10/11/2018 reporterre.net  4 min #148092

Gabriel, paysan pris à la gorge par une administration aveugle

Dans l'Eure, Gabriel, éleveur guidé par « un modèle de sobriété, d'efficience et de bon sens », a eu le malheur de croiser une administration « impitoyable », qui veut abattre des vaches saines, raconte l'auteur de cette tribune.

Pierre-Étienne Rault est paysan éleveur (brebis et vaches) dans le Morbihan. Il est également l'auteur du livre Végano-Sceptique. Regard d'un éleveur sur l'utopie végane (les éditions du Dauphin).


Pierre-Étienne Rault avec ses vaches

Il était une fois une ferme paysanne dans le département de l'Eure. Une ferme où le temps semblait s'être arrêté. Cinq petits hectares où le culte des forces productives n'était pas parvenu à planter son dard pour y diffuser son poison.

Durant quarante ans, un homme, Gabriel Dufils, a élevé des vaches et cultivé soigneusement son lopin de terre, vendant les fruits de son labeur sur les marchés locaux. Pendant quarante ans, Gabriel, inspiré par un modèle de sobriété, d'efficience et de bon sens, a dessiné et façonné son microterritoire.

L'histoire de Gabriel aurait pu continuer ainsi, au moins jusqu'à sa retraite mais l'administration de l'Eure (la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations, DDCSPP), aux premiers jours de l'été 2011, en a décidé autrement.

Un contrôle a été effectué sur la ferme. Le constat a été vite posé : trois jeunes bovins appartenant à Gabriel n'avaient pas de boucles d'identification. La sanction n'a pas tardé à tomber. L'ensemble du troupeau a été immobilisé et la menace d'abattage a plané sur les trois bêtes non identifiées.

Abasourdi par cette situation invraisemblable, Gabriel a alors lancé une procédure qui a abouti en 2016 à l'invalidation par le Conseil d'État du contrôle mené par la DDCSPP en juin 2011.

Mais, entretemps, la machine administrative, aveugle, impitoyable, inhumaine s'est emballée. Elle a tenté et tente toujours d'écraser Gabriel Dufils comme elle l'a fait dans un autre département  pour Jérôme Laronze, tué par un gendarme le 20 mai 2017.

Des considérations aussi froides que désincarnées

Malgré l'interdiction de vendre ou d'abattre quelques-unes de ses bêtes, le paysan acculé et sous le joug d'une menace permanente a continué de reproduire ses vaches pour pouvoir continuer à vivre du lait transformé en yaourt. Aujourd'hui, la situation de la ferme de Gabriel Dufils n'est plus supportable. Son cheptel compte désormais 16 bovins pour cinq hectares et la totalité de ses maigres revenus sert à absorber les charges d'alimentation de ses animaux [1].

Je fais partie de ceux qui ont pénétré dans les locaux de la DDCSPP d'Évreux le mercredi 17 octobre pour exprimer leur solidarité avec Gabriel Dufils et réclamer les passeports des bovins retenus par l'administration. J'ai été témoin de l'arrogance, du mépris, de la confusion et du déni très prégnant dans les propos de la directrice de la DDPP (direction départementale de la protection des populations). Dans ces bureaux, où elle et d'autres fossoyeurs de la paysannerie officient, l'insensibilité semble être la norme et l'inhumanité la devise. Dans leur tour d'ivoire, la misère des paysans tout comme l'abattage d'animaux en pleine santé renvoient à des considérations aussi froides que désincarnées. Les chiffres et les réglementations semblent constituer des œillères pour que leurs consciences n'aient jamais à croiser le regard d'un paysan en détresse ou celui d'un animal que l'on a condamné pour sauver l'honneur d'une mise en conformité.

Aujourd'hui, j'ai honte d'être un paysan citoyen de ce pays où l'on harcèle à travers un dispositif d'État ceux qui pratiquent une agriculture respectueuse et pourvoyeuse d'une alimentation saine et durable.

Aujourd'hui, j'ai honte d'habiter un pays où l'on décide de la mort d'une bête au gré des humeurs administratives et des applications d'alinéas.

Aujourd'hui, plus que jamais la désobéissance paysanne semble être la seule échappatoire pour rester digne et affranchi d'une autorité aussi délirante que macabre.

 reporterre.net

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