18/01/2019 reseauinternational.net  21 min #150943

La troublante collaboration d'Amnesty International avec les services de renseignements britanniques et américains

Certains liens troublants sont en contradiction avec l’image d’Amnesty International en tant que défenseur bienveillant des droits de l’homme et révèlent que des personnalités clés de l’organisation, au cours de ses premières années de fonctionnement, sont moins préoccupées par la dignité humaine que de la qualité de l’image des États-Unis et du Royaume-Uni dans le monde.

Par Alexander Rubinstein

Amnesty International, l’éminente organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme, est largement connue pour son engagement dans ce domaine. Elle produit des rapports critiques sur l’occupation israélienne en Palestine et la guerre menée par les Saoudiens contre le Yémen. Mais elle publie également un flot constant de condamnations contre des pays qui ne jouent pas le jeu de Washington – des pays comme l’Iran, la Chine, le Venezuela, le Nicaragua, la Corée du Nord et plus encore. Ces rapports amplifient les battements de tambour pour une intervention « humanitaire » dans ces pays.

L’excellente image d’Amnesty International en tant que défenseur mondial des droits de l’homme est en contradiction avec l’image qu’elle avait à l’époque où le Foreign Office britannique censurait les rapports critiques visant l’empire britannique. Peter Benenson, cofondateur d’Amnesty International, entretenait des liens étroits avec le ministère britannique des Affaires étrangères et le ministère des Colonies, tandis qu’un autre cofondateur, Luis Kutner, informait le FBI de la présence d’une cache d’armes au domicile de Fred Hampton, un dirigeant des Black Panther, quelques semaines avant son exécution dans un raid armé mené par l’agence fédérale.

Ces liens troublants vont à l’encontre de l’image d’Amnesty International en tant que défenseur bienveillant des droits de l’homme et révèlent que les figures clés de l’organisation, au cours de ses premières années, se souciaient moins de dignité humaine que de la qualité de l’image des États-Unis et du Royaume-Uni à travers le monde.

Un début conflictuel

Benenson d’Amnesty International, un anticommuniste avoué, était issu du renseignement militaire. Il a promis qu’Amnesty International serait indépendante de l’influence du gouvernement et représenterait tous les prisonniers, qu’ils soient à l’Est, à l’Ouest ou dans le monde du Sud.

Mais dans les années 1960, le Royaume-Uni se retirait de ses colonies et le Foreign Office et le Colonial Office étaient avides d’informations de la part des militants des droits de l’homme sur la situation sur le terrain. En 1963, le ministère des Affaires étrangères a chargé ses agents à l’étranger d’apporter un « soutien discret » aux campagnes d’Amnesty International.

Le personnel d’Amnesty International rend hommage au fondateur Peter Benenson à Mexico, le 9 août 2005. Eduardo Verdugo | AP

Cette année-là également, Benenson écrivit au ministre des Colonies, Lord Lansdowne, une proposition visant à soutenir un « conseiller aux réfugiés » à la frontière entre le Botswana et l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ce conseil ne devait aider que les réfugiés et éviter explicitement d’aider les militants anti-apartheid. « Il ne faut pas que l’influence communiste se répande dans cette partie de l’Afrique et, compte tenu de la situation délicate actuelle, Amnesty International souhaiterait soutenir le gouvernement de Sa Majesté dans cette politique », avait écrit Benenson. L’année suivante, Amnesty avait cessé de soutenir l’icône anti-apartheid et premier président d’une Afrique du Sud libre, Nelson Mandela.

L’année suivante, en 1964, Benenson sollicita l’aide du Foreign Office pour obtenir un visa en Haïti. Le ministère des Affaires étrangères obtint le visa et écrivit à son représentant pour Haïti, Alan Elgar, pour lui dire qu’il « soutenait les objectifs d’Amnesty International ». Une fois sur place, Benenson s’est infiltré en tant que peintre, comme le ministre d’État Walter Padley le lui a dit avant son départ : « Nous devrons faire un peu attention de ne pas donner aux Haïtiens l’impression que votre visite est en fait parrainée par le gouvernement de Sa Majesté ».

Le New York Times a dévoilé la ruse, ce qui a conduit certains fonctionnaires à prétendre leur ignorance ; Elgar, par exemple, s’est dit « choqué par les pitreries de Benenson ». M. Benenson s’est excusé auprès du ministre Padley en disant : « Je ne sais vraiment pas pourquoi le New York Times qui, d’habitude, est un journal responsable, devrait faire ce genre de choses dans le cas de Haïti ».

Amnesty International’s new ‘[Regime] Change is Possible’ video calls for solidarity with right-wing insurrection in Venezuela


Laisser la politique s’infiltrer dans la mission

En 1966, un rapport d’Amnesty sur la colonie britannique d’Aden, ville portuaire de l’actuel Yémen, décrit en détail les tortures infligées par le gouvernement britannique aux détenus du centre d’interrogatoire de Ras Morbut. Les prisonniers qui s’y trouvaient étaient déshabillés pendant les interrogatoires, étaient obligés de s’asseoir sur des poteaux qui pénétraient dans leur anus, subissaient des torsions de leurs parties génitales, avaient des visages brûlés par des cigarettes, ou étaient détenus dans les cellules, à même le sol recouvert d’excréments ou d’urine.

Le rapport n’a toutefois jamais été publié. M. Benenson a déclaré que le secrétaire général d’Amnesty, Robert Swann, l’avait censuré pour faire plaisir au ministère des Affaires étrangères, mais le cofondateur d’Amnesty, Eric Baker, a déclaré que Benenson et Swann avaient rencontré le ministère et accepté de garder le rapport secret en échange de réformes. À l’époque, le lord chancelier Gerald Gardiner écrivait au premier ministre Harold Wilson que  » Amnisty a étouffé le [rapport] aussi longtemps qu’ils le pouvaient simplement parce que Peter Benenson ne voulait rien faire pour nuire à un gouvernement travailliste « .

Puis quelque chose a changé. Benenson se rendit à Aden et fut horrifié par ce qu’il trouva, écrivant : « Je n’ai jamais vu une image plus répugnante que celle que j’ai eue sous les yeux à Aden » malgré ses « nombreuses années consacrées aux enquêtes sur la répression ».

Une toile inextricable

Dans le même temps, un scandale financier similaire était en train de se développer et allait secouer Amnisty jusque dans ses fondements. Polly Toynbee, une volontaire d’Amnesty, âgée de 20 ans, se trouvait au Nigeria et en Rhodésie du Sud, la colonie britannique du Zimbabwe, qui était à l’époque dirigée par la minorité des colons blancs. Sur place, Toynbee a distribué des fonds aux familles de prisonniers, avec de l’argent semblant provenir d’une source inépuisable. Toynbee a déclaré que Benenson l’avait rencontrée là-bas et avait reconnu que l’argent venait du gouvernement britannique.

Toynbee et d’autres ont été forcés de quitter la Rhodésie en mars 1966. En sortant du pays, elle a pris des documents dans un coffre-fort abandonné, notamment des lettres de Benenson à de hauts responsables d’Amnesty International travaillant dans le pays, qui décrivaient en détail la demande de fonds que Benenson avait faite au Premier Ministre Wilson et qui avaient été reçus quelques mois auparavant.

En 1967, il a été révélé que la CIA avait créé et finançait secrètement une autre organisation de défense des droits de l’homme fondée au début des années 1960, la Commission internationale de juristes (CIJ) par l’intermédiaire d’un affilié américain, le American Fund for Free Jurists Inc.

Benenson avait fondé, aux côtés d’Amnesty International, la section britannique de la CIJ, appelée Justice. Le secrétariat international d’Amnesty International, Sean MacBride, était également secrétaire général de la CIJ.

Ensuite, les « Harry letters » ont été publiées dans la presse. Officiellement, Amnisty a nié avoir eu connaissance des paiements du gouvernement de M. Wilson. Mais Benenson a admis que leur travail en Rhodésie avait été financé par le gouvernement et a restitué les fonds de sa propre poche. Il écrivit au Lord Chancelier Gardiner qu’il l’avait fait afin de ne pas « mettre en danger la réputation politique » des personnes impliquées. Benenson a ensuite restitué les fonds non dépensés de ses deux autres organisations de défense des droits de l’homme, Justice (la branche britannique de la CIJ fondée par la CIA au Royaume-Uni) et le Human Rights Advisory Service.

Le comportement de Benenson à la suite des révélations concernant les « Harry letters » a mis ses collègues d’Amnesty International en colère. Certains d’entre eux prétendent qu’il souffrait d’une maladie mentale. Un de ses membres a écrit :

« Peter Benenson a lancé des accusations qui ne peuvent avoir pour résultat que de discréditer l’organisation qu’il a fondée et à laquelle il s’est consacré. …Tout cela commença peu après son retour d’Aden, et il semble probable que le choc nerveux qu’il a ressenti devant la brutalité de certains éléments de l’armée britannique eut un effet déséquilibrant sur son jugement. »

Even former National Security Advisor Zbigniew Brzezinski was on Amnesty's board of directors for a time. He was the architect of the 'Afghan trap' and bragged about giving the Soviets their own Vietnam quagmire by training, funding & equipping Mujahedeen

Plus tard dans l’année, Benenson a démissionné de son poste de président d’Amnesty en protestation contre la surveillance et l’infiltration de son bureau de Londres par les services de renseignements britanniques – du moins selon lui. Plus tard dans le même mois, Sean MacBride, un des responsables d’Amnesty et agent de la CIJ, a présenté un rapport à une conférence d’Amnesty qui dénonçait les « actions erratiques » de Benenson. Benenson a boycotté la conférence, choisissant de soumettre une résolution demandant la démission de MacBride pour le financement de la CIJ par la CIA.

Amnisty et le gouvernement britannique ont alors suspendu les liens. Le groupe de défense des droits de l’homme a alors promis  » non seulement d’être indépendant et impartial, mais aussi de ne pas être mis dans une position dans laquelle on pourrait lui reprocher quoi que ce soit  » à propos de collusion avec des gouvernements pour l’année 1967.

Le rôle d’Amnesty International dans la mort du Black Panther Fred Hampton

Mais deux ans plus tard, de hauts responsables d’Amnesty International se sont engagés dans une coordination beaucoup plus troublante avec les services de renseignement occidentaux.

Des documents du FBI, publiés par le Bureau au printemps 2018 dans le cadre d’une série de communications de documents concernant l’assassinat du président John Kennedy, décrivent le rôle d’Amnesty International dans le meurtre du vice-président du Black Panther Party (BPP), Fred Hampton, l’icône montante de la libération noire, âgé de 21 ans (une mort considérée comme un meurtre mais jugée officiellement comme un homicide légitime).

Chicago police remove La police de Chicago retire le corps de Fred Hampton, chef du parti des Black Panthers de l’Illinois, tué par la police le 4 décembre 1969. Photo | AP

Le cofondateur d’Amnesty International, Luis Kutner, a assisté à un discours prononcé par Hampton le 23 novembre 1969 à l’Université de l’Illinois.

Au cours du discours, Hampton a décrit le BPP  » comme un parti révolutionnaire  » et  » a indiqué que le parti avait des armes à feu pour la paix et la légitime défense, et ces armes se trouvent au domicile de Hampton et au siège du BPP,  » selon le document du FBI.

« Kutner a atteint le point où il aimerait intenter une action en justice pour faire taire le BPP « , a écrit le FBI. « Kutner a conclu en déclarant qu’il croyait que des orateurs comme Hampton étaient psychotiques, et que ce n’est que lorsqu’ils sont confrontés à une action en justice qu’ils arrêtent leurs « divagations et leurs délires ».

Le rapport interne du FBI sur le témoignage de Kutner cité ci-dessus a été publié le 1er décembre 1969. Deux jours plus tard, le FBI, aux côtés de la police de Chicago, décidèrent d’effectuer une descente à la résidence de Hampton. Quand Hampton est rentré à la maison pour la journée, l’informateur du FBI William O’Neal a glissé un somnifère barbiturique dans son verre avant de partir.

Le 4 décembre, à 4 heures du matin, la police et le FBI ont fait irruption dans l’appartement, tirant instantanément sur un des gardes du BPP. En raison de convulsions réflexes liées à la mort, le garde a convulsé et appuyé sur la détente d’un fusil de chasse qu’il portait – c’était la seule et unique fois où un membre des Black Panthers a tiré avec une arme pendant le raid. Les autorités ont alors ouvert le feu sur Hampton, qui dormait dans son lit avec sa fiancée enceinte de neuf mois. Hampton aurait survécu et aurait été achevé avec deux balles tirées à bout portant dans la tête.

Kutner  voulait ensuite former le groupe des « Amis du FBI », une organisation « formée pour combattre les critiques du Federal Bureau of Investigations »,  selon le New York Times, après la révélation de sa campagne secrète visant à briser les mouvements de gauche – COINTELPRO –. Il a également opéré dans plusieurs théâtres où la CIA était très fortement impliquée – notamment avec le travail de Kutner pour déstabiliser le Premier ministre congolais et fervent anti-impérialiste Patrice Lumumba – et représentait le Dalaï Lama, qui recevait  1,7 million de dollars par an de la CIA durant les années 1960.

Bien que les opérations louches d’Amnesty International dans les années 1960 puissent sembler être, à ce stade, de l’histoire ancienne, elles constituent un rappel important du rôle que jouent souvent les organisations non gouvernementales dans la réalisation des objectifs des gouvernements des pays où elles sont basées.

Photo à la Une : Peter Benenson, à gauche, avec George Ivan Smith lors d’un séminaire organisé en 1966 par l’Institut nordique africain. Uppsala-Bild | Creative Commons

Source :  mintpressnews.com

Traduction  Avic Réseau International

 reseauinternational.net

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