16/01/2019 reseauinternational.net  10 min #150859

Grosse rigolade... L'Allemagne outragée par l'arrogance coloniale des États-Unis

Ce coup-ci, l’ambassadeur étasunien à Berlin a peut-être poussé le bouchon un peu trop loin pour que ça ne fasse pas de vagues. Le gouvernement allemand a qualifié de ‘provocation’ les lettres que l’envoyé étasunien a transmises aux entreprises impliquées dans le projet Nord Stream 2,  pour les prévenir d’éventuelles sanctions.

Le gouvernement allemand  aurait demandé à ces entreprises de « ne pas tenir compte » des missives envoyées par l’ambassadeur Richard Grenell.

Nord Stream 2, le gazoduc de 1222 kilomètres posé au fond de la mer Baltique, augmentera considérablement le débit de gaz naturel fourni par la Russie à l’Allemagne. Quand il sera achevé, il doublera l’arrivée de gaz russe en Allemagne. Or, en faisant à plusieurs reprises des objections au projet, l’administration Trump a affirmé qu’il donnerait à Moscou un moyen de pression politique excessif sur l’Europe. Trump a menacé d’imposer des sanctions aux entreprises participant au projet, certaines étant allemandes et autrichiennes.

Le dessein caché et cynique de Trump est parfaitement visible. Dans le but de vendre leur gaz naturel liquéfié plus onéreux à l’Europe, les États-Unis tentent de saper le commerce gazier entre l’Allemagne et la Russie. Voilà le capitalisme de marché libre étasunien !

Reçues ce week-end par les entreprises allemandes, les lettres de Grenell sont considérées comme une menace sans précédent pour la conduite des affaires privées de la nation. Niant qu’il s’agissait d’une menace, l’ambassade des États-Unis a prétendu que les lettres ne faisaient qu’énoncer la politique de sanctions de Washington.

Ce n’est-là que la dernière vive réaction impliquant l’envoyé non-conformiste, accusé dans le passé de violer le protocole diplomatique en s’immisçant dans les affaires intérieures de l’Allemagne. Les médias allemands ont déjà  critiqué Grenell parce qu’il avait demandé de ‘changer le régime’ de Berlin, car il soutient ouvertement le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui s’oppose à l’immigration.

Quand Grenell a pris ses fonctions diplomatiques à Berlin, en mai dernier, il a tout de suite déclenché une tempête politique en tweetant que les entreprises allemandes faisant affaire avec l’Iran, « devraient mettre fin à leurs activités » ou faire face à des sanctions punitives des États-Unis. C’était à l’époque du retrait du Président Trump de l’accord nucléaire international avec l’Iran. « Ne dites jamais au pays hôte ce qu’il doit faire, si vous voulez éviter les ennuis, » lui avait  dit d’un ton sec Wolfgang Ischinger, ancien ambassadeur d’Allemagne à Washington.

Quelques semaines seulement après ses débuts équivoques, Grenell a accordé une interview à Breibart News, une publication pro-Trump. S’y étant vanté d’« habiliter le pouvoir d’autres conservateurs à travers l’Europe, » cela a été pris pour une approbation de l’AfD en Allemagne, qui est apparu comme un sérieux adversaire de l’establishment politique berlinois.

Martin Schulz, l’ancien chef du Parti social-démocrate, faisait partie des personnalités politiques qui, à la suite de cela, ont demandé le renvoi de Grenell. « Ce qu’est en train de faire cet homme est inédit en diplomatie internationale… il se comporte comme un officier colonial d’extrême droite », a dénoncé Schulz. Il a ajouté cette juste remarque : « Si un ambassadeur allemand à Washington avait dit qu’il était là pour renforcer les démocrates, il aurait été immédiatement fichu dehors. »

Les interventions très médiatisées de Grenell sur la politique et les affaires allemandes, constituent des violations flagrantes à la Convention de Vienne de 1964, qui stipule que les diplomates doivent rester neutres sur les questions politiques concernant les pays qui les accueillent. Officiellement, le rôle d’ambassadeur consiste à influencer discrètement au nom de son gouvernement, et de toujours faire profil bas.

Bien entendu, ce n’est pas la première fois que des ambassades et des envoyés étasuniens violent la Convention de Vienne dans les pays où ils sont en poste. Washington se sert habituellement de ces postes avancés pour fomenter ses changements de régime.

Mais Richard Grenell a ouvertement bafoué ces règles et agi comme un alter ego éhonté de Trump. Il a fait écho au mépris du président pour le gouvernement allemand de la chancelière Angela Merkel.  Selon Der Spiegel, Grenell s’est retrouvé isolé politiquement à Berlin. Merkel « le tient à distance » et la plupart des politiciens, à l’exception de l’AfD, fuient son contact.

Après la dernière controverse concernant les lettres de semonces envoyées aux entreprises allemandes, c’est peut-être le coup de grâce pour la tolérance de Berlin.

Les médias allemands ont déjà commenté la manière dont le « partenariat transatlantique » s’est terminé sous Trump.

Le journal économique Handelsblatt avait déjà  commenté : « Dans les relations transatlantiques, il n’y a plus rien de normal… Le gouvernement allemand s’est trop longtemps accroché à l’illusion de la normalité des relations transatlantiques… l’ère des liens étroits est maintenant révolue. »

De plus, les politiciens et les médias allemands exigent de plus en plus que l’Allemagne et l’Europe soient stratégiquement autonomes, libérées de la politique de Washington.

Cette évolution se fait attendre depuis des lustres, et son besoin est bien antérieur à Trump. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne ressemble à un pays occupé militairement et subordonnée aux objectifs politiques de Washington. L’objectif principal a toujours été d’empêcher l’Allemagne de devenir un partenaire naturel de Moscou, auparavant de l’ancienne Union soviétique, et maintenant de la Fédération de Russie.

Le gouvernement Trump a sans doute fait montre de moins d’absence totale de respect envers la souveraineté allemande, que la présidence de Barack Obama, quand il est apparu que les services de renseignements étasuniens écoutaient les appels téléphoniques personnels de la chancelière Merkel. Si ce n’est pas de l’arrogance coloniale, qu’est-ce que c’est ?

Pourtant, les milieux politiques et médiatiques allemands n’ont guère protesté contre cet affront de Washington à la souveraineté du pays et à sa dirigeante.

Ce que Trump et son insignifiant envoyé à Berlin ont fait, c’est de pousser l’arrogance à un degré ouvertement intolérable. Trump reproche à l’Allemagne ses « pratiques commerciales déloyales », dénigre Merkel pour sa politique migratoire, invite Berlin à doubler son budget militaire otanien, et reproche aux entreprises allemandes de ne pas aller dans le sens de la politique étrangère hostile de Washington envers l’Iran et la Russie.

Avec sa rustrerie, Trump ne fait que mettre à nu l’ascendant longtemps supposé des États-Unis sur l’Allemagne. Et il est ennuyeux que ça se sache. Berlin a honte d’être vue en train de tenir tête à l’intimidation des États-Unis.

L’absurdité, c’est que les États-Unis et leurs acolytes otaniens écument de rage depuis deux ans au sujet de la fameuse ingérence non prouvée des Russes dans la politique intérieure des États occidentaux. À partir du moment où les faits sont flagrants, ce sont les Étasuniens qui s’ingèrent chez leurs prétendus alliés, qui ne sont manifestement que des vassaux.

 Strategic Culture Foundation, Finian Cunningham
Original :  www.strategic-culture.org/news/2019/01/15/its-gas-germany-outraged-by-us-colonial-arrogance.html

Traduction  Petrus Lombard

 reseauinternational.net

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