05/11/2018 reseauinternational.net  7 min #147865

Un Venezuela immunodéficient ?

par Luis Britto García

Enfin, une ébauche du projet de nouvelle Constitution de la République Bolivarienne du Venezuela est rendue publique.

Il contient d’excellentes normes, qui coïncident avec nos indications précédentes. Ainsi, l’article 340 du Projet de réserves pour l’État, « l’activité d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides, solides et gazeux et, en général, de toutes ressources naturelles », et ne se limite pas uniquement aux hydrocarbures « liquides », comme la tendance actuelle. L’article 343 du projet prévoit que la République doit conserver une participation majoritaire, non seulement au sein de Petróleos de Venezuela SA (PDVSA), mais aussi dans ses entreprises communes. Son article 116 propose des peines sévères pour « spéculation, thésaurisation, usure, cartellisation, contrebande, contrebande d’extraction, boycott et autres crimes connexes ».

Cependant, l’article 1 du projet de Constitution présente déjà une grave omission en mentionnant :

« Les conditions irrévocables et inaliénables de la nation vénézuélienne sont la liberté, la souveraineté, l’indépendance, l’intégrité territoriale, l’autodétermination nationale et la doctrine de Simon Bolivar, le Libérateur, comme fondement de son héritage moral et de ses principes de liberté, d’égalité, de justice et de paix internationale« .

Ce faisant, il omet le principe fondamental de l’immunité, qui est consacré dans la Constitution actuelle comme suit :

« La nation a des droits inaliénables à l’indépendance, la liberté, la souveraineté, l’immunité, l’intégrité territoriale et l’autodétermination nationale« .

Que signifie cette « immunité », qui est éradiquée des Principes Fondamentaux du Projet actuel ? « L’immunité de juridiction » est le droit et le devoir du Venezuela de régler tous les différends relatifs à l’application de ses lois conformément à celles-ci et avec ses propres tribunaux, et donc de ne pas être soumis à des cours, tribunaux ou arbitres étrangers. L’omettre, c’est omettre la souveraineté.

Le projet actuel cite comme il se doit « la doctrine de Simon Bolivar, le Libérateur, comme fondement de son héritage moral et de ses principes de liberté, d’égalité, de justice et de paix internationale ».

Eh bien, c’est Simón José Antonio de la Santísima Trinidad Bolívar Palacios y Blanco lui-même qui, en 1817, a établi une fois pour toutes le principe de l’immunité de juridiction vénézuélienne à l’occasion de la confiscation de deux goélettes américaines portant des armes de contrebande pour les royalistes. L’envoyé américain Baptiste Irvine a déclaré que l’affaire devrait être jugée par les tribunaux américains. Le Libérateur a répondu catégoriquement et définitivement qu’il appartenait aux tribunaux vénézuéliens d’exercer leur souveraineté dans cette affaire. Abandonner le principe, c’est abandonner le héros qui nous l’a conquis pour nous.

Depuis lors, chaque fois que quelqu’un sent ses intérêts lésés par les décisions souveraines du Venezuela, il cherche à les faire juger par des tribunaux étrangers, et chaque fois il est condamné. Pour ne pas faire une histoire sans fin, entre 1902 et 1903, nous avons été bloqués, bombardés, envahis et pillés par quinze cuirassés anglais, allemands et italiens pour recouvrer les dettes supposées des entreprises des pays qui ne reconnaissaient pas notre système judiciaire.

Pour éviter que le Venezuela ne soit traîné devant les tribunaux étrangers, Hugo Chávez Frías, avec le consensus de tous les pouvoirs, nous a retirés du Centre International pour le Règlement des Différends Relatifs aux Investissements et de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme, et Delcy Rodríguez nous a délivrés de l’Organisation des États Américains (OEA).

Mais la loi sur la promotion et la protection des investissements étrangers prévoit que les arrêts de notre Cour Suprême de Justice puissent être corrigés par des tribunaux étrangers. Et l’article 156 du projet de Constitution prévoit :

« Dans les contrats d’intérêt du pouvoir populaire, si elle n’est pas inappropriée par sa nature, est considérée comme incorporée, même si ce n’est pas expressément, une clause selon laquelle les doutes et controverses qui peuvent surgir au sujet de ces contrats et qui ne peuvent être résolus à l’amiable par les parties contractantes, seront tranchés par les tribunaux compétents de la République Bolivarienne du Venezuela, selon ses lois, sans aucune raison ou cause pouvant donner naissance aux demandes étrangères« .

En outre, l’article 32 du projet de Constitution soumet les violations présumées des droits de l’homme commises au Venezuela à des tribunaux étrangers. Et l’on sait déjà que pour ces organismes internationaux, le principal (parfois le seul) droit de l’homme est la propriété, de préférence celle des grandes entreprises. Tout litige pour atteinte alléguée à des intérêts économiques pourrait donc se retrouver dans des instances internationales, comme cela a été conclu devant l’OEA, par exemple, la non-prolongation de la concession pour Radio Caracas Televisión (RCTV).

Nous le répétons pour ceux qui ne semblent pas vouloir le comprendre : si nous donnons aux tribunaux étrangers la compétence de statuer sur des questions d’ordre public et d’intérêt national interne, ils invalideront sur un coup de tête les jugements de nos tribunaux ; ils déclareront nos lois et nos actes gouvernementaux nuls et non avenus. Nous reviendrons au statut de colonie dont nous avons souffert avant le 19 avril 1810.

Avons-nous besoin d’une telle immolation de souveraineté dans l’espoir d’être sauvés par les mêmes capitales qui nous détruisent avec la guerre économique ? Au contraire, le 12 octobre 2018, le pétrole vénézuélien a rebondi à 75,08 $ le baril.

Même en supposant que notre production pétrolière a chuté à un million et demi de barils par jour, cela signifie toujours un revenu annuel d’environ 41 062 500 000 $, plus que suffisant pour acquérir les intrants nécessaires pour augmenter la production, respecter les engagements financiers et satisfaire les besoins fondamentaux de la population.

Pour que notre pays continue d’être souverain, il est indispensable que la future Constitution préserve l’immunité de juridiction et que, par conséquent, tout article, disposition ou accord visant à subordonner la République Bolivarienne du Venezuela à des cours, tribunaux ou commissions étrangers demeure sans effet.

Source :  ¿Venezuela inmunodeficiente?

traduit par Pascal, revu par Martha pour  Réseau International

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