13/01/2019 dedefensa.org  15 min #150710

Pompeo distribue les chèques en bois

Entre le Mur et le Rubicon

Pour Washington et "D.C.-la-folle", la question du fameux Mur de la frontière mexicaine de Trump est devenu un enjeu capital et pressant, d'autant qu'il alimente directement la crise qui a trouvé son nœud gordien avec l'actuelle situation de cessation de paiement (shutdown) du gouvernement. Trump a ordonné cette situation de cessation de paiement qui est proche de dépasser la plus longue réalisée dans l'histoire des USA, pour exercer une pression sur les démocrates et obtenir les crédits qu'il veut pour la construction du Mur. La semaine prochaine, le coût du shutdown dépassera les $6 milliards, - outre la précarisation soudaine où cette situation plonge nombre de citoyens et de fonctionnaires US, - alors que Trump demande $5,7 milliards au Congrès que la Chambre majoritairement démocrate lui refuse.

L'alternative qu'envisage Trump est l'instauration de l'état d'urgence qui lui permettra de piocher dans le budget colossal et pléthorique du Pentagone pour en extraire ces $5,7 milliards. Patrick Buchanan, le "vieux sage" des paléoconservateurs, a  publié un édito conseillant à Trump d'instaurer cet état d'urgence au nom de l'urgence de la situation migratoire :

« Memo pour Trump: déclarez l'état d'urgence.

» Sur le long terme, l'histoire validera la position de Donald Trump sur la question du mur à la frontière pour défendre la souveraineté et la sécurité des États-Unis.

» Pourquoi ? Parce que la véritable menace existentielle pour les États-Unis est constituée par la migration de masse du Sud globalisé et non pas le changement climatique.

» Le peuple américain sait cela, et même les élites le ressentent.

» Vous ne le pensez pas ? Jetez un coup d'œil sur les journaux libéraux [progressistes] ce jeudi... »

Buchanan ne semble pas accorder un seul instant au fait même de l'instauration de l'état d'urgence l'importance d'un précédent constitutionnel (ou inconstitutionnel) essentiel et gravissime. Ce n'est pas le cas des studieux et rigoureux analystes du site trotskiste WSWS.org dont on dirait pour l'occasion, si ce n'était une image sacrilège, qu'il reste "sérieux comme un pape". Ces plumes trotskistes orthodoxes utilisent toute leur verve dialectique et quasiment buissonnière dans le dogmatique-champètre pour  démontrer qu'il s'agit effectivement de ce "précédent constitutionnel [ou inconstitutionnel] essentiel et gravissime" qui n'instaure rien moins par précédent institutionnel (anti-institutionnel) que la dictature, - la plus fameuse, celle du type-Julius Caesar devant le Rubicon, circa 49 avant J.C.

C'est, pour nous, la potentialité d'un cas typique d'une dynamique postmoderne, type-"D.C.-la-folle", connue sous l'expression populaire mais cul-par-dessus-tête de "la souris qui accouche d'une montagne". Dans ce cas, il s'agit de l'extraordinaire montée en puissance de l'antagonisme entre Trump et les démocrates du Congrès portant sur la somme, - dérisoire pour le budget US, - de $5,7 milliards pour la construction du Mur. L'opposition démocrate s'appuie apparemment sur une affirmation idéologique dans ce cas extrêmement peu argumentée puisqu'il ne s'agit que d'interdire ce qui est illégal, mais en réalité sur un souci de communication idéologique assurant selon ses concepteurs l'avenir électoral du parti démocrate dans le chef du soutien espéré pour le parti démocrate des minorités culturelles/ethniques et des migrants pénétrant légalement, sinon illégalement pour être régularisés, aux USA. Ainsi la "souris" (tous les entrelacs dérisoires de ce conflit Trump-Congrès à partir d'une tactique électorale) accouche-t-elle de la "montagne" (l'état d'urgence ou la mise en évidence de la crise migratoire).

L'analyse de WSWS.org est impeccable, rigoureuse, fortement argumentée avec le cas du précédent juridique, celui d'une crise entre exécutif et législatif conduisant à ouvrir les vannes de la méthode de l'application automatique de l'état d'urgence lorsqu'un président veut passer outre au Congrès, cela conduisant à son tour à un état de constant "état d'urgence" renouvelé au gré des présidents. On ne peut que partager l'analyse mais il n'est pas évident que l'on doive partager pour autant l'inquiétude gravissime, du type Caesar-Rubicon circa 49 avant J.C. Écrire cela, c'est en arriver à la situation présente, générale, aux USA et hors-USA dans le bloc-BAO surtout, c'est-à-dire la situation de la légalité constitutionnelle et institutionnelle soumise à la dynamique singulière de ces temps de postmodernité. Notre appréciation est que cette dynamique a complètement perverti, sinon dissous, les situations fondamentales ayant à voir avec les structures législatives, institutionnelles, constitutionnelles, etc.

La plus Grande-Baliverne de notre époque est donc l'affirmation unanime et vertueuse de l'existence de l'État de Droit ; il s'agit en fait d'une image de complet carton-pâte, de résidu de bouillie pour les chats, d'abord et essentiellement parce que le Droit (ou le droit, pour faire simple) est totalement, absolument fracassé, désintégré par la communication, - ou plutôt, par le  communicationnisme. Il en résulte que toutes les mesures ayant à voir avec la situation du Droit, - situation institutionnelle et constitutionnelle notamment et particulièrement, - ne suscitent en aucun cas les effets attendus selon la logique de ces situations.

Dans le cas illustré par le texte de WSWS.org dont nous donnons ci-dessous notre adaptation en français (faite avant que WSWS.orgne publie  sa propre traduction), l'effet "la souris qui accouche d'une montagne" doit être considéré de deux points de vue, l'un (celui de WSWS.org) correspondant à la logique idéologique, l'autre correspondant à l'effet inéluctable du communicationnisme dont on connaît la dualité avec son aspect- Janus.

• Le texte de WSWS.org analyse effectivement le possible/probable état d'urgence de Trump comme la porte ouverte à la dictature. Mais comme il y a cet effet "la souris qui accouche d'une montagne", un argument à mesure doit être trouvé ; puisqu'on remarque que certains journaux (les "références" de la presseSystème) d'habitude antitrumpiste ne sont pas complètement défavorables à Trump dans ce cas, la logique conduit à l'hypothèse habituelle du "complot" des forces dirigeantes du capitalisme, avec l'hypothèse suivante de l'établissement d'une dictature par "état d'urgence" sans cesse reconduit pour des raisons différentes. Dans ce cas, Trump devient la marionnette et l'exécutant des consignes de ces forces dirigeantes :

« Il faut en conclure que de puissants groupes de l'élite dirigeante voient dans l'octroi de tels pouvoirs au président un moyen de surmonter ce que l'on a appelé le "blocage politique" au Congrès. [...] Une fois que Trump aura créé un précédent en utilisant d'une façon illicite un tel pouvoir, il n'y a plus de raison de croire que l'état d'urgence finira jamais. On trouvera n'importe quel prétexte pour le continuer et l'étendre. Une fois appliqué, le précédent pourra permettre son application encore et encore, d'une façon indéfini.

» Au sein des cercles dirigeants, il est bien entendu que le retour aux formes de gouvernement dictatoriales aura un but ultime : la protection et l'extension des intérêts sociaux d'une oligarchie financière dont Trump est lui-même le représentant. »

• L'autre façon d'analyser la situation, toujours selon l'effet "la souris qui accouche de la montagne", donne toute sa place au communicationnisme plutôt qu'à la logique qui a besoin d'un complot pour exister. Dans ce cas, la relative bienveillance de la presseSystème pour Trump s'explique par le plus simple : la nécessité de sortir par n'importe quelle voie possible du blocage catastrophique actuel entre le président et le Congrès, qui s'est établi à cause d'un affrontement de communication sans précédent (la "Guerre civile froide", - ou l'effet du communicationnisme) qui dure depuis deux ans. Dans ce cas (bis),la "montagne" c'est le grand débat sur la migration illégale, et l'argument de Buchanan devient digne d'être considéré sans qu'il soit nécessairement impératif :

« Pourquoi ? Parce que la véritable menace existentielle pour les États-Unis est constituée par la migration de masse du Sud globalisé et non pas le changement climatique.

» ...[M]ême les élites le ressentent. [...] Jetez un coup d'œil sur les journaux libéraux [progressistes] ce jeudi... »

Nous dirions que le Rubicon de Trump n'est peut-être pas celui qu'imagine dramatiquement WSWS.org d'une "dictature" qui est, à bien des égards, d'ores et déjà en fonctionnement derrière l'apparence démocratique quoique de plus en plus contrariée par un désordre inhérent au Système, mais bien un moment objectivement historique finalement. Il s'agirait de ce moment où la crise de ce que les trumpistes jugent être une invasion migratoire qui peut mettre en danger l'équilibre de la Grande République, sa structure, sa raison d'être, son ontologie même, - ce moment où cette crise entre dans son paroxysme en précipitant divers mécanismes crisiques annexes comme l'est le shutdown du gouvernement, et par voie de conséquence, l'état d'urgence. En tout bon illogisme communicationniste, nous dirions là-dessus que les péripéties de désordre de cet épisode crisique ne font que commence, intra-muros, à "D.C.-la-folle".

Ci-dessous, notre adaptation du texte du  11 janvier 2019 de WSWS.org...

dedefensa.org

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Trump au bord du Rubicon

Le président américain Donald Trump s'est rendu jeudi à la frontière sud des États-Unis, où il a continué à répandre ses affirmations mensongères selon lesquelles le pays était aux prises avec une crise provoquée par des criminels et des trafiquants de drogue en provenance du Mexique. En partant pour le Texas, Trump a réitéré ses menaces de mettre fin au blocage en cours du gouvernement en déclarant une urgence nationale pour contourner le Congrès et des fonds appropriés pour la construction d'un mur frontalier.

"J'ai le droit absolu de déclarer une urgence nationale", a déclaré Trump. "Probablement je le ferai... je dirais que c'est presque décidé. C'est une urgence nationale."

En menaçant de passer outre au Congrès par un "état d'urgence", Trump a clairement indiqué qu'il était prêt à utiliser les pouvoirs de la présidence pour écarter décisivement le principe de la séparation des pouvoirs, posant ainsi un acte fondamental dans le processus de destruction de la démocratie américaine.

Cette menace constitue l'aboutissement des efforts systématiques déployés par les administrations Bush et Obama pour étendre les pouvoirs de la présidence afin de saper les principes fondamentaux du régime démocratique et des droits fondamentaux protégés par la Constitution.

Après les élections volées de 2000, l'administration Bush a utilisé les attaques terroristes du 11 septembre pour adopter rapidement le Patriot Act et mettre en œuvre une série de politiques inconstitutionnelles, notamment la détention illimitée, la torture et la surveillance nationale sans mandat. La raison pseudo-légale était que le président, en tant que commandant en chef de l'armée, disposait de pouvoirs pratiquement illimités.

L'administration Obama a utilisé ce précédent pour revendiquer le droit d'assassiner des citoyens américains, y compris à l'intérieur des frontières des États-Unis, sans procédure légale, et pour imposer la loi martiale à Boston en 2012. Trump, dans sa criminalité sans fioritures, mène ce processus à son paroxysme en utilisant un "état d'urgence" pour s'opposer au Congrès dans une crise politique intérieure.

Une telle action concentrerait entre ses mains et celles de ses successeurs un nouveau mécanisme permettant d'exercer un pouvoir présidentiel illimité. Dans ce système politique fondamentalement nouveau, le président peut mobiliser les vastes ressources régulièrement allouées par le Congrès à l'armée pour mener des actions non seulement à l'échelle internationale, mais également aux États-Unis. S'il y a quoi que ce soit qui constitue "des crimes et des délits graves" justifiant la mise en place immédiate de procédures de destitution, c'est une telle menace de contourner le Congrès par le truchement de l'exécutif.

Ce qui frappe toutefois, c'est la réaction extrêmement sobre des critiques de Trump à Washington et dans les médias, si ce n'est leur soutien. Le New York Times, qui parle pour le Parti démocrate et une partie importante de l'élite financière, a publié jeudi un article dans lequel la déclaration d'une urgence nationale était qualifiée de "seule façon réaliste et politique de sortir de la crise de la cessation de paiement du gouvernement fédéral". Tout en reconnaissant que cette décision constituerait "une violation extraordinaire des normes constitutionnelles", le journal approuve quasiment la mesure : "La menace évoquée par Trump offre aux deux parties une solution salvatrice dans l'impasse budgétaire entre le président et les démocrates du Congrès".

Remarquablement, ce sont les alliés républicains de Trump qui ont soulevé des préoccupations plus graves. Le sénateur Marco Rubio, qui s'est opposé à cette action, a déclaré : "Si aujourd'hui, l'urgence nationale c'est la sécurité des frontières, demain l'urgence nationale pourrait bien être le changement climatique". Il ne faut pas beaucoup d'imagination pour reconnaître que des états d'urgence seront invoqués l'un après l'autre pour mener à bien les mesures les plus draconiennes.

Une décision de Trump de déclarer un état d'urgence lui permettrait, à lui et à ses successeurs, de contourner l'opposition du Congrès et de mettre en œuvre les politiques souhaitées par le président, qu'il s'agisse d'une escalade massive des opérations militaires ou d'attaques massives contre les droits sociaux et démocratiques de la population..

Il faut en conclure que de puissants groupes de l'élite dirigeante voient dans l'octroi de tels pouvoirs au président un moyen de surmonter ce que l'on a appelé le "blocage politique" au Congrès. Une "urgence" supposée, causée par la dette nationale et la menace estimée imminente de faillite nationale, pourrait être invoquée pour réduire considérablement la sécurité sociale et l'assurance-maladie. Les grèves des enseignants, des travailleurs des transports ou de toute autre partie de la classe ouvrière pourraient être stoppées par le recours à une "urgence nationale" justifiant des arrestations massives et l'interdiction des grèves.

Une fois que Trump aura créé un précédent en utilisant d'une façon illicite un tel pouvoir, il n'y a plus de raison de croire que l'état d'urgence finira jamais. On trouvera n'importe quel prétexte pour continuer et l'étendre. Une fois appliqué, le précédent pourra permettre son application encore et encore, d'une façon indéfini.

Ainsi peut-on dire qu'un Rubicon politique est en train d'être franchi.

Le terme "franchir le Rubicon" trouve son origine dans la décision de Jules César de violer le droit romain en franchissant malgré l'interdiction du Sénat le fleuve Rubicon pour marcher sur Rome avec son armée en 49 avant J.C. Cette action ouvrit la voie à la guerre civile, à l'effondrement de la république romaine et à l'établissement de l'empire, - c'est-à-dire une dictature sans fin.

La menace de Trump de défier le Congrès par l'état d'urgence constitue un tournant historique de cette sorte : une fois franchi, il est impossible de revenir en arrière.

La même tendance à adopter des méthodes de gouvernement autoritaires caractérise de plus en plus de pays à travers le monde. Alors que Trump déclarait son "droit absolu" de déclarer une urgence nationale, le secrétaire d'État Mike Pompeo était en Égypte pour louer le règne du président al-Sisi, le dictateur militaire qui a tué des centaines de personnes et en a emprisonné des milliers sous le régime d'urgence imposé supprimer une révolution populaire.

Les menaces de Trump surviennent alors que les droits démocratiques fondamentaux sont attaqués avec le soutien de l'ensemble de l'establishment politique américain. À l'instigation des services de renseignement américains et avec le soutien total du Parti démocrate, Google, Facebook et Twitter procèdent à une censure massive et à une surveillance nationale. Au centre de ces attaques massives contre la démocratie se cache la croissance maléfique des inégalités sociales.

Il est à noter que, chaque jour depuis que Trump a menacé de résoudre la crise par un "état d'urgence", le marché boursier réagit par des hausses. Au sein des cercles dirigeants, il est bien entendu que le retour aux formes de gouvernement dictatoriales aura un but ultime : la protection et l'extension des intérêts sociaux d'une oligarchie financière dont Trump est lui-même le représentant.

L'année écoulée a été marquée par une expression croissante de mécontentement social qui se poursuit en 2019, avec l'opposition de fonctionnaires qui sont soit forcés de prendre des congés sans solde, soit contraints de travailler sans rémunération en raison de la fermeture du gouvernement Trump. Dans leur opposition grandissante, ils se joignent à des milliers de travailleurs de l'automobile de General Motors qui sont sur le point de perdre leur emploi et à des dizaines de milliers d'enseignants à Los Angeles qui se préparent à faire grève pour s'opposer au démantèlement de l'éducation publique.

La défense des droits démocratiques est liée à l'expansion de la lutte de classe aux États-Unis et dans le monde. L'opposition à Trump ne viendra pas de l'establishment politique corrompu et décadent, mais d'un mouvement de masse de la classe ouvrière contre l'ensemble du système capitaliste.

Patrick Martin et Andre Damon, WSWS.org

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