02/11/2018 reporterre.net  8 min #147752

Les travaux de l'Andra près de Bure menacent la tenue du débat public sur les déchets radioactifs

Dans la Meuse, l'Agence nationale de gestion des déchets radioactifs réalise des travaux en des points stratégiques de Cigéo, son projet d'enfouissement. Problème : l'agence n'a reçu aucune autorisation pour Cigéo, dont la pertinence doit être discutée lors du prochain débat public sur les déchets radioactifs. La Commission nationale du débat public s'en inquiète, révèle Reporterre.

L'Agence nationale de gestion des déchets radioactifs, l'Andra, cherche-t-elle à escamoter le débat public ? Depuis plusieurs semaines, engins et travailleurs du bâtiment ont été aperçus dans la Meuse. Plus précisément, ils ont été vus dans au moins quatre endroits du passage de la future voie ferrée destinée aux wagons de déchets radioactifs en direction du centre d'enfouissement de Bure.  Pour les opposants à ce projet de poubelle nucléaire, ces travaux constituent un nouveau « passage en force » de l'Agence pour faire accepter le projet Cigéo, alors même qu'un débat public sur les déchets nucléaires doit permettre d'ici quelques mois de questionner la faisabilité et l'utilité d'un tel projet.

Dans un courrier daté du 2 août 2018 que Reporterre a pu consulter,  la présidente de la Commission nationale du débat public, Chantal Jouanno, a d'ailleurs fait de la mise en retrait de l'Andra une condition sine qua non de la tenue du débat : « Un principe fondamental du débat public est que le maître d'ouvrage s'abstienne de prendre toute décision durant ce temps de concertation », a -t-elle insisté. Mme Jouanno a demandé expressément que « la concertation autour de la ligne ferroviaire » ainsi que « les opérations de défrichement, d'installation de clôtures ou de forages » nécessaires à l'étude d'impact global n'aient pas lieu en même temps que le débat public.


Dans sa lettre au ministre, Chantal Jouanno écrit : « Un principe fondamental du débat public est que le maître d'ouvrage s'abstienne de prendre toute décision durant le temps de la concertation ».

Pour réaliser Cigéo, l'Andra devrait en effet réhabiliter une ancienne voie de chemin de fer, la « ligne 027000 », afin de relier la ligne Paris-Strasbourg au centre d'enfouissement. Cette section de 40 kilomètres partirait de la gare de Nançois/Tronville jusqu'à la « zone descenderie », sur le territoire de Saudron, près de Bure, traversant plusieurs villages, dont Ligny-en-Barrois, Tréveray, Horville ou Gondrecourt-le-Château.  Lors d'une réunion d'information organisée par l'Andra sur ce sujet en septembre dernier, David Mazoyer, le directeur du centre Meuse-Haute-Marne de l'Andra, est resté évasif quant au nombre de colis radioactifs qui emprunteraient ce chemin de fer ainsi que sur la distance entre la voie et les habitations, « très variable ». Le premier train de déchets serait prévu à l'horizon 2030, mais des wagons transportant le matériel nécessaire aux travaux de construction du projet pourraient arriver dès... 2020.


La ligne 027000, section de 40 kilomètres qui partirait de la gare de Nançois/Tronville jusqu'à la « zone descenderie », sur le territoire de Saudron, près de Bure, traversant plusieurs villages, dont Ligny-en-Barrois, Tréveray, Horville ou Gondrecourt-le-Château.

Compte tenu des délais très courts annoncés, l'Andra a-t-elle décidé de prendre de l'avance sur les travaux, alors que le projet Cigéo ne bénéficie à l'heure actuelle d'aucune autorisation ? C'est ce que laissent à penser différents chantiers entrepris depuis le printemps. D'abord à Horville-en-Ornois, où des riverains ont constaté des travaux de déblaiement d'un chemin qui longe cette voie ferrée. « Quand nous avons demandé aux ouvriers ce qu'ils faisaient, ils nous ont répondu qu'il s'agissait d'aménager le chemin de promenade pour les habitants, en accord avec la mairie, a indiqué un habitant qui préfère garder l'anonymat. Mais cela pourrait aussi permettre d'amener des engins. »

Depuis cet été, Jean-François Bodenreider, kinésithérapeute établi à Gondrecourt-le-Château, a également observé des mouvements dans sa commune. « Nous avons vu plusieurs camions entrer et décharger des matériaux dans l'ancienne usine de meubles », a-t-il expliqué à Reporterre. L'Andra a acheté cette friche industrielle, située stratégiquement près de la future voie ferrée, en 2013, et obtenu un permis de démolir en août dernier.  Dans un communiqué publié mardi 30 octobre, l'Agence a indiqué qu'il s'agissait là d'une « deuxième phase de travaux » visant à déconstruire « des bâtiments techniques qui menacent de tomber en ruine ». Quant à la fonction du site, « c'est une annexe du laboratoire qui sert à entreposer du matériel et à conserver des échantillons de roche (carottes) issus de différentes campagnes d'investigations géologiques », a précisé l'Andra. Rien à voir donc avec le chemin de fer...

Des coïncidences suffisamment troublantes pour inquiéter les opposants

Cependant, toujours à Gondrecourt-le-Château, l'Andra a commencé à évacuer un ancien dépotoir à proximité des rails. « Si cette décharge se situe sur l'éventuel tracé de la future voie ferrée, cette opération ne préjuge pas des autorisations futures propres à la liaison ferroviaire et contribue, indépendamment de Cigéo, à la résorption d'un site pollué et à une amélioration de l'environnement local », écrit-elle dans son communiqué. D'après Jean-François Bodenreider, le conseil municipal aurait demandé à l'Agence d'effectuer ces travaux de nettoyage « afin d'économiser quelques dizaines de milliers d'euros, vu que l'Agence aurait dû de toute façon le faire pour aménager le chemin de fer ».


L'ancienne usine de meubles de Gondrecourt-le-Château, propriété de l'Andra, qui prévoit d'y détruire deux bâtiments.

Enfin, deux habitants de Bure et des alentours ont confirmé à Reporterre la venue d'agents de l'Andra mi-octobre devant l'ancienne gare de Luméville-en-Ornois, aujourd'hui occupée par des opposants. « Ils sont venus à plusieurs et des géomètres ont réalisé des mesures, a expliqué l'un d'eux, qui souhaite rester anonyme afin d'éviter la répression. Mais nous n'avons pas su s'il s'agissait d'une nouvelle provocation ou de travaux en lien avec la future ligne ferroviaire. » Fin septembre, des agents de l'Andra accompagnés de gendarmes mobiles s'étaient déjà rendus près de l'ancienne gare,  entrainant des tensions et trois gardes à vue.

Pris isolément, tous ces événements pourraient passer pour anecdotiques, « des chantiers dans le cadre de la gestion de notre patrimoine foncier et immobilier », comme l'a indiqué l'Andra. Sauf que ces travaux semblent se multiplier depuis plusieurs mois, et qu'ils ont tous eu lieu à proximité directe de la future voie ferrée. Des coïncidences suffisamment troublantes pour inquiéter les opposants. « La voie de chemin de fer est une étape particulièrement importante que l'Andra tente de franchir en 2019, ont-ils écrit  sur leur site. Il est donc urgent et nécessaire de lutter contre les travaux tant que ceux-ci n'en sont qu'à leur début, d'autant plus que, sans cette voie, le projet dans son ensemble ne peut aboutir. » Quant à la Commission nationale du débat public, restée jusqu'ici silencieuse, elle suit de très près les manœuvres des pelleteuses de l'Andra. Qui, si elles se continuent, pourrait remettre en cause le débat public.

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