16/10/2018 arretsurinfo.ch  16 min #147094

Préserver le modèle d'Etat suisse: Oui à l'initiative populaire «Le droit suisse au lieu de juges étrangers»

Pour mémoire. Votation sur l'EEE en 1992.

Le 6 décembre 1992, les Suisses les plus clairvoyants ont dit NON à l'EEE, soutenant l'initiative du parti UDC combattue par tous les partis politiques (de la gauche au centre). [Crédit photo Keystone]

«Parce que l'électorat perturbe les projets de la classe politique et des grandes entreprises internationales, on installe un tapis de propagande constante contre toute tentative visant à empêcher l'ouverture illimitée de la Suisse et à préserver sa souveraineté et sa démocratie directe.»

L'initiative populaire «Le droit suisse au lieu de juges étrangers» (initiative pour l'autodétermination)

Source:  Zeit Fragen  N° 23, 15 octobre 2018

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

«La Constitution fédérale est la source suprême du droit de la Confédération suisse.» [...] Elle «est placée au-dessus du droit international et prime sur celui-ci, sous réserve des règles impératives du droit international.» C'est le cœur de l'initiative. Le reste de son contenu découle de ce principe (texte de l'initiative, cf. encadré).
En principe, dans la Suisse au système de la démocratie directe, où le peuple est le législateur suprême, cela est une évidence. Pourtant la politique, l'économie et les médias s'élèvent contre cette initiative: les raisons principales invoquées seraient une «atteinte aux droits de l'homme» et la transformation de la Suisse en un partenaire contractuel peu fiable. Quel est le véritable objectif de l'initiative et comment doit-on interpréter ces objections? Par la suite, nous allons traiter ces deux questions.

L'initiative pour l'autodétermination n'exige rien de révolutionnaire, elle veut uniquement revenir à ce qui est déjà ancré dans la Constitution.

Objectif de l'initiative pour l'autodétermination

Les initiatives populaires adoptées dans les urnes par le peuple et les cantons sont incorporées dans la Constitution fédérale en tant que nouvelles normes juridiques. Elles doivent être mise en œuvre par le Parlement dans des lois correspondantes et par la suite appliquées par les tribunaux et l'administration. Cette mise en œuvre de la volonté populaire dans la loi et la pratique est de plus en plus souvent ouvertement refusée. La position juridique du peuple suisse en tant que souverain et autorité suprême de l'Etat, est aussi de plus en plus remise en question de manière agressive dans de nombreux médias. L'«initiative pour l'autodétermination» a été lancée pour obliger les autorités suisses à accepter que la démocratie directe soit et reste la pierre angulaire de la structure étatique suisse.

Par «droit international», placé en dessous des dispositions constitutionnelles, on entend des accords internationaux tels que l'accord sur la libre circulation des personnes avec l'UE ou la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) ou son interprétation excessive par la Cour européenne des droits de l'homme. Le Conseil fédéral, le Parlement et le Tribunal fédéral ne devraient plus pouvoir ignorer les articles constitutionnels acceptés par le peuple souverain, tels que l'expulsion des étrangers criminels ou le contrôle de l'immigration, simplement parce que leur application ne convient pas aux juges de Strasbourg ou à la Commission européenne. L'initiative va également à l'encontre de l'accord-cadre institutionnel prévu: son intention de transposer le futur droit communautaire en droit suisse en contournant le peuple souverain viole le principe fondamental de notre Constitution basée sur la démocratie directe. Car cela paralyserait le droit d'initiative et de référendum dans de nombreux domaines.

Pourquoi cette contre-campagne massive? Souvenirs du Non à l'EEE en 1992

Il est étonnant de voir quelles terribles conséquences les opposants profèrent pour le cas où l'initiative pour l'autodétermination serait adoptée. Vous souvenez-vous de la votation de 1992, lorsque le peuple suisse a rejeté l'adhésion à l'EEE? L'économie suisse s'effondrera, avaient averti les militants pour l'adhésion à l'UE (le conseiller fédéral Adolf Ogi avait salué l'EEE comme un ‹camp d'entraînement› pour l'adhésion à l'UE). Mais ces sombres prophéties ne se sont pas réalisées. Au contraire, la Suisse fait mieux que la plupart des pays européens, non seulement grâce aux accords bilatéraux, mais parce que, malgré de nombreux compromis sur sa souveraineté, elle est toujours et encore beaucoup plus indépendante que les autres pays. Cela est dû notamment à la démocratie directe - réalité qui ne convient pas à tout le monde. Parce que l'électorat perturbe les projets de la classe politique et des grandes entreprises internationales, on installe un tapis de propagande constante contre toute tentative visant à empêcher l'ouverture illimitée de la Suisse et à préserver sa souveraineté et sa démocratie directe.

Il faut toujours être conscient de ces antécédents quand on lit les déclarations trompeuses, voir parfois scandaleuses des opposants à l'initiative pour l'autodétermination.
Au Conseil national, une intervenante n'a pas hésité à exprimer son dédain de la démocratie directe: «L'UDC exige que ses initiatives soient mises en œuvre, même si elles violent les normes internationales et les droits de l'homme. C'est l'équivalent d'une dictature populaire.» (Martina Munz). Et Cédric Wermuth fait même une comparaison avec la terreur de Robespierre, justifiée par ce dernier en affirmant «qu'il est fondé démocratiquement par la majorité de la population [...]. Cela est exactement l'esprit émanant de l'initiative pour l'autodétermination.» (Procès-verbal du Conseil national du 6/6/18)
Soyons contents que ces prétendus «représentants du peuple» ne soient pas autorisés à invalider une initiative populaire au seul motif de la défense d'une opinion différente des auteurs de celle-ci!

Le Conseil fédéral s'exprime plus modérément, mais vise également à affaiblir la démocratie directe: «Ce qui est clair, c'est que l'initiative remettra constamment en question les engagements internationaux de la Suisse. Dès qu'une contradiction apparaîtra entre une disposition constitutionnelle et un traité international, la Suisse sera obligée de renégocier le traité et, au besoin, de le dénoncer. [...] L'initiative restreint par ailleurs la marge de manœuvre dont disposent le Conseil fédéral et le Parlement pour mettre en œuvre des dispositions constitutionnelles contraires au droit international. La recherche pragmatique de solutions disposant d'un large soutien [...] ne serait plus possible.» (Communiqué de presse du Conseil fédéral du 5/7/17)

Le Conseil fédéral fait ainsi demi-tour. Oui, il a le devoir de renégocier les traités contraires à la Constitution (ou, pour le dire moins dramatiquement: de faire une réserve ou de proposer un protocole additionnel). L'initiative s'oppose justement en particulier aux «solutions pragmatiques» choisies pour contourner la volonté du peuple, comme la loi sur l'article constitutionnel «gestion de l'immigration» rédigé par le Conseil fédéral et le Parlement sous la pression de la Commission européenne. Par contre, le fait d'accuser les auteurs de l'initiative de vouloir remettre en question tous les accords avec l'étranger est carrément absurde.

L'initiative pour l'autodétermination met fin à l'«ouverture de la Suisse» vers l'UE

L'initiative serait hostile à l'économie, pouvait-on entendre au Parlement (par exemple au Conseil des Etats selon le communiqué de l'ats du 13 mars). Mais également plus concrètement sur la «plate-forme de politique européenne» de swissmem: «plus de 600 accords économiques seraient en danger» - on ne peut guère être plus stupide! Comme si les auteurs de l'initiative voulaient démanteler la place économique - alors que les électeurs font pleinement partie de l'économie en tant qu'entrepreneurs et employés ou travailleurs! La raison pour laquelle les adeptes de l'UE sont si nerveux est facile à comprendre: «Cette votation sera décisive pour les prochains scrutins au sujet de la politique européenne: la Suisse restera-t-elle sur la voie bilatérale [donc la conclusion prévue de l'accord-cadre anti-démocratique, mw.] ou va-t-elle se détourner de l'Europe?» (swissmem)

Comme si les Suisses voulaient «se détourner de l'Europe»! Notre pays est situé au centre de l'Europe et a toujours été économiquement et culturellement lié avec nos pays voisins, les autres peuples d'Europe et du monde. Mais nous voulons contrôler nous-mêmes le sort de notre pays, correspondant à ce qui est défini dans la Constitution fédérale. C'est précisément ce qu'exige l'initiative d'autodétermination: elle ne veut pas d'«ouverture de la Suisse» au détriment des droits politiques des citoyens. Elle demande aux membres du Conseil fédéral de ne pas oublier de quel côté de la table ils se trouvent lors des négociations avec l'UE. De la part des parlementaires fédéraux, elle exige de ne pas se laisser guider par Bruxelles dans leurs activités législatives. Des juges du Tribunal fédéral, elle exige de se sentir en premier lieu obligés face à la Constitution fédérale et de rester indépendants de Bruxelles et Strasbourg lors de leurs prises de décisions juridiques.

Sécurité juridique pour qui?

L'initiative montre une voie praticable pour préserver non seulement la démocratie directe, mais aussi la stabilité et la sécurité juridique. Il est étonnant que certaines personnes pensent toujours et encore que la soumission au droit communautaire apporte davantage de sécurité juridique - alors que nous avons déjà vu à plusieurs reprises que Bruxelles prend des sanctions contraires aux accords bilatéraux et totalement arbitraires contre la Suisse, lorsque nous émettons à haute voix le désir de négocier un nouvel arrangement.
Ou bien les directions des grandes entreprises à vocation internationale - souvent peu familiarisées avec la Constitution suisse et la démocratie directe - pensent-elles à une autre «sécurité juridique»? Une intégration plus étroite dans un système juridique dicté par les Etats-Unis, l'OCDE et l'UE? Entre partenaires égaux - et la Suisse ferait bien d'agir sur le même pied d'égalité avec les autres Etats ou groupes d'Etats - il doit être possible d'être actif dans les relations internationales tout en préservant son propre système juridique. C'est ce que l'initiative veut récupérer.

Pas d'attaque contre la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH)...

La matraquage idéologique dans les deux Chambres fédérales était carrément grotesque par l'affirmation de la remise en question de la garantie des droits de l'homme par l'initiative. Au Conseil national, elle a même été rebaptisée «Initiative contre les droits de l'homme» (communiqué de l'ats du 30 mai). Il y a un an déjà, le Conseil fédéral avait affirmé que l'adoption de cette initiative pourrait «conduire à une situation dans laquelle la Suisse ne pourrait plus appliquer de manière permanente et systématique les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH)» et qu'elle pourrait donc être exclue du Conseil de l'Europe (communiqué de presse du 6/7/17).

On pourrait presque penser qu'avant la ratification de la CEDH par la Suisse en 1974, les droits de l'homme étaient inconnus en Suisse. Les auteurs de l'initiative s'y opposent en disant: «La Suisse garantit depuis longtemps les droits de l'homme et les droits fondamentaux dans sa Constitution. L'initiative pour l'autodétermination n'a rien à voir avec une attaque contre ces derniers, bien au contraire. L'objectif de l'initiative pour l'autodétermination est de protéger ces droits par des juges suisses qui, contrairement aux juges de Strasbourg ou de Luxembourg, connaissent la situation suisse et l'importance de notre ordre démocratique. On oublie volontiers que tous les droits de l'homme consacrés par le droit international sont inscrits dans la Constitution fédérale suisse sous l'expression ‹droits fondamentaux› [...].» (Argumentaire de l'initiative populaire «Le droit suisse au lieu de juges étrangers» [«Initiative pour l'autodétermination»] du 10 mars 2015)

La CEDH a été adoptée à la suite des atrocités de la Seconde Guerre mondiale comme lien entre les anciens Etats de guerre et pour garantir mutuellement les droits de l'homme les plus fondamentaux si terriblement ignorés. Pour la Suisse, la garantie des droits fondamentaux mentionnés dans la CEDH était si évidente que l'adhésion était davantage considérée comme une expression de solidarité avec les autres Etats européens et n'était donc pas soumise au référendum. Aucun Suisse ne s'est jamais opposé ou ne s'oppose actuellement à la CEDH. Les auteurs de l'initiative ne cherchent pas à dénoncer la CEDH parce qu'ils n'ont rien contre son catalogue de droits fondamentaux. Ils veulent uniquement négocier une réserve sous forme d'un nouveau protocole additionnel (il existe déjà de nombreux amendements, réserves et protocoles additionnels à la CEDH). Il est bien probable que d'autres pays y participeront volontiers.

... mais une opposition ferme à l'ingérence de la Cour européenne des droits de l'homme

En 1998, le droit de recours des Etats a été élargi - également sans droit de référendum - à tout personne individuelle contre un Etat membre et on a créé à Strasbourg la «Cour européenne des droits de l'homme» en tant que Cour permanente. Depuis lors, le nombre de plaintes a augmenté de façon exponentielle. Des dizaines de milliers de cas sont actuellement en attente. L'interprétation des droits individuels de la CEDH par une chambre de juges de différents Etats européens sans connaissance de l'Etat accusé et de sa culture juridique aboutit très souvent à des%20résultats choquants. La décision de suppression des crucifix contre l'Italie est largement connue, décision selon laquelle il devait être interdit dans toutes les écoles italiennes d'avoir un crucifix au mur - soi-disant pour protéger la liberté de religion (art. 9 CEDH). Après une tempête de protestations dans l'Italie catholique et le clair refus du gouvernement de Rome d'appliquer le verdict, la Cour est revenue sur sa décision.

Il existe également un certain nombre de décisions irréalistes à l'encontre de la Suisse. Le fait que l'une des 47 juges soit une Suissesse ne nous est guère utile, car elle prend souvent le parti de la «victime». En règle générale, la Suisse doit également payer les frais de justice et d'avocat en cas de rejet d'une plainte, si le plaignant est sans ressources ou requérant d'asile. Certains arrêts concernent l'expulsion de criminels étrangers, dont le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH) est protégé par la Cour, même s'ils ne mènent pas de vie familiale stable en Suisse et sont à la charge de l'aide sociale (par exemple l'arrêt du 16/4/13). Lorsque la «Cour européenne des droits de l'homme» a condamné la Suisse pour violation de la liberté d'association, même les juges fédéraux suisses ont exprimé leur incompréhension: les autorités genevoises avaient dissous une association dont l'activité illicite était de squatter des maisons. Cette mesure stricte et lourde de conséquences financières pour les squatters avait remis en question la liberté d'association dans sa substance (arrêt du 11/10/11)! Selon la Cour des «droits de l'homme» de Strasbourg, la protection de la vie privée inclut également le droit des citoyens à une réglementation étatique claire sur l'aide au suicide (arrêt du 14/5/13). Une décision particulièrement choquante: une protection des droits fondamentaux digne de ce nom doit avant tout protéger la vie et non la mort!
Voilà quelques exemples d'une jurisprudence hors sol. Les tribunaux nationaux (et pas seulement en Suisse!) sont beaucoup plus aptes à juger où la protection des droits de l'homme d'un citoyen doit être garantie envers l'Etat et où ce n'est pas adéquat. Finalement, il est intéressant de noter que l'UE s'oppose depuis plusieurs années à l'adhésion à la CEDH, parce qu'il serait contraire à l'autonomie du droit de l'Union que la Cour de Strasbourg soit placée au-dessus de la Cour suprême de l'UE, la CJCE, et pourrait réexaminer ses arrêts avec effet contraignant. ( curia.europa.eu).
C'est précisément le point de vue de l'initiative pour l'autodétermination: il est contraire à l'autonomie du droit suisse qu'un tribunal étranger puisse juger les décisions du Tribunal fédéral avec effet contraignant.

Marianne Wüthrich

Source:  Zeit Fragen  N° 23, 15 octobre 2018

Initiative populaire «Le droit suisse au lieu de juges étrangers»

La Constitution est modifiée comme suit:

Art. 5, al. 1 et 4

1 Le droit est la base et la limite de l'activité de l'Etat. La Constitution fédérale est la source suprême du droit de la Confédération suisse.
4 La Confédération et les cantons respectent le droit international. La Constitution fédérale est placée au-dessus du droit international et prime sur celui-ci, sous réserve des règles impératives du droit international.

Art. 56a Obligations de droit international

1 La Confédération et les cantons ne contractent aucune obligation de droit international qui soit en conflit avec la Constitution fédérale.
2 En cas de conflit d'obligations, ils veillent à ce que les obligations de droit international soient adaptées aux dispositions constitutionnelles, au besoin en dénonçant les traités internationaux concernés.
3 Les règles impératives du droit international sont réservées.

Art. 190 Droit applicable

Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et les traités internationaux dont l'arrêté d'approbation a été sujet ou soumis au référendum.

Art. 197, ch. 12

12 Disposition transitoire ad art. 5, al. 1 et 4 (Principes de l'activité de l'Etat régi par le droit), art. 56a (Obligations de droit international) et art. 190 (Droit applicable)
A compter de leur acceptation par le peuple et les cantons, les art. 5, al. 1 et 4, 56a et 190 s'appliquent à toutes les dispositions actuelles et futures de la Constitution fédérale et à toutes les obligations de droit international actuelles et futures de la Confédération et des cantons.

Ndlr: A noter qu'Amnesty international intervient toujours dans le débat politique suisse en soutenant la position des partis qui, comme en 1992, ne défendent pas, en l'espèce, les intérêts des la Suisse et de ses citoyens. Lire:  Amnesty.ch

Source:  Zeit Fragen  N° 23, 15 octobre 2018

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