08/01/2019 reseauinternational.net  13 min #150520

Denis Moncada : « almagro est devenu un agent de l'impérialisme »

par Stella Calloni

Aujourd’hui, au cours d’un entretien téléphonique, le Ministre des Affaires étrangères Denis Moncada Colindres a déclaré :

« Le Secrétaire Général de l’Organisation des États américains (OEA), Luis Almagro, a convoqué le Conseil Permanent de cet organisme dans le but illégal et illégitime d’appliquer l’article 20 de la Charte Démocratique Interaméricaine au Nicaragua, interprétant de manière abusive et dans son contraire ce que cet article maintient, ce qui constitue une ingérence ouverte violant le droit à l’autodétermination et autres droits internationaux« .

Cela s’est produit après avoir appris que le Ministère nicaraguayen des Affaires Étrangères avait envoyé une lettre aux diplomates, membres de l’OEA et à d’autres organisations internationales pour établir les raisons pour lesquelles la Charte Interaméricaine de cette organisation est gravement violée par la décision de Almagro.

Cette situation est d’autant plus grave que le Congrès américain a adopté le projet de loi connu sous le nom de « Nica Act » (Nicaraguan Investment Conditionality Act of 2017) pour s’opposer aux prêts des institutions financières internationales au gouvernement nicaraguayen, à moins qu’il n’y ait des « améliorations démocratiques », ce que personne n’ignore, ne signifie rien moins que de céder aux demandes de Washington.

Dans les circonstances que vit le Nicaragua, comment peut-on demander l’application de la Charte Démocratique Interaméricaine si elle ne correspond pas ?

C’est illégal et répréhensible, une chose que cette Charte Démocratique ne prévoit pas. Elle ne peut s’appliquer au Nicaragua, où il existe un gouvernement légitime, démocratiquement élu en 2016, avec plus de 70% des voix, aux élections observées par l’OEA et d’autres observateurs internationaux.

Quel est l’objectif de cette démarche du Secrétaire Général de l’OEA, qui a tenté de faire de même avec d’autres pays en soutenant des tentatives de coups d’État et même des invasions militaires ?

L’objectif, le but de cette action est d’imposer que les affaires intérieures du Nicaragua continuent d’être remises en question, lorsqu’il n’y a pas lieu de le faire, afin de faire avancer l’agenda expansionniste. Almagro est devenu un agent de l’impérialisme et, par cette action, applique un mécanisme diplomatique complémentaire à la tentative de coup d’État au Nicaragua, pour assurer la continuité du coup d’État par la voie diplomatique, en violation du principe de non-ingérence qui figure dans la Charte de l’OEA concernant la souveraineté des États.

Quelles sont les bases juridiques ?

Il n’y a aucun fondement juridique. Il fait remonter ce différend au Conseil Permanent. Je pense qu’il est bon de préciser que l’utilisation par Almagro de l’article 20 de la Charte démocratique, qui a précisément été faite pour mettre un terme aux coups d’État militaires de la Doctrine de Sécurité Nationale des États-Unis qui ont dévasté le continent par les dictatures et dans le contexte du conflit Est-Ouest, de la guerre froide, ne peut en aucun cas être faite dans un cas comme celui du Nicaragua actuel.

Vous dites que la Charte démocratique est rédigée pour prévenir ces coups qui étaient si fréquents dans la région.

Oui, l’esprit de la Charte était d’éviter les coups d’État et c’est maintenant Almagro qui renverse l’application de cette Charte contre les coups d’État que les États-Unis ont encouragés. Et avec cette manœuvre, il soutient les putschistes financés par le gouvernement américain pour poursuivre un coup d’État raté et légitimer l’illégalité. Almagro donne une interprétation différente et c’est inacceptable. Elle renverse l’article 20 de la Charte démocratique et soutient les putschistes, alors même que la Charte prévoit la restitution d’un gouvernement démocratiquement élu lorsqu’il subit un coup d’État, fondé notamment sur le respect du principe de non-ingérence. Almagro met les choses à l’envers alors qu’il s’agit de pratiques très claires pour l’Amérique latine.

Comment cela peut-il s’expliquer dans le cas d’un Secrétaire Général de l’OEA ? Vous souvenez-vous d’un autre fonctionnaire à ce poste qui ait agi comme Almagro le fait contre d’autres pays également ?

Cela s’explique par la mentalité entre perverse et sadique dont Almagro fait preuve, car en convertissant l’esprit de la Charte, il devient un agent effronté des États-Unis. C’est tellement visible et il est possible que l’une des nombreuses raisons de cette attitude soit qu’il attend d’être réélu au poste de Secrétaire Général de l’OEA. Il espère qu’ils le soutiendront.

Comment analysez-vous la récente expulsion de Almagro du Front Amplio (FA) en Uruguay, votre pays ?

L’expulsion du Front Amplio montre que si son propre parti, ses propres camarades et le peuple, son organisation politique, considèrent que son attitude est inappropriée, illégitime, cela nous en dit long sur cette personne dont l’action est inacceptable et il tente d’entraîner les États membres de l’OEA à appliquer indûment la Charte de l’organisation. Parce que conspirer pour renverser un gouvernement légitime ne figure pas dans la Charte de l’OEA. Almagro viole l’institutionnalité de l’OEA. Ce qui est en jeu, c’est l’intention de renverser l’ordre institutionnel et, contre un gouvernement qui a été un exemple d’inclusion, d’appeler au dialogue dans les moments très difficiles, comme ce fut le cas lors de la tentative de coup d’État manqué.

Les actions ouvertes des États-Unis contre votre pays à l’heure actuelle semblent définir clairement ce qu’est « le cas Nicaragua ». Pensez-vous que cela montre que Washington est derrière la continuité du coup d’État avec récemment l’envoi de quatre millions de dollars par le gouvernement de Donald Trump pour les organisations non gouvernementales qu’il finance ?

C’est un coup d’État contre le modèle qui avait été appliqué au Nicaragua, pour réaliser un projet d’inclusion sociale, de développement propre, rendu possible par la proposition du Président Daniel Ortega de faire appel aux secteurs économique et religieux de l’époque afin de sortir des graves conditions dans lesquelles ils étaient. C’est un modèle qui a permis au Nicaragua d’arriver à ce moment avec une situation très particulière en Amérique Centrale. Une bonne politique économique et sociale au profit des grandes majorités. C’est ce qui ressort des données exprimées par les organisations internationales qui, dans tous les cas, ont reconnu la croissance du Nicaragua et le fait que la république centraméricaine avait obtenu des résultats visibles. Pour mémoire, 95% de la population a maintenant l’électricité, des milliers de titres de propriétés délivrés, l’éducation gratuite, la santé gratuite, de grands progrès sociaux, dans la recherche du bien commun. Ceci a été reconnu par les organismes, en plus de cela nous sommes en train de transformer la matrice énergétique en prenant soin de l’environnement. Il y a eu de nombreuses réalisations et c’est le modèle de gouvernement qui dérange les États-Unis, des gouvernements inclusifs, qui mettent en avant les questions sociales. L’Empire n’aime pas ça et nous le voyons partout sur le continent.

Comment définiriez-vous ce modèle ?

Le modèle mis en place par Ortega vient du Front Sandiniste de Libération (FSLN), un mouvement politico-militaire qui est arrivé en juillet 1979 après une longue lutte pour renverser une dictature et ouvrir un processus démocratique. En 1990, il y a eu des élections, l’opposition a gagné et le gouvernement s’est rendu pacifiquement après des décennies de lutte pour débarrasser le pays d’une dictature et lutter contre l’intervention des États-Unis. Il y a une histoire derrière, un modèle qui signifie une synthèse d’expériences de pratiques sociales à vocation populaire.

Est-ce là la cause profonde de la tentative de coup d’État d’avril 2018 ?

Bien sûr, cela explique l’inclusion et d’autres réalisations très visibles. C’est ici, au Nicaragua, qu’il y a une tentative de coup d’État, avec des groupes armés, comme en témoignent les affrontements, les barrages routiers imposants, les entraves au commerce international, les détournements de camions des pays frères. Une grande partie de la population nica a été séquestrée par des groupes d’opposition liés aux États-Unis. Ce coup d’État a été surdimensionné par les médias, par la guerre psychologique. La véritable racine du coup d’État et la vérité sur ce qui s’est passé et les dommages qui auraient pu être enregistrés ont été dissimulées par des moyens hégémoniques, et il existe suffisamment de documentation non seulement au Nicaragua, mais dans d’autres pays sur ce nouveau coup d’État déguisé en « démocratique » et « humanitaire ».

Ces actions se déroulent comme on le voit alors que le pays tente de se remettre de la tragédie des victimes du coup d’État, des dommages causés dans un pays qui, selon les données de différentes organisations, a réussi à réduire son taux de pauvreté, qui en 2006 était de 42,5%, à 29,6% en 2016 et d’extrême pauvreté de 14,6% à 8,3%, imposant une série de programmes qui le mettent en lumière dans l’Amérique Centrale. Que demande le Nicaragua dans cette situation ?

C’est précisément la raison pour laquelle nous expliquons en quoi consiste cette tentative d’imposer indûment la Charte Démocratique. C’est pourquoi nous devons mettre un terme à l’interventionnisme de l’OEA. L’échec du coup d’État qui a commencé en avril dernier, surdimensionné comme je l’ai dit et avec la présence de certaines organisations internationales qui sont venues non pas pour relater la vérité mais pour justifier « le coup d’État soft », ce type d’actions sont aussi conçues contre des pays comme Cuba, le Venezuela. Nous voyons les actions contre la Bolivie, contre tout gouvernement inclusif, plus juste avec son peuple. Mais les dégâts ont été très lourds pour le peuple nicaraguayen.

De votre point de vue, quel serait le véritable objectif de Luis Almagro contre le Nicaragua dans cette position prise en même temps que l’envoi de quatre millions de dollars à ces ONG nicaraguayennes ?

L’objectif de Almagro est d’étouffer le Nicaragua à un moment où l’on parle de tentatives d’invasion militaire en Amérique Latine. L’objectif est de poursuivre le coup d’État qui a commencé en avril, ce coup d’État soft qui a fait irruption dans le pays, dans la constitutionnalité du Nicaragua. Cela signifie donner son appui pour intervenir dans les affaires intérieures du pays, en violant la Charte de l’OEA sous tous ses aspects.

Quelle est la réponse du gouvernement nicaraguayen à cette situation ?

Il s’agit d’arrêter l’action des groupes putschistes auxquels Almagro est allié et de mettre en garde l’Amérique Latine et les Caraïbes contre cette action du Secrétaire Général de l’OEA d’entraîner les gouvernements et les États à violer l’institutionnalité de l’OEA, leur faisant croire que c’est la démocratie qui se défend alors qu’ils cherchent à détruire la démocratie, les politiques sociales reconnues dans ce pays. En outre, il est question de violation du droit à l’autodétermination des peuples. La Charte de l’OEA ne prévoit pas que le Secrétaire Général de l’OEA déplace ou remplace la souveraineté des États, l’esprit de dialogue, l’état de droit, le non-respect de l’ordre institutionnel, les pratiques qui régissent le droit international.

Beaucoup de choses seraient violées par cette action de Almagro.

Oui, tout comme nous devons ajouter un autre élément que Almagro prétend ne pas connaître et qui existe dans la Charte de l’OEA, à savoir que pour toute action de ce genre, il faut consulter les États, en l’occurrence le Nicaragua, pour demander le consentement que la Charte établit avant toute action de ce genre. Nous avons été confrontés à la tentative de coup d’État dans laquelle l’État et le peuple ont réussi à vaincre les putschistes. Nous avons maintenant demandé aux ministres des affaires étrangères de ne pas soutenir la convocation d’une nouvelle réunion et nous expliquons les conséquences pour le Nicaragua, qui resterait privé du droit de se défendre, mais aussi de bloquer ainsi toute aide, soutien ou assistance des organisations internationales, qui porterait préjudice, entre autres conséquences graves de cette malfaisance de Almagro, aux Nicaraguayens les plus touchés par la tentative du coup, c’est-à-dire aux heures où ils ont le plus besoin d’aide. Nous appelons à l’opposition ou à l’abstention afin que le Secrétaire Général de l’OEA n’atteigne pas l’objectif d’étouffer économiquement le pays, affectant un peuple qui a tant souffert des interventions extérieures au cours de son histoire. En outre, c’est un précédent dangereux et négatif, non seulement grave pour le Nicaragua, mais aussi pour l’Amérique Centrale et toute l’Amérique Latine. Nous ne pouvons permettre la violation de droits qui ont été acquis avec tant de sacrifices.

Source :  Denis Moncada: “Almagro se ha convertido en un agente del imperialismo”

traduit par Pascal, revu par Martha pour  Réseau International

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