est une eurodéputée verte finlandaise, vice-présidente du Parlement européen, et faisait partie de la délégation qui a visité le Sahara occidental en septembre.

Enfants dans le camp de réfugiés de Dakhla au Sahara occidental. Le programme de la visite avait fait l'objet d'un accord total avec les autorités marocaines, qui nous ont accompagnés aux côtés d'une flotte de "journalistes officiels " à chaque rencontre (Photo : Nations Unies)

En décembre 2016, la Cour de justice européenne a réaffirmé que le Maroc n'avait aucune souveraineté sur le Sahara occidental.

Par conséquent, l'accord commercial UE-Maroc a été illégalement appliqué à ce territoire.

Cette décision, un simple exposé des faits, a placé le conflit gelé du Sahara occidental au premier plan de l'agenda de l'UE, après plus de quatre décennies de passivité européenne ou même de complicité discrète avec la force d'occupation illégale dans la dernière colonie africaine.

Plutôt que de se conformer à la décision et de négocier un accord séparé avec le représentant du peuple du Sahara occidental, le Front Polisario, reconnu par les Nations unies, la Commission a choisi de donner la priorité à tout prix au maintien de ses relations avec son partenaire à Rabat.

Dans un tourbillon diplomatique, la Commission et le Maroc ont négocié une solution qui permettrait au Sahara occidental de continuer à faire partie de tout accord qui lui succéderait et ils retiennent maintenant leur souffle tandis que le Parlement européen évalue cette proposition.

Plutôt que d'obtenir le "consentement du peuple du Sahara occidental" requis par la CJUE, la Commission s'est rendue à Rabat afin de "consulter" les représentants du "peuple concerné par l'accord" et d'évaluer les avantages potentiels pour "la population locale".

Ingénierie démographique ?

Ce dernier objectif donne de facto crédit à la thèse d' un processus illégal et massif d'ingénierie démographique mené par le Maroc, faisant de la population autochtone sahraouie une minorité sur son propre territoire.

L'écrasante majorité des parties prenantes "consultées " était composée de Marocains ou de représentants locaux ayant un intérêt direct à préserver le statu quo.

On estime que sur les 112 parties prenantes que la Commission prétend avoir consultées, 94 d'entre elles ont refusé de participer à la consultation ou n'ont même jamais été invitées à y prendre part.

Suite aux demandes répétées des parlementaires Verts/ALE, la commission a dû admettre qu'elle ne dispose d'aucune donnée sur le commerce existant avec et depuis le Sahara occidental.

Une délégation de la Commission du commerce international (INTA), dont je faisais partie, a visité les villes de Dakhla et d'El Ayoun en septembre.

Le programme de la visite avait été entièrement convenu avec les autorités marocaines, qui nous ont accompagnés aux côtés d'une flotte de " journalistes officiels " à chaque rencontre.

En outre, la délégation de l'INTA n'a pas voyagé en dehors de la partie occupée par le Maroc.

Nous avons cependant appris que les autorités marocaines sont catégoriques dans leur intention de continuer à étiqueter les produits du Sahara occidental comme marocains, même si l'arrêt de la CJUE indique clairement que le Sahara occidental et le Maroc sont "deux territoires séparés et distincts".

Le retour à la réalité est venu quand j'ai décidé d'avoir une réunion supplémentaire avec des militants sahraouis.

Hautala : Le retour à la réalité est venu quand j'ai décidé d'avoir une rencontre supplémentaire avec des militants sahraouis (Photo : Parlement européen)

Incident étrange

Les autorités marocaines ont utilisé une méthode classique pour harceler les défenseurs des droits humains : les militants ont été arrêtés pour ne pas avoir porté leur ceinture de sécurité.

Après des heures de discussions avec un nombre démesuré de policiers en civil, certainement plus que nécessaire pour une infraction mineure au code de la route, et après m'être fait dire de façon assez agressive que je ne devrais pas avoir de rencontres en dehors de la mission, nous avons réussi à partir et à tenir la réunion aux petites heures du matin.

Je me demande comment la police de la circulation pouvait avoir autant d'informations.

Les Sahraouis que nous avons rencontrés nous ont expliqué que leur vie quotidienne est pleine de tels épisodes. Ils nous ont montré plusieurs vidéos d'une manifestation qui a eu lieu le même jour.

Certains des militants se sont retrouvés à l'hôpital après avoir été victimes de brutalités policières. Tout cela s'est produit alors que la délégation parlementaire étaient abondamment nourrie par les autorités locales installées par le Maroc, présentant les perspectives extraordinaires de développement d'un nouvel accord négocié avec une administration marocaine bienveillante.

Certains parlementaires affirment que "nous ne devons pas nous opposer au développement " au Sahara Occidental et que s'opposer à l'accord proposé se ferait au détriment de la population à laquelle il apporterait commerce, emplois et revenus.

Cette déclaration ignore le fait fondamental : cet accord consoliderait l'annexion illégale du Sahara occidental par le Maroc et irait directement à l'encontre des efforts de paix menés par l'ONU, en divisant le territoire du Sahara occidental en deux et en renforçant une des parties au conflit.

Quelles seraient les raisons incitant Rabat à s'engager véritablement dans les pourparlers de paix de l'ONU prévus début décembre, quand elle a la bénédiction de l'UE pour continuer à ignorer le droit international et qu'elle a tout à gagner d'un nouvel accord commercial avec Bruxelles ?

Si le Parlement européen donne son accord à cet accord, la CJUE l'annulera très probablement.

Nous devons nous en tenir aux principes du droit international au lieu de signer des accords qui violent clairement l'État de droit et le droit du peuple sahraoui à se réunifier et à jouir de son droit à l'autodétermination. Notre réputation et le sort d'un peuple sont en jeu.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  euobserver.com
Publication date of original article: 11/10/2018

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