17/02/2019 reseauinternational.net  21 min #152283

Colombie - Un bilan des pourparlers du gouvernement avec l'Eln

par la Délégation de Dialogues de l’ELN

Devant la Colombie et le monde, six mois après le début du gouvernement de Ivan Duque et deux ans après l’installation de la Table publique de Pourparlers à Quito, l’Armée de Libération Nationale (ELN) partage un bref bilan de ce processus de dialogue pour la construction d’une solution politique au conflit interne ; elle décrit les accords et étapes réalisés, afin de faire connaître cette perspective, sans renoncer aux efforts pour clore ce long cycle de confrontations internes.

Après l’assassinat de Gaitán en 1948, la Colombie est tombée dans une longue nuit de violence atroce, menée par les élites dirigeantes en étroite alliance avec les États-Unis ; puis, dans les années 1960, l’insurrection révolutionnaire s’est levée pour réclamer la dignité, la souveraineté et la participation de la population.

Des décennies plus tard, au milieu d’un conflit armé, politique et social qui s’intensifiait, à la fin des années 1980, conscient de la férocité de la sale guerre du régime et de la nécessité de ne pas réagir de la même manière, l’ELN a formulé le besoin d’Humaniser la guerre. Ainsi, séparément et avec d’autres organisations insurgées de l’époque, elle a signé des engagements réglementaires fondés sur les règles du droit humanitaire.

Depuis la coordination de la guérilla de Simón Bolívar, nous avons entrepris plusieurs dialogues de paix au début des années 90, à Caracas, au Venezuela, et à Tlaxcala, au Mexique.

L’ELN a de nouveau exploré cette voie en 1998, appelant la société à participer au processus de paix. En Allemagne, en Suisse et dans différents territoires de Colombie, elle a organisé des rencontres avec des propositions de solutions politiques, une voie qu’elle a continué à privilégier dans un processus de dialogue avec le gouvernement de Álvaro Uribe Vélez à Cuba entre 2005 et 2007, expériences qui n’ont pas pu être menées à terme. Il a fallu attendre plusieurs années pour voir de nouveaux rapprochements entre les deux parties en conflit.

Le cadre du processus de paix actuel

La recherche s’est poursuivie dans un nouveau processus, dans lequel nous nous trouvons toujours, lorsque, à partir de 2012, l’ELN a été convoquée par le Président Juan Manuel Santos à des dialogues exploratoires et confidentiels, à condition de les mener au milieu de la confrontation, à l’étranger et sans intermédiaires.

Après près de quatre ans de dizaines de réunions secrètes au Venezuela, en Équateur et au Brésil, un « Accord de Dialogue pour la Paix en Colombie » ainsi que son Agenda 1, ont été signés le 30 mars 2016 par l’État colombien et l’ELN devant six pays garants (Brésil, Chili, Cuba, Équateur, Norvège et Venezuela), donnant au monde entier en cette date une confirmation de cet engagement.

Des protocoles ont été immédiatement élaborés entre les deux parties du conflit pour préciser les aspects fondamentaux abordés dans tout processus de paix, où que ce soit dans le monde, relatifs au fonctionnement de la Table des Pourparlers, le transfert et le séjour de la délégation de l’ELN, et sur ce qu’il faut faire en cas de rupture du dialogue 2, indiquant pour cette hypothèse quelques règles de respect entre les parties et le retour en Colombie des membres représentants de l’ELN, conformément au Droit Coutumier International.

Le respect par les deux parties de ce qui avait été convenu avait pour source non seulement les principes de bonne foi et de confiance légitime consacrés par le droit de l’État colombien et le Droit International, mais aussi, conformément aux normes d’ordre public et de paix (loi 418 de 1997 et réformes successives), l’État a suspendu les mandats d’arrêt des représentants de l’ELN.

Comme convenu dans l’Agenda 2016, le processus de paix convenu n’était pas de soumettre une partie à l’autre, mais de développer des conversations pour « mettre fin au conflit armé et convenir de transformations à la recherche d’une Colombie en paix et équitable ».

C’est-à-dire surmonter la violence de manière dialoguée et processuelle, avec la participation de la société (point n°1), en quête de « Démocratie » et de « Transformations pour la paix » (points n°2 et 3), soit de véritables changements minimes, avec une vision de justice globale pour les droits des victimes (point n°4).

Préciser les aspects spécifiques à la fin du conflit (point nº5), tels que « éliminer la violence de la politique » et « faire progresser la transition de l’ELN vers la politique légale », en indiquant les contenus essentiels tels que les suivants : “a. Définition du statut juridique de l’ELN et de ses membres ; b. Conditions et garanties de sécurité pour l’ELN ; c. Conditions et garanties pour l’exercice de la politique de l’ELN ; d. Aborder la question de la privation de liberté des membres de l’ELN qui ont été accusés ou condamnés… ».

Début de la phase publique en Équateur

Sur la base de situations litigieuses relatives à des questions humanitaires liées à la privation de liberté de plusieurs personnes, une question traitée et résolue par les parties le 10 octobre 2016 à Caracas, les parties ont signé les « accords de Cotacachi, Imbabura » du 18 janvier 2017 3, par lesquels nous avons procédé à la libération de personnes détenues par l’ELN. Le gouvernement a accordé deux grâces et nommé deux responsables de l’ELN pour la paix, ce qui a permis l’installation de la Table des Pourparlers dans la phase formelle et publique le 7 février 2017, en Équateur.

Les deux parties, conscientes de la nécessité d’ajustements, s’étaient mises d’accord depuis octobre 2016 non seulement sur le premier point concernant la « Participation de la société à la construction de la paix », mais aussi pour établir une sous-table pour traiter simultanément le point n°5f : « Dynamiques et actions humanitaires ». Cette dernière question a concentré une grande partie des débats de ce cycle, et les parties ont signé un Accord reconnaissant un « Cadre Commun de Référence » 4 pour mener une dynamique humanitaire, à travers des actions et des accords conformes au Droit International Humanitaire (DIH), qui réduisent l’intensité du conflit.

Au cours des deux cycles suivants, des progrès ont été accomplis en ce qui concerne les Accords relatifs au Règlement intérieur de la Table, la constitution du Groupe de Pays d’Accompagnement de Soutien et de Coopération (Allemagne, Italie, Pays-Bas, Suède, Suisse) et le 5 juin, a été convenu l’Accord sur la Pédagogie et la Communication pour la Paix (Communiqué conjoint n°1 et Communiqué conjoint n°3, du 16 février et 6 juin 2017), entre autres questions.

Fin juillet 2017, déjà dans le troisième cycle de dialogues, un mandat a été donné à une Commission par les parties pour préparer un cessez-le-feu bilatéral, temporaire et national (CFBTN), convenu le 4 septembre au Ministère équatorien des Affaires Étrangères dans « l’Accord de Quito » 5, quelques heures avant l’arrivée en Colombie de Sa Sainteté le pape François.

Cet accord comprenait huit protocoles dont la mise en œuvre était supervisée par les délégués des parties et par les missions des Nations Unies et de l’Église Catholique. Les parties ont demandé au Conseil de Sécurité des Nations Unies de vérifier et de surveiller le cessez-le-feu 6, qui a été en vigueur pendant 101 jours, à compter du 1er octobre 2018, et qui a eu des résultats importants.

En octobre 2017, dans les conditions favorisées par le cessez-le-feu, les parties en présence ont développé des activités pédagogiques dans différentes régions du pays, afin de s’y conformer dans leurs différentes et respectives structures et territoires de l’ELN.

Un premier accord sur la participation de la société a permis la tenue d’auditions préparatoires en octobre et novembre dans la ville de Bogota, au cours desquelles les membres de la Table ont eu des échanges directs avec des centaines d’organisations et institutions colombiennes, en écoutant leurs expériences et propositions concernant cette participation et sa méthodologie 7.

Le 3 novembre 2017, un accord a été signé sur un programme spécifique de déminage humanitaire, et le 17 de ce mois, la deuxième audience de la Table au sujet du Chocó a eu lieu (la première a eu lieu le 31 août 2017), pour répondre aux besoins des deux parties, avec la participation des communautés, du gouvernement, de l’ELN et des délégués des organisations civiles de ce département, dans la perspective de s’entendre sur des engagements humanitaires sur ce territoire et de réduire les conséquences du conflit armé sur la population.

Le 1er décembre 2017, le quatrième cycle de la Table des Pourparlers, qui a débuté le 23 octobre, s’est terminé, avec la mise en place à Bogotá d’une Table de transition sur le cessez-le-feu pour rechercher une solution aux violations et aux divergences d’interprétation des protocoles de cessez-le-feu. Le 25 octobre, a également été créé le Fonds avec les ressources du Groupe des Pays d’Accompagnement, de Soutien et de Coopération (GPAAC) pour financer les dépenses de la délégation de l’ELN dans le processus de paix et certaines activités de la Table des Pourparlers.

Du 10 janvier au 15 mars 2018, le processus des conversations a connu une crise qui a finalement été surmontée, et ont commencé ce jour les travaux du 5e cycle 8, dans lequel l’évaluation du cessez-le-feu par les parties, l’ONU et l’Église catholique a commencé. Les Auditions préparatoires pour la conception de la participation de la société au processus de paix ont également été reconnues, évaluées et planifiées.

Le travail s’est poursuivi avec intensité jusqu’au 18 avril 2018, date à laquelle la Table des Pourparlers a été brusquement suspendue en raison de la décision de l’Équateur de ne plus être le pays garantissant le processus.

Conversations à Cuba

A Maiquetía, Venezuela, le 5 mai 2018, les parties ont demandé à la République de Cuba d’être le neuvième siège et ont convenu de planifier les travaux vers un nouveau cessez-le-feu et le développement de la participation sociale, à la recherche d’un « accord-cadre », qui donnerait une continuité au processus de paix et à la Table des Pourparlers. Ils ont remercié le Venezuela pour son hospitalité, ainsi que les pays qui ont accepté d’accueillir la Table. Le communiqué conjoint n°11 9 a été publié à l’issue de cette réunion.

A La Havane, le 9 mai, les parties se sont réunies à nouveau et ont assuré la continuité, donnant un mandat aux Commissions et Sous-Tables qui traiteraient des sujets convenus : le Cessez-le-feu et la Participation de la Société. Des rencontres ont également eu lieu avec l’Église Catholique, des plates-formes et réseaux de travail de Femmes pour la paix, les Nations Unies (ONU) et le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) pour le développement des actions humanitaires.

Du 25 au 29 mai, l’ELN a pleinement respecté le cessez-le-feu unilatéral proposé au pays pour le jour des élections, ainsi qu’un autre cessez-le-feu de plusieurs jours en juin pour le second tour des élections présidentielles au cours duquel l’actuel Président Ivan Duque a été élu. L’État colombien n’a nullement répondu à ces gestes.

Le 15 juin 2018, les parties ont publié un communiqué clôturant le 5e cycle de négociations, annonçant leurs conclusions générales 10.

Du 2 juillet au 1er août 2018, la sixième et dernière série de pourparlers a eu lieu, au cours de laquelle les bases d’un nouveau cessez-le-feu et les affaires humanitaires ont été débattues. La Sous-Table de Participation s’est également réunie, et les travaux ont progressé conformément aux mandats accordés par la Table.

Des membres actifs de la Force Publique ont assisté à la réunion, ainsi qu’à la session plénière de la Table, dans le cadre de réunions bilatérales plus étendues avec María Ángela Holguín, Ministre des Affaires Étrangères, Rodrigo Rivera, Haut-Commissaire pour la paix, et d’autres délégués présidentiels.

Bien que la signature d’un nouveau cessez-le-feu n’ait pas été obtenue, il ne fait aucun doute que les parties ont présenté des positions et des avancées à prendre en compte dans le développement du processus de paix.

Au cours de ce cycle, des accords partiels ont également été conclus sur la conception de la participation de la société, se référant aux « Fondamentaux » de cette dernière.

Gel unilatéral par le gouvernement actuel

Six mois après l’entrée en fonction de Iván Duque, nous, membres représentant l’ELN à La Havane, attendons une décision constructive du chef de l’État et le rétablissement de la Table des Pourparlers.

Dans l’échange avec l’administration Duque, des faits concluants ont été présentés, visant non seulement à résoudre des situations humanitaires, mais aussi à indiquer d’une manière raisonnablement plus large l’intérêt de tenir des réunions pour discuter et traiter de différentes questions, ajustements ou nouvelles règles dans le processus, comme on le sait.

L’ELN n’a jamais dit qu’il y avait des questions interdites ; au contraire, elle est prête à écouter et, à cette fin, elle a demandé des réunions et des conditions favorables. Cependant, la réponse a été un délai et le déclin de la Table des Pourparlers.

Au cours de ces mois, l’ELN a libéré les membres capturés de la Force Publique et d’autres personnes détenues, tout en déclarant et respectant un cessez-le-feu unilatéral entre le 23 décembre 2018 et le 3 janvier 2019. Cependant, le gouvernement maintient des « lignes rouges » et exige des mesures préalables de l’ELN, ce qui a entravé la reprise des négociations de paix.

Le 18 janvier 2019, le Président Duque, en réaction à l’opération menée la veille par l’ELN sur le quartier général de la Police Nationale à Bogotá, a demandé l’activation de mandats d’arrêt contre les membres de la délégation de Dialogues.

En outre, le Gouvernement national a décidé de ne pas respecter le « Protocole de procédure avant rupture des dialogues », signé le 5 avril 2016 entre dignitaires des deux parties et en présence des pays garants du processus.

Cette position est maintenue, malgré le fait que de multiples voix, parmi lesquelles Cuba et la Norvège, en tant que pays garants, ainsi que l’Allemagne et d’autres États, des experts juridiques, des écrivains et des dirigeants politiques, ainsi que diverses organisations, nous ont rappelé qu’il nous incombe de respecter ce pacte, car ne pas le faire détruit les piliers du droit international, porte atteinte aux responsabilités et à la crédibilité internationale, constitue une perfidie, crée un précédent désastreux au niveau mondial et nuit aux efforts internationaux pour des processus de paix futurs, entre autres raisons.

Comme nous l’avons fait le 21 janvier 2019, lorsque la Direction nationale de l’ELN a expliqué les raisons de cette guerre et assumé ses responsabilités, nous exprimons donc et maintenant que nous sommes blessés par les morts des deux côtés et que nous ne nous vantons pas des victimes tombées.

Nous formulons également en toute conscience notre devoir de continuer à œuvrer pour la paix, pour une solution politique au long conflit armé, en élaborant des accords pour une solution basée sur des changements fondamentaux urgents.

Cette attente est légitime, non seulement parce qu’il s’agit d’un mandat constitutionnel et juridique conforme au droit étatique, mais aussi parce que les États ont l’obligation juridique, éthique et politique internationale de rechercher la paix par le dialogue, conformément aux instruments et aux valeurs du droit le plus avancé des peuples et des nations civilisées, en vue de trouver une solution définitive et ferme, de résoudre les causes et de réduire les conséquences des confrontations.

Engagements en faveur de la paix

Non seulement un accord général a été signé entre l’État colombien et l’ELN en 2016 et des accords ultérieurs conclus tout au long de l’Agenda, mais ce processus est soutenu par une aspiration profonde à une solution politique qu’une grande partie du peuple colombien a soutenue et qu’il cultive au quotidien dans l’espoir que les deux parties reprendront le dialogue, auquel elles nous ont appelés.

L’ELN a cru et croit en la bonne foi, en la confiance légitime entre les parties, comme principes directeurs de ce processus de paix et des autres processus de paix dans le monde. Elle ratifie également son engagement en faveur d’un cessez-le-feu bilatéral et du droit humanitaire en étant disposée à conclure des accords sur ces questions.

Nous proposons une fois de plus au Président Duque que le Protocole de retour en Colombie soit appliqué, avec les procédures et garanties déjà établies. De la même manière, maintenir et assurer la continuité des pourparlers de paix.

La Délégation de Dialogues de l’ELN invite les organisations sociales, le mouvement populaire, les responsables politiques, l’Église Catholique, les responsables religieux, les organisations humanitaires, les plates-formes de femmes, l’environnement et les droits de l’homme, les organisations internationales, les représentants d’autres gouvernements et parlementaires d’autres pays, ainsi que les universitaires et associations de juges, de tenir compte des accords et des avancées que nous avons esquissés ici (voir liste des annexes), construits avec l’État colombien, et de les déposer d’urgence auprès du Conseil de Sécurité des Nations Unies, afin que cette accumulation de pactes et de propositions soit préservée par les Nations Unies, pour le jour où il y aura une volonté de relancer le processus de paix, convaincus que l’avenir de la Colombie ne peut être la guerre.

1  eln-paz.org

2  eln-voces.com

3  eln-paz.org

4  eln-paz.org

5  eln-paz.org

6  eln-paz.org

7  eln-paz.org

8  eln-paz.org

9  eln-paz.org

10  eln-paz.org

Source :  Un balance de las conversaciones del gobierno con el ELN

traduit par Pascal, revu par Martha pour  Réseau International

 reseauinternational.net

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