14/03/2019 reseauinternational.net  6 min #153408

Le fléau des livres d'entraide

par Javier Becerra

Le bonheur est devenu un produit de consommation qui, en réalité, n’existe pas, peu importe combien d’argent on y consacre. C’est l’une des idées avancées par le philosophe Iñaki Domínguez dans « Comment être heureux en étant martelé« , un livre qu’il définit lui-même comme « un manuel anti-aide ». Il s’agit d’un bref volume qui s’attaque aux livres d’entraide, au coaching et à d’autres formes de motivation qui ont émergé, en particulier avec la crise économique.

« L’entraide est devenue l’un des piliers de l’idéologie néolibérale, qui nous invite à accepter n’importe quelle situation« , pense Dominguez. Il donne des exemples :

« Ce qu’elle te dit, c’est que si tu travailles mais que tu n’as pas assez d’argent pour vivre, sois heureux. Si tes conditions de travail sont misérables, fais preuve de résilience. L’entraide et cette idéologie représentent une façon d’accepter l’inacceptable« .

A cet égard, l’auteur souligne que la clé n’est pas de changer la pensée, mais les actions.

Il l’explique dans les pages du livre : il est inutile de penser comme un homme riche, si on est pauvre. Tant que le compte en banque n’est pas plein, tu ne peux pas avoir cet état d’esprit. On voit ici la figure du coach, sur laquelle Domínguez est particulièrement pointu :

« Ce qu’ils font, c’est rendre les gens responsables de leurs problèmes : vous n’êtes pas riche parce que vous n’avez pas la bonne approche« .

Et il en appelle à la Grèce antique pour montrer qu’en réalité, ce n’est pas quelque chose de particulièrement nouveau.

« Les sophistes sont apparus dans une période de décadence des religions antiques, comme c’est le cas aujourd’hui en Occident avec le Christianisme« , précise-t-il et il établit des parallèles avec ceux qui sont engagés dans le coaching aujourd’hui :

« Ils demandaient des sommes considérables en échange de stratégies pour réussir, faisaient des conférences ambulantes et leur philosophie était considérée par quelques-uns de leurs contemporains comme extrêmement superficielle. Platon disait d’eux qu’ils étaient « des marchands qui font du trafic de marchandises spirituelles« .

On dit des coachs du XXe siècle qu’ils sont des trafiquants d’idées récupérées.

Face à cela, Iñaki Domínguez propose un changement radical d’attitude. Face à l’approche de « reprogrammer votre esprit pour que la réalité vous sourit », qu’il attribue à l’auto-assistance, il propose un changement extérieur :

« Nous n’avons pas à manipuler les idées pour transformer notre réalité matérielle, mais plutôt à modifier notre réalité matérielle afin de transfigurer nos idées« .

Le bonheur non, la santé oui

Derrière cette idée de bonheur « en payant » se cache, selon l’affirmation de Domínguez, quelque chose de pervers :

« La société veut que nous soyons heureux de continuer à être exploités sans que nous répondions à ses injustices« .

A partir de là, il lance un appel à la prise de conscience :

« Le bonheur n’existe pas. Le plus tôt tu t’habitueras à cette idée, le mieux ce sera. Tout au plus, on peut se maintenir en bonne santé. Avoir des relations saines avec les gens qui nous apportent des choses, qui nous estiment et que nous estimons. La santé n’est pas fondée sur la consommation, mais sur des relations significatives avec les autres, qu’elles soient affiliées, sentimentales, sexuelles ou de toute autre nature« .

Et que faire quand on se trouve dans une situation de mal-être :

« La meilleure chose à faire est de se débarrasser de cette situation. S’il n’y a pas d’autre option, essayer de s’adapter peut être le moindre mal, mais ce n’est jamais l’option la plus avantageuse. En tout cas, cette acceptation est un moyen de réprimer les sentiments négatifs et non de se remettre en question« .

Dans le fond, la tentation est grande de voir « Comment être heureux en étant martelé » comme un livre d’auto-assistance avec un emballage différent.

« Non, l’auto-assistance consiste à se transformer à partir de soi-même« , dit-il, tandis que l’anti-assistance tente de renforcer le sujet dans une relation dialectique avec le monde : démontrer son engagement envers la réalité et envers soi-même par des actions.

Source :  El azote de los libros de autoayuda

traduit par Pascal, revu par Martha pour  Réseau International

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