12/11/2018 dedefensa.org  9 min #148154

Suicide, mode d'emploi

On s'arrêtera à ce remarquable texte d'Ivan Danilov, à partir d'un rapport du Pentagone dont l'analyste Andy Home, de Reuters, a obtenu une copie.  Le rapport a été diffusé en septembre au sein de la hiérarchie du Pentagone, sous le titre : « Assessing and Strengthening the Manufacturing and Defense Supply Chain Resiliency of the United States » ; il s'agit donc d'une estimation des capacités de la base industrielle et de la base technologique qui, aux USA, sont censées maintenir les forces armées en l'état d'une puissance jugée nécessaire pour la sécurité nationale de ce pays.

Les conclusions sont catastrophiques, notamment dans le chef de la disposition de très nombreux artefact et composants industriels et technologiques qui permettent aux systèmes d'armes de fonctionner ; conclusions catastrophiques dans le sens où les forces armées US dépendent pour leurs équipements d'un nombre considérable de fournisseurs extérieurs, non-nationaux, et particulièrement de fournisseurs chinois ; c'est-à-dire, d'un pays, d'une puissance, nommément désignée comme l'un des deux principaux, sinon le principal adversaire des USA dans les années et les décennies à venir. Le rapport, éclairé des commentaires de Danilov, donne nombre de détails parmi les 300 cas de dépendances de l'extérieur, suffisamment pour nous convaincre de l'aspect effectivement catastrophique de la situation.

Nous nous arrêterons plus précisément, pour notre compte, à ce qui est dit, fort justement sans aucun doute, des causes principales de cette imprévoyance, de cette irresponsabilité, de cet aveuglement. La chose, qui mérite d'être détaillée, est justement résumée par cette remarque dont nous soulignons de gras le segment qui nous paraît essentiel. En effet, il s'agit de cette notion d'exceptionnalisme selon laquelle on se trouve à "la fin de l'Histoire" et que les USA en sont la gare terminus ; ce simulacre de la conception historique, sinon de métahistoire de bazar, conditionne le reste en même temps qu'il décrit un état de l'esprit qui s'est installé à son paroxysme à la fin de la Guerre froide et qui est toujours présent, bien verrouillé et sans doute inexpugnable dans sa durabilité paroxystique, chez les élites du système de l'américanisme :

« La cupidité des entreprises américaines, l'idéologie de la globalisation et la conviction absolue d'être arrivé à la "fin de l'histoire" façon-Fukuyama sont, ensemble, sur le point de causer [et ont même d'ores et déjà causé] aux capacités de défense des États-Unis des dommages dont leurs opposants géopolitiques ne pouvaient même pas rêver. »

Cet "état de l'esprit", qui confine à une "paralysie de l'esprit" rien de moins, s'est installé aux USA au lendemain de la Guerre froide et particulièrement durant la présidence Clinton, jusqu'à s'épanouir durablement durant le deuxième terme. Nous avons décrit ce processus dans divers texte, et certainement le plus précisément à partir du livre Chronique de l'ébranlement (de PhG), dont nous avons publié  un extrait significatif. Il s'agit de ce moment, entre les deux mandats Clinton, où les USA "surmontèrent"  une crise de l'identité qui avait touché la base sociale de la population à partir de 1990-1991, en installant un simulacre complet qui imposa le contraire avec la création frauduleuse aussi bien inconsciente que factice d'une sorte de super-identité caractérisée involontairement et d'une façon symbolique par l'expression "hyperpuissance" (d'ailleurs créée à l'époque par le ministre français des affaires étrangères Védrine). C'était l'époque (juin 1998) où le président de la Fed, l'historique et inénarrable Alan Greenspan, se manifestait de cette façon (Chronique de l'ébranlement) :

« Résumons tout cela par un spectacle insolite, fort peu noté parce qu'on n'ose plus s'étonner de la grande République de crainte d'être mal noté, et rapporté sans étonnement par un article de première page de l'International Herald Tribune du 11 juin 1998 : le président de la Fed, le si fameux et si sérieux Alan Greenspan, venu témoigner devant une Commission du Sénat et disant aux parlementaires qu'il existe, bien qu'il n'en soit pas lui-même l'adepte, une école de pensée dans les milieux économiques américaines avançant que l'économie américaine atteint de tels sommets qu'elle a changé de substance, qu'elle échappe aux lois de l'histoire, qu'elle est, comme dit précisément Greenspan, "beyond history"... »

Cette création fixait effectivement le monde en l'état, avec une domination-hégémonique des USA installée effectivement ad vitam aeternam. Tout juste était-il nécessaire de le rappeler de temps en temps pour les têtes de linottes françaises (à cette époque), russes, etc, pour ce cas au lendemain du 11-septembre sous la rubrique "virtualisme-narrative" (« Nous sommes  un empire désormais, et lorsque nous agissons nous créons notre propre réalité ».)

C'est sans aucun doute à la gestion et aux décisions de l'administration Clinton que nous devons l'"opérationnalisation" de cet extraordinaire simulacre au niveau industriel, et particulièrement au niveau stratégique des bases industrielle et technologique si nécessaires au Pentagone. L'administration Clinton, et donc le Pentagone, s'engagèrent dans une politique forcenée de privatisation et de globalisation des processus, où la "compétitivité" des contractants, - c'est-à-dire leur frénésie de profit, - aux USA et hors des USA dirigeait impérativement les choix. (C'est bien entendu à cette époque que fut conçu le JSF, futur F-35, parfaite illustration des conceptions présidant au simulacre.) Personne ne pouvait penser une seconde qu'en s'orientant vers des fournisseurs chinois de tel ou tel composant de tel ou tel système d'armes, on se liait d'une façon à la fois suspecte et très-risquée à une puissance qui deviendrait bientôt un concurrent, et plus tard, au-delà du rêve et dans le royaume-simulacre où règne le Russiagate et autres élucubrations du même type, un ennemi potentiel acharné à sauvagement déflorer la vertueuse Amérique.

Le processus surpuissance-autodestruction est imparable, dans une sorte de perfection archétypique. Les USA ont installé tous les instruments, - globalisation, privatisation extrême (de ce qu'il restait à privatiser), schizophrénie exceptionnaliste de la psychologie, sacralisation du profit et de la cupidité, - qui mettent aujourd'hui en péril leur puissance (leurs capacités militaires) et leur existence même (la "guerre civile froide" de "D.C.-la-folle"). Le récit que nous fait Danilov, à partir du constat des experts du Pentagone qui ne servira strictement à rien et ne changera aucune des orientations d'autodestruction qui infestent la psychologie, - ce récit mesure l'effondrement de l'autosuffisance technologique et stratégique qui a toujours été à la base de la puissance US.

Les efforts anti-globalistes de Trump pour "réindustrialiser" les USA à l'aide d'une politique de piraterie qui dresse the Rest Of the World contre les USA n'a effectivement, strictement aucune chance de donner le moindre résultat, étant donné que tous les travers du capitalisme US restent en place et fonctionnent en mode-turbo ; le seul bienfait, on le connaît, est ceci que la politique-Trump d'isolationnisme et de protectionnisme accroîtra et accroît déjà prodigieusement le désordre en général, l'état catastrophique des restes de l'empire, l'affrontement intérieur aux USA et la crise terminale du technologisme.

(On notera qu'un complément de très grande qualité et extrêmement détaillé sur l'état catastrophique de la puissance militaire US, de sa base industrielle et technologique, du technologisme, etc., se trouve dans un très long article d'analyse de  SouthFront.org.)

Le texte de Ivan Danilov (« Le Pentagone réalise son erreur... Les Chinois ont mis l'armée américaine à leur merci ») vient de [applewebdata://5E61C831-0E08-469D-A949-E41DFF5D09C2/:  RIA.ru.] Il a été traduit (en anglais) par Ollie Richardson & Angelina Siard pour  Stalkerzone.org, puis repris par le  Saker-US et enfin traduit en français par  LeSakerfrancophone, - que nous remercions.

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