28/11/2018 reseauinternational.net  11 min #148893

La marine ukrainienne viole l'espace maritime russe

La pièce qui vient de se jouer dans le détroit de Kertch : titiller l'ours russe

L’Occident se plaint de « l’agression » russe, mais l’incident ressemble davantage à un stratagème bon marché d’un président ukrainien désespéré et de conservateurs américains soucieux de miner le prochain pow-wow de Trump avec Poutine

Par PEPE ESCOBAR 

Lorsque la marine ukrainienne a envoyé dimanche un remorqueur et deux petites canonnières pour se frayer un chemin à travers le détroit de Kertch jusqu’à la mer d’Azov, elle savait d’avance que la réponse russe serait rapide et sans merci.

Après tout, Kiev entrait dans les eaux revendiquées par la Russie avec des navires de guerre sans préciser leur intention.

L’intention, cependant, était claire : faire monter les enjeux dans la militarisation de la mer d’Azov.

Le détroit de Kertch relie la mer d’Azov à la mer Noire. Pour atteindre Mariupol, une ville clé de la mer d’Azov très proche de la dangereuse ligne de démarcation qui sépare l’armée ukrainienne des milices pro-russes du Donbass, la marine ukrainienne doit passer par le Kertch.

Cependant, depuis que la Russie a repris le contrôle de la Crimée via un référendum de 2014, les eaux autour de Kertch sont de facto les eaux territoriales russes.

Kiev a annoncé l’été dernier qu’il construirait une base navale dans la mer d’Azov d’ici fin 2018. C’est une ligne rouge absolue pour Moscou. Kiev pourrait avoir à négocier l’accès à Marioupol, qui, soit dit en passant, entretient également des relations commerciales étroites avec la République populaire de Donetsk. Mais il faut oublier l’accès militaire.

Et surtout, il faut oublier l’approvisionnement d’une flotte militaire ukrainienne dans le port de Berdyansk, capable de saboter le pont de Crimée, construit par les Russes, qui a connu un immense succès.

Un avion russe survole le pont de Crimée qui enjambe le détroit de Kertch alors qu’un navire russe le bloquait, après que la Russie eut tiré et saisi trois navires ukrainiens dimanche, les accusant de pénétrer illégalement dans ses eaux. Photo : Kertch Info / AFP

Comme on pouvait s’y attendre, les médias occidentaux ont encore crié à « l’agression russe », profitant du nouveau cadeau qui leur a été offert. Et de s’en prendre à la Russie pour sa réaction excessive, sans tenir compte du fait que l’incursion de l’Ukraine s’est faite avec des navires militaires, et non avec des bateaux de pêche. La détermination des Russes était bien visible, car de puissants hélicoptères d’assaut Ka-52 « Alligator » sont rapidement arrivés sur les lieux.

Washington et Bruxelles ont acheté sans discernement l’hystérie de Kiev « de l’agression russe », ainsi que le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui, au lieu de se concentrer sur les faits de l’incident du détroit de Kertch, a préféré une fois de plus accuser Moscou d’avoir annexé la Crimée en 2014.

Le point essentiel, négligé par le Conseil de sécurité, est que l’incident de Kertch constitue une violation flagrante par Kiev des articles 7, 19 et 21 de la  Convention des Nations Unies sur le droit de la mer  .

Les lacs russes

Il se trouve que j’étais en plein milieu d’une recherche approfondie à Istanbul sur la géopolitique de la mer Noire lorsque l’incident de Kertch s’est produit.

Pour l’instant, il est crucial de rappeler ce que les meilleurs analystes russes ont souligné en détail. Mes interlocuteurs à Istanbul ne seront peut-être pas d’accord, mais en pratique, le détroit de Kertch, la mer d’Azov et la mer Noire, en termes militaires, sont de facto des lacs russes.

Au mieux, la mer Noire dans son ensemble pourrait évoluer vers un condominium russo-turc, à condition que le président Erdogan joue bien son rôle.  Toute autre entité est, militairement parlant, aussi pertinente qu’un banc de sardines.

La Russie est capable de faire face à n’importe quoi – naval ou aérien – dans le détroit de Kertch, la mer d’Azov et la mer Noire en l’espace de quelques secondes à quelques minutes seulement. Tous les navires qui se déplacent dans tous les coins de la mer Noire sont suivis 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Moscou le sait. Kiev le sait. L’OTAN le sait. Et surtout, le Pentagone le sait.

Pourtant, Kiev – « encouragée » par Washington – insiste sur la militarisation de la mer d’Azov.  Des faucons américains mal informés issus de l’US Army War College préconisent même que l’OTAN entre dans la mer d’Azov – un acte provocateur du point de vue de Moscou. Le  Conseil de l’Atlantique, qui est essentiellement le porte-parole de la puissante industrie américaine de l’armement, est également en faveur de la militarisation.

Toute tentative visant à modifier le statu quo actuel, déjà bancal, pourrait conduire Moscou à installer un blocus naval en un éclair et à assister à l’annexion de Marioupol à la République populaire de Donetsk, à laquelle elle est de toute façon liée de manière industrielle.

Cela serait considéré par le Kremlin comme une mesure de dernier recours. Moscou n’en veut certainement pas. Pourtant, il est sage de ne pas provoquer l’Ours.

Une provocation à bon marché

 Rostislav Ischchenko, sans doute le plus vif observateur des relations entre la Russie et l’Ukraine, dans un article écrit avant l’incident de Kertch, a déclaré : « L’Ukraine elle-même a reconnu le droit de la Russie d’introduire des restrictions sur le passage des bateaux et des navires dans le détroit de Kertch, et avait respecté ces règles pendant l’été. »

Pourtant, après l’investissement massif de l’État américain profond avant les manifestations de Maïdan à Kiev en 2014, qui ont arraché l’Ukraine à l’influence russe, une éventuelle entente cordiale entre l’administration Trump et le Kremlin, avec la Russie contrôlant la Crimée et le Donbass russe ne peut être considéré que comme une ligne rouge pour les Américains.

Ainsi, un incident du détroit de Kertch conçu comme une provocation peu coûteuse, portant toutes les caractéristiques d’un stratagème de groupe de réflexion américain, est automatiquement interprété comme une « agression russe », quels que soient les faits. En effet, toutes les tactiques de ce type sont bonnes lorsqu’il s’agit de faire dérailler la  rencontre Trump-Poutine au G20  de Buenos Aires le week-end prochain.

Pendant ce temps, en Ukraine, le chaos est la norme. Le président Petro Poroshenko est en train de saigner. La hryvnia est une monnaie sans espoir. Les coûts des emprunts de Kiev sont à leur niveau le plus élevé depuis la vente des obligations en 2018. Cet État en déliquescence fait l’objet d’une « réforme » du FMI depuis 2015, sans qu’aucune fin ne soit en vue.

Le taux de satisfaction de Porochenko atteint à peine 8%. Ses chances d’être réélu, en supposant que les sondages soient crédibles, sont pratiquement nulles. Il n’est pas étonnant qu’il ait utilisé le Kertch pour déclarer la loi martiale, entrée en vigueur ce mercredi, d’une durée de 30 jours et destinée à être prolongée. Porochenko sera en mesure de contrôler les médias et d’augmenter ses chances de truquer l’élection.

Mais les Etats-Unis ne perdraient pas le sommeil s’ils devaient jeter Porochenko sous le bus (soviétique). Les Ukrainiens ne mourront pas pour sa survie. L’un des capitaines de l’incident de Kertch a volontairement remis son bateau aux Russes. Lorsque les Su-25 et les Ka-52 russes ont commencé à patrouiller le ciel au-dessus du détroit de Kertch, les renforts ukrainiens se sont immédiatement enfuis.

Porochenko, se vautrant dans le désespoir, peut encore augmenter les provocations. Mais le mieux qu’il puisse viser est que l’OTAN tente de moderniser la marine ukrainienne qui s’effondre – une entreprise qui durerait des années, sans garantie de succès.

Pour l’instant, oubliez toute la rhétorique et toute suggestion d’incursion de l’OTAN dans la mer Noire. Appelez ça le calme avant l’inévitable future tempête.

 PEPE ESCOBAR

 Photo: Des nationalistes ukrainiens lancent des fusées éclairantes lors d’un rassemblement devant le Parlement lundi pour exiger que Kiev rompe son accord avec la Russie sur la coopération dans l’utilisation de la mer d’Azov et du détroit de Kertch et imposer la loi martiale dans le pays. La veille, la Russie avait saisi par la force trois navires de guerre ukrainiens dans un détroit proche de la Crimée. Photo : AFP / STR / NurPhoto

Source :  atimes.com

Traduction  Avic Réseau International

 reseauinternational.net

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