17/02/2019 reseauinternational.net  14 min #152279

J'ai lu « Sapiens » de Yuval Noah Harari. J'ai une Autre Version. (Temps de lecture : 8min)

Aux premiers abords, ce livre me plut beaucoup. L’écriture était simple, douce et calme. A cette époque, je ne m’intéressais pas encore à l’anthropologie. Les théories que me présentait l’auteur me semblaient limpides et évidentes; je refermais le livre en me disant sincèrement que Yuval Noah Harari était un esprit grandiose. J’étais acquis aux idées de “Sapiens”. J’avais adoré.

Quelques années passèrent. Durant ce temps, je me pris de passion pour l’étude de l’Homme sous tous ses aspects. Cette étude me plongea dans les plus sombres et les plus oubliés ouvrages d’anthropologie, tout comme dans la science la plus mainstream.

C’est alors qu’après découvertes sur découvertes, mon opinion se fit plus méfiante vis-à-vis de ce livre. Plus j’avançais dans mon exploration, plus chacune des thèses présentées semblaient s’écrouler comme de fragiles murs de briques. Lorsque je compris finalement que j’avais été dupé, je ressentis une profonde déception.

Ce que je vais vous présenter dans cet article est le fruit de mes réflexions sur “Sapiens”.

Tout comme moi, vous allez vous rendre compte de trois choses.

Premièrement, d’à quel point il est facile de convaincre une large audience simplement en utilisant certaines techniques de narration et surtout en jouant sur l’émotion.

Deuxièmement, d’à quel point notre société est gangrénée par l’idéologie, et à quel point cette idéologie prend le pas sur les faits.

Finalement, vous allez découvrir que notre grande histoire est en vérité beaucoup, beaucoup, plus magnifique que celle présentée dans ce livre.

Il est venu le temps de parler sérieusement de “Sapiens” de Yuval Noah Harari.

*

La Révolution Cognitive n’a Jamais Existé. C’est Bien plus Grandiose. 

La “révolution cognitive”. Il y a 70 000 ans, Homo Sapiens découvre le langage complexe. Il peut désormais se raconter des ragots et parler de choses qui ne se trouvent pas dans son champ de vision; il peut se raconter des histoires.

Ces histoires font de lui l’espèce la plus redoutable de toutes les espèces d’Hommes. Très vite, il prend le pas sur les autres grâce à cette capacité de langage, et il finit par les exterminer. Bingo. Jackpot. Agriculture, civilisations puis royaumes; tout peut démarrer.

Attendez un peu. 

Cette histoire de révolution cognitive fut celle qui me mit la première la puce à l’oreille. En effet, cette théorie à été réfutée depuis longtemps, et il est étonnant que ce soit elle que Harari ait pourtant choisie.

A sa décharge, si bien d’autres théories ont depuis été proposées pour expliquer la naissance du langage chez l’Homme, aucune n’a pourtant vraiment fait consensus.

Dans une théorie inédite, l’anatomiste et paléo-anthropologue Frédéric Delavier et moi-même soutenons que la naissance du Verbe se fit dans un processus extrêmement simple et découlant de principes physiques élémentaires.

Plutôt qu’il y a 70 millénaires, la grande histoire du Verbe débute il y a au moins six millions d’années.

Encore primates de forêts Africaines, nos très lointains ancêtres voient cette jungle se rétracter à grande vitesse. En effet, un refroidissement global de la planète entraîne la progression de savanes arides.

A cette période charnière, nos ancêtres adoptent la bipédie. Celle ci permet de se déplacer plus économiquement et de transporter de la nourriture dans cette jungle de plus en plus ouverte.

Cet événement fut un séisme d’un point de vue évolutif, car la bipédie deviendra la clé de voûte de l’avènement du Verbe.

Redressés, toujours plus obligés de pratiquer de longues distances à pied, nos ancêtres développent quelque chose d’évident : ils pointent leurs directions du doigt.

“Et alors?” me direz-vous.

Lorsqu’ils pointent au loin, nos ancêtres prennent doucement conscience qu’il s’agit d’un lieu où l’on va se rendre. Quand ils pointent en arrière, c’est au contraire un lieu où l’on a déjà été. Pointer du doigt établit la prise de conscience du passé et du futur.

Au pointage s’accompagne progressivement des mots. D’abord des grognements, mais ensuite des mots.

Les analyses des crânes d’australopithèques suggèrent qu’ils possédaient un « sulcus lunatus », ce sillon qui sépare deux aires du cerveau, qui se rapprochait du nôtre. Ceci indique non moins qu’ils avaient déjà probablement une forme primitive de pensée intérieure.

Nous savons qu’Homo habilis organisait des caches à outils disséminées sur son territoire. Pour un primate, cela signe une capacité de planification, organisation et projection mentale dans l’espace et le temps qui n’avait jamais éclos jusque là.

Homo erectus, lui, construisait des cabanes et possédait une technologie vestimentaire élaborée. Compréhension de la gratification différée, maîtrise unique dans le règne animal des techniques de transformation des matières.

Il y a 400 000 ans, des Homo heidelbergensis organisaient des plans de chasse élaborés pour traquer les troupeaux de chevaux sauvages en Allemagne, et à cette même période en Espagne, mourraient des pré-néandertaliens dont plus tard l’examen osseux révéla qu’ils avaient les prérequis de base pour le langage complexe.

Il y a 180 000 ans enfin, Neandertal réalise un majestueux lieu de culte dans une grotte française. Quelque chose qui lui demanda probablement plusieurs mois et toute l’aide de la tribu. Aucun autre but que celui d’un lieu de culte n’a été retenu.

Le premier mot signa La Naissance de l’Homme et il apparut bien avant Homo sapiens.

Il n’y a jamais eu de révolution cognitive.

Nos Identités Sont Bien Plus que des Histoires 

A partir de cette théorie de la révolution cognitive, l’auteur explique une chose qui deviendra la pierre centrale de son livre.

Selon lui, tout ce qui fait l’être humain moderne découle d’une capacité à créer des histoires.

Prenez par exemple l’entreprise Google. Des millions et des millions de gens qui collaborent ensemble malgré qu’ils ne viennent pas du même clan, de la même tribu, de la même ethnie. Ce qui rend possible cette association ? Le grand mythe du capitalisme et la grande histoire de l’entreprise Google. Point barre.

Harari argue de cette façon que tous les concepts culturels et identitaires sont de simple histoires. Nos sentiments d’appartenances à une communauté, un mouvement, une famille, un clan, sont issus de notre capacité à créer des fictions, une capacité tombée du ciel il y a 70 000 ans.

Par extension, tous les codes et les mœurs propres aux cultures ne seraient aussi qu’une affaire d’histoires. Deux tribus de chasseurs-cueilleurs voisines de quelques kilomètres pouvaient avoir des valeurs extrêmement différentes; l’une pouvait adopter la monogamie quand l’autre adoptait la sexualité libre; l’une pouvait être extrêmement violente quand l’autre était pacifique.

L’auteur veut ainsi nous convaincre que toutes nos conceptions sur nos identités, peuples, religions ou même nos concepts primordiaux comme ce qui caractérise un homme ou une femme seraient du fake, des histoires, des fictions. Et puisque toutes nos croyances ne seraient finalement qu’une affaire de fictions, il suffirait de réécrire ces fictions pour transformer le monde. 

Et si je vous disais que les choses sont bien plus profondes que cela ? 

Imaginez que Google et Microsoft décident d’organiser une league de football où les équipes n’incarneraient que des marques commerciales. Est-ce que cette league connaîtrait autant de succès qu’une league traditionnelle faisant s’affronter des villes ou pays ? Est-ce qu’un match entre Microsoft et Google dégagerait autant de ferveur, autant d’émotion, autant de chaleur humaine qu’un match entre votre pays et le pays voisin ?

La coopération que les gens mettent à l’oeuvre dans le monde professionnel n’est pas de la même nature que celle qu’ils entreprennent au sein de leur famille ou de leur clan.

Des millions de gens ne collaborent pas dans des gigantesques multinationales simplement parce qu’ils croient au “mythe” de cette entreprise, ils le font simplement car ils ont un cortex préfrontal leur permettant de comprendre leur intérêt ainsi que l’intérêt collectif que nous tirons de tous être sociables. 

Si la collaboration professionnelle est donc de l’ordre de l’interêt pur (ce qui ne signifie pas que l’on ne peut développer de profonds liens humains avec ses coéquipiers), la seconde, celle du clan ou de la famille, est quant à elle de l’ordre de l’Amour. Cet amour est en réalité un moyen d’adaptation de l’espèce à son milieu.

Laissez-moi vous expliquer. 

Les équipes de football incarnent des villes et des pays car les gens soutiennent leur ville ou leur pays. Et s’ils le font, c’est parce qu’il s’agit de leur communauté, de leur groupe.

Vous me direz : “quelle différence entre se sentir appartenir à son village ou se sentir membre de Google ?”

La différence est que Google est le terrain de chasse alors que le village est le lieu de vie et de procréation.

Lorsque vous placez un organisme vivant dans un certain milieu, il s’y adapte. Faites-le se reproduire, et sa descendance aussi s’y adaptera. Cette adaptation se fait en rapport aux nécessités de l’environnement, et c’est pour cette raison que deux tribus voisines de plusieurs kilomètres n’auront jamais des mœurs extrêmement différentes.

Ce sentiment d’appartenance que l’on a vis-à-vis de sa famille, de son clan, de sa ville ou de son pays est lui un instinct animal de protection de cette adaptation. Par extension, c’est aussi un instinct de protection des individus avec lesquels nous partageons des caractéristiques communes, des caractéristiques adaptées au milieu.

Un peuple n’est pas un collectif de gens croyant en une même chose, un peuple est un groupe génétiquement adapté à son milieu. Attention, cela ne signifie pas qu’un peuple est ou doit être ethniquement homogène : des études ont par exemple montrés qu’il suffit de deux générations à des migrants asiatiques pour qu’ils s’adaptent jusqu’au câblage même de leur cerveau à la vie occidentale ; l’important est l’assimilation, c’est-à-dire la volonté de l’individu de s’intégrer au mieux au groupe ainsi que la volonté du groupe a donner sa chance à l’individu, car la communautarisation empêche ou retarde cette adaptation.

Pour chaque groupe dans chaque milieu, le besoin d’adaptation constant demande du temps et de l’union pour se faire et pour survivre au terrain, et c’est ici qu’apparait l’utilité des histoires : transmettre des connaissances via des histoires mythifiées à propos des ancêtres, histoires qui vont donner des consignes comportementales et des conseils salvateurs pour les membres.

Nos mythes ont donc de profondes racines biologiques et évolutionnaires. Nos religions, nos idéologies, nos spiritualité, nos mythologies ne sont pas que des histoires faites pour se divertir. Elles ont de vraies fonctions.

Nos identités ne sont donc pas des fictions. Nos sentiments d’appartenances ne sont pas des constructions mentales. 

Ils sont les expressions de la vie en pleine évolution. 

Homo Sapiens n’est ni un Ange ni un Démon

Harari a la vision d’un transhumaniste convaincu. Pour lui, l’agressivité animale toujours présente dans notre espèce ne pourra être éliminée qu’à l’aide de la technologique.

Cette agressivité, cette méchanceté même, il la peint à gros traits. Nous aurions exterminés toutes les autres formes d’Hommes, sans pitié. Nous ne serions qu’une espèce parasite, un fléau pour ce monde.

Ce que nous révèle l’étude moderne est que les choses se sont déroulées autrement.

Homo sapiens n’a pas exterminé les autres espèces d’hommes. Plutôt, il les a assimilées en lui comme le révèle les analyses ADN.

Quant à la rareté des traces archéologiques de violences avant Homo sapiens, elles ne s’expliquent pas par le fait que la préhistoire aurait été un paradis béat constitué d’une Humanité pacifique. Nous étions simplement extrêmement peu et très dispersés sur terre.

Toujours à travers ce prisme d’un être humain foncièrement mauvais, l’auteur nous parle du mal infligé à cette magnifique planète.

Nous lui faisons effectivement extrêmement mal.

Mais évoquons ces milliers d’avancées scientifiques publiées chaque mois. Parlons de ce gigantesque bouleversement qu’à constitué internet, ce cerveau global permettant d’accélerer à vitesse éclair le nombre d’innovations et donc de rétablir l’équilibre.

Comme tout être vivant, l’être humain cherche à s’adapter au mieux à son milieu. La différence est que nous sommes les êtres les plus intelligents de cette terre, et s’en suit que notre impact est le plus abrasif. Nous dépassons régulièrement les bornes et nous sabotons nous-mêmes, mais notre incroyable capacité de résolution de problème nous permet aussi de rétablir l’ordre.

Si un jour la balance penche trop en notre défaveur, alors nous périrons.

En attendant, n’écoutez jamais ceux qui vous racontent que nous sommes par essence des êtres mauvais. 

Nous n’avons pas de temps à perdre dans l’auto-flagellation.

“Sapiens” est le Manifeste d’une Idéologie Dominante

“Sapiens” est finalement le manifeste d’une époque.

Une époque où les faits ne comptent plus, tant que l’émotion y est.

Tant que l’histoire n’offusque personne et qu’elle conforte les idées à la mode.

Une époque encore teintée de post-modernisme, cette philosophie qui place chaque chose et son contraire à la même échelle de valeur, cette vision d’un monde sans réel sens, où tout se vaut, où la vérité n’est qu’une histoire de point de vue.

Une époque teintée d’un profond nihilisme. “Tout n’est finalement qu’une simple histoire”. Toutes nos croyances et conceptions ne sont que des constructions mentale permises par l’avènement d’une mutation génétique il y a 70 millénaires.

Une époque où l’être humain ne croit plus en lui-même voire se déteste.

J’affirme que le succès de “Sapiens”, sa promotion dans les écoles et son applaudissement par les politiques, ne sont pas tellement dû à sa qualité ni sa réelle profondeur.

Ce succès est surtout dû au biais de confirmation. 

Il est venu le temps de rajouter du pragmatisme et du sens dans l’Occident. Il est venu le temps de redorer le blason de notre espèce et de nous redonner une raison d’être là.

Suivez-moi. La suite arrive bientôt.

Boris Laurent

source: borislaurent.com

 reseauinternational.net

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