14/02/2019 les-crises.fr  6 min #152161

Quand le gouvernement paie un cabinet privé pour rédiger sa loi... flinguée par le Conseil d'Etat. Par Étienne Girard

Passionnant article, de grande qualité. C'est édifiant.

Source :  Marianne, Etienne Girard, 13-02-2019

Le gouvernement a sous-traité la préparation de sa prochaine loi sur les transports à un cabinet d'avocats. Une initiative inhabituelle qui a abouti à un résultat médiocre malgré l'argent public qu'elle a coûté. Récit.

L'affaire avait tout pour passer inaperçue. Difficile, a priori, de se passionner pour une histoire d'étude d'impact de loi d'orientation sur les transports, qui mêle jargon administratif et technicité juridique. Préciser que les parties prenantes sont la direction des infrastructures du ministère de la Transition écologique, un cabinet d'avocats anglo-saxon et le Conseil d'Etat, n'aide pas à soulever davantage les passions. Et pourtant, la pièce jouée entre ces trois acteurs tout au long de l'année 2018 constitue l'un des ratés les plus spectaculaires de l'esprit start-up nation, encouragé par Emmanuel Macron depuis sa prise de pouvoir. Ou comment la conviction de la supériorité du secteur privé peut aboutir... à un gâchis d'argent public. Quelque 42.000 euros en l'occurrence, pour un projet de loi finalement étrillé avec virulence par le Conseil d'Etat, autorité administrative suprême du pays. Cette tragi-comédie relate aussi le tout petit monde parisien dans lequel évoluent certains ministres, hauts fonctionnaires et avocats. Au point qu'on retrouve parmi les protagonistes de cet imbroglio inédit... Dorothée Griveaux, qui n'est ni plus ni moins que la sœur du porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux.

Tout commence en janvier 2018. Le gouvernement d' Edouard Philippedécide de lancer un appel d'offres pour sous-traiter à une entreprise l'exposé des motifs ainsi que l'étude d'impact de sa future loi sur les transports, moyennant 30.000 euros hors taxes. Dans le langage alambiqué de la haute administration française, cela signifie que l'argumentaire du gouvernement sur cette loi va être délégué à une société privée. Du jamais-vu. Emoi dans les rangs de l'opposition parlementaire, où on voit l'initiative comme une manière de se défausser de la mission principale du gouvernement. "Confier l'exposé des motifs d'une loi à une personne privée, c'est inadmissible. S'il y a un acte politique et qui doit être assumé comme tel, c'est celui-là", grince auprès de Marianne le sénateur Jean-Pierre Sueur, auteur d'un rapport sur la qualité des études d'impact, en février 2018.

PAS DE SOUS-TRAITANCE, JURE LE CABINET BORNE...

Au-delà du renoncement politique, cet étrange auto-dessaisissement pose des questions sur la gestion des deniers publics. N'existait-il pas de solution interne à la fonction publique pour rédiger l'exposé des motifs et l'étude d'impact ? Le ministère de l'Ecologie compte 57.000 fonctionnaires, dont de nombreux énarques. L'usage est de les faire travailler, en s'appuyant si besoin sur des hauts fonctionnaires d'autres administrations momentanément mis à disposition et surtout, sur le secrétariat général du gouvernement, composé des meilleurs juristes de la fonction publique. Le  guide méthodologique des études d'impact, édité par le gouvernement, explique d'ailleurs que "le ministère porteur du projet de loi élabore l'étude d'impact. Il apprécie dans quelle mesure doit être sollicité le concours d'autres administrations" et que "le département de la qualité du droit du secrétariat général du Gouvernement apporte un soutien méthodologique au ministère porteur". Il n'est même pas question de l'exposé des motifs, évidemment toujours réalisé par le ministre avec l'aide de son cabinet.

Contacté par Marianne, le cabinet d'Elisabeth Borne, ministre déléguée aux Transports auprès du ministre de l'Ecologie, jure qu'il n'a jamais été envisagé d'externaliser l'exposé des motifs : "S'agissant de l'exposé des motifs, il n'a jamais été question qu'il soit élaboré par un tiers extérieur. Cela n'aurait de toute façon absolument aucun sens d'imaginer qu'un tel document, politique par nature, pourrait être « sous-traité » à un tiers extérieur". On nous explique qu'il s'agissait plutôt "d'une assistance technique à la mise au point des documents nécessaires à la présentation de la loi, et visait en l'occurrence à établir une synthèse des éléments de référence de la loi".

Le contenu de l'appel d'offres, que Marianne s'est procuré, paraît pourtant montrer le contraire. Le contrat initial comprend bel et bien la réalisation d'un exposé des motifs : "La tranche ferme comprend (la) rédaction d'un projet d'exposé des motifs de la loi", peut-on lire en page 14. Il s'agit même de la première mission dévolue au prestataire qui sera choisi. Charge ensuite à la direction des infrastructures du ministère de l'Ecologie de retenir ou pas ce travail. L'appel à candidatures précise même clairement ce qu'il entend par "exposé des motifs" : "Cet exposé des motifs ne doit, en aucun cas, être une paraphrase du texte du projet de loi : il indique de manière simple et concise, les raisons pour lesquelles ce projet est soumis au Parlement, l'esprit dont il procède, les objectifs qu'il se fixe et les modifications qu'il apporte au droit existant". Soit précisément la justification politique du texte. Cette mission est tout sauf anecdotique... ce que rappelle d'ailleurs le ministère de l'Ecologie dans son offre : "(l'exposé des motifs) constitue l'un des éléments des travaux préparatoires d'une loi, auquel le juge peut se référer en cas de doute sur les intentions du législateur". La tâche prévue dépasse donc largement le cadre d'une simple synthèse technique, pour laquelle il serait d'ailleurs difficile de comprendre qu'on ait recours à un prestataire extérieur à la fonction publique.

"UNE PREMIÈRE", CONFIRME LE CABINET GAGNANT

En parallèle, le marché public comprend également une [...]

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