14/04/2019 histoireetsociete.wordpress.com  10 min #154758

L'atlantisme voilà l'ennemi par Aymeric Monville

Proposition liminaire pour penser l' impérialisme dans le moment actuel. un texte intéressant et qui mérite débat, personnellement je crois que le texte de Lénine impérialisme stade suprême du capitalisme reste essentiel, mais que ce stade dans lequel nous sommes a connu à partir du moment où est intervenu l'URSS de profondes évolutions et un certain nombre de principes comme la recherche de la paix et les respect des souverainetés comme base de la paix restent au coeur de la lutte anti-impérilaliste. La vision largement trotskiste et social démocrate de la lutte inter-impérialiste de la période soviétique et d'aujourd'hui est fausse et empêche un véritable combat. D'où mon accord avec cette analyse. (note de danielle Bleitrach)

par  Aymeric Monville

L'une des tâches majeures qui se pose au mouvement communiste international consiste à définir l'impérialisme ou plutôt les impérialismes dans le moment actuel. C'est cette démarche - léninienne par l'esprit - qu'il nous faut aujourd'hui fermement opposer à une lecture littérale et caricaturale de "L'impérialisme, stade suprême du capitalisme", hélas aujourd'hui trop courant dans la mouvance communiste, et consistant en la répétition hâtive de thèses qui ressortissent principalement au contexte de la Première Guerre mondiale mais non à notre époque. Le moment actuel diffère en effet de celui du premier conflit mondial en ce que nous sommes arrivés, de par la réalité, d'ailleurs bien vue par  Lénine, du développement inégal des impérialismes, à un point de la domination de l'impérialisme états-unien tel que celle-ci va de l'hégémonie militaire jusqu'à la capacité de contrôler la monnaie au plan mondial. Cette domination en fait la menace numéro un pour la cause des peuples.

Dès 1935, dans la démarche séminale qui fut celle du VIIe congrès de l'Internationale communiste, l'on sortait d'un certain schématisme pour prendre conscience de la nécessité d'une alliance anti-fasciste, c'est-à-dire la désignation d'une cible prioritaire et la fin du mot d'ordre du défaitisme tous azimuts. Certes, lesdites démocraties occidentales ne cessaient pas d'être considérées comme des impérialismes réels ou en puissance, mais l'on prenait conscience de la dangerosité primordiale du fascisme et de la nécessité d'un large front, comme en Espagne notamment. C'est cette démarche - maintenue par le Komintern jusqu'à sa dissolution en 1943, à l'exception de la période du Pacte de non-agression, imposé par la honteuse trahison de Munich - qui a permis la victoire de l'Union soviétique, puis de résister ensuite, pendant la guerre froide, aux impérialismes occidentaux, qui ne pouvaient plus compter sur l'alliance "munichoise" avec un fascisme définitivement défait. Il faut donc séparer, et pas seulement distinguer les impérialismes, c'est-à-dire jouer sur leurs contradictions. Cette stratégie est la seule gagnante. Elle relève avant tout de la nécessaire « ruse de la raison » d'un prolétariat qui a d'abord pour seule arme son organisation et sa faculté à diviser l'ennemi, comme Horace est dit avoir vaincu les trois Curiace en les affrontant l'un après l'autre. Mais n'oublions pas non plus qu'en divisant ses ennemis, les plus irréductibles les uns après les autres, la classe ouvrière trouve également dans sa lutte différents alliés, progressistes et intellectuels, ce qui permettra plus tard la construction du socialisme sur la base d'un large consensus national.

C'est pourquoi, pour le moment, toutes les discussions - fréquentes dans nos milieux - sur la réalité, l'importance ou la dangerosité d'un impérialisme russe ou chinois, certes, sont légitimes dans la mesure où la Russie et la Chine participent à l'exportation de capitaux sur la base de la fusion du capital bancaire et du capital industriel en capital financier, critère léninien majeur de l'impérialisme, mais deviennent déplacées, contre-productives, voire douteuses dans la mesure où l'on tairait que cet avantage comparatif n'est pas de nature à asservir les économies, mais apporte - en tout cas aujourd'hui - au Venezuela, comme en Syrie, une garantie de leur souveraineté et de leur pérennité.

Ce n'est pas un hasard si les principaux opposants au président Maduro sont les puissances coloniales de l'ère moderne (Royaume-Uni, France, Espagne, Allemagne, Portugal, Pays-Bas) et si ses principaux défenseurs sont les pays qui ont le plus contribué à la décolonisation au XXe siècle (Russie, Chine, Cuba). La prise en compte de ce temps long, braudélien, montre aussi que même un pays capitaliste comme la Russie est intriquée dans un réseau d'alliances et d'intérêts de long terme qui en fait aujourd'hui une protectrice pour la souveraineté de nombreux Etats. Ajoutons également que lorsque nous parlons de problèmes aussi graves que les menaces nucléaires exterministes (cf. les thèses de G. Gastaud à ce sujet), le contrôle des secteurs clefs de l'économie chinoise par le PCC ou la mise au pas - partielle, certes - de certains oligarques par V. Poutine, donne de meilleures garanties du fait que dans ces pays-là, il y a - à défaut d'une direction prolétarienne - au moins "un pilote dans l'avion" et non un complexe militaro-industriel, véritable « monstre froid, le plus froids de tous les monstres froids » dont la résistible ascension effrayait jusqu'à Eisenhower lui-même.

Il est vrai qu'un "monde multipolaire", terme clef de la diplomatie russe actuelle, si elle est un scandale pour les Folamour de Washington, n'est évidemment pas un mot d'ordre satisfaisant pour un marxiste si l'on ne remet pas en cause la constitution de blocs impérialistes concurrents. Mais nous sommes loin d'en être là. Rappelons cette évidence : l'OTAN dispose d'un système complet de bases militaires entourant la Russie, la réciproque n'est pas vrai. Il serait aussi déplacé de méconnaître l'héroïsme de cette puissance russe qui a détruit le fascisme brun et récemment le fascisme vert de Daesh, lorsque notre « gauche » se vautre dans la collaboration de classe et la complicité avec les politiques de la canonnière depuis tant d'années. Oserons-nous dire que nous préférons de loin, malgré nos réserves, les néo-« gaullistes » russes aux sociaux-traîtres et aux sociaux-impérialistes bien chez nous ? Certes, nous ne réduisons pas l'impérialisme à la fraction hégémonique de celui-ci (la Triade). Mais notons que la mondialisation est d'abord une USAnisation. Il n'est qu'à voir la domination éhontée du tout-globlish. De plus, ces impérialismes en Europe, français et allemand par exemple, n'ont pas choisi pour rien de s'opposer prioritairement à la Russie. Le récent traité d'Aix-la-Chapelle et la lettre d'Annegret Kramp-Karrenbauer à Macron qui s'en est ensuivie, montre qu'il s'agit bien plus d'une recomposition régionale de l'atlantisme dirigée en priorité contre Moscou. Le capital français gendarme en Afrique pour le compte du capital allemand gendarme en Europe, lequel accepte, par la réactivation de la russophobie, le rôle du capital états-unien comme gendarme du monde. Le "populisme" de l'actuel gouvernement italien n'est simplement qu'une stratégie qu'a trouvé le capitalisme italien pour résister à la pression des ses concurrents - comme l'a montré sa mise à l'écart lors de la guerre en Libye - par un chantage à la sortie de l'Europe, laquelle ne sert en réalité que de monnaie d'échange pour une recomposition ultérieure.

Une autre erreur qui résulte d'une lecture trop mécaniste et atemporelle de l'ouvrage de Lénine consiste à affirmer que toute évocation de la disparition ou du dépassement du cadre national serait un réchauffé du supra-impérialisme facteur de paix mondiale cher à Kautsky et moqué à juste titre par Lénine. Bien entendu, cette dynamique supra-impérialiste (ou ultra-impérialiste) n'est pas à l'oeuvre et le développement inégal des impérialismes oppose encore des capitalismes s'appuyant sur leur appareil étatique national. Néanmoins, il faut dans le même temps constater une évolution du capitalisme monopoliste d'Etat vers ce que Samir Amin appelait le "capitalisme des monopoles généralisés". Cette évolution est certes avant tout tendancielle et n'efface ni rôle des Etats dans la sauvegarde des capitalismes ni leur mise en concurrence mais elle explique en partie, pour prendre l'exemple le plus frappant pour nous, la déperdition de souveraineté dont notre peuple est victime. Elle explique aussi en partie pourquoi le gaullisme en France est devenue une option subjective et nostalgique mais non plus l'expression d'une classe, en l'occurrence une bourgeoisie nationale capable de résister. Du reste, le dernier ouvrage d'Annie Lacroix-Riz, "Les Elites françaises entre 1940 et 1944", montre bien que De Gaulle était lui-même une exception, son entourage (Catroux compris!) étant fort inféodé à l'atlantisme. Ne pas comprendre ces dynamiques, c'est ne pas comprendre que, bien que la France soit elle aussi un pays impérialiste, son peuple a besoin d'être défendu en tant que tel.

 Concluons. Nous célébrons ces jours-ci le triste anniversaire des vingt ans de l'agression de la Yougoslavie par les forces de l'OTAN. Dès cette époque, il était bien vu, - et jugé même léniniste, dans le camp trotskiste notamment -, de rejeter dos à dos les forces en présence. Il avait bon dos le défaitisme ! Et la révolution permanente qui cache l'impuissance politique la plus totale! Tout cela a joué tout le temps en faveur des maîtres états-uniens. C'est la même démarche obtuse qui avait autorisé LO à ne pas voter contre le traité de Maastricht au nom de la pureté révolutionnaire qui excluait toute considération du cadre (étatique ou supra-étatique) de la lutte des classes. Même chose du renvoi dos à dos de l'impérialisme états-unien et des régimes arabes laïques qui, malgré leurs évidentes limites, avaient au moins nationalisé le pétrole. Cet abandon complet, avec la complaisance de la gauche occidentale, a entraîné la plupart des pays arabes dans la misère et le chaos.

La classe ouvrière ne doit pas s'interdire de passer des alliances - comme toutes les alliances : ponctuelles, et sur la base de l'intérêt réciproque - avec des forces non communistes qui défendent l'indépendance nationale de leur pays. Cette stratégie s'est révélée victorieuse dans la grande séquence de la décolonisation au XXe siècle. C'est le couple entre un parti de combat, marxiste-léniniste et solide de par son organisation centraliste et démocratique, et un large front de libération nationale qui est la condition sine qua non de la victoire. C'est la stratégie du Front populaire qui malgré ses limites évidentes - trahison de l'Espagne par Blum, "pause", etc. - a empêché l'arrivée du fascisme en France, la soumission à l'Allemagne préparée par la bourgeoisie, et a permis que le fascisme, en tant que "produit d'importation" de l'étranger, fût plus aisément vaincu sur notre sol.

Les progrès constants du PRCF dans l'opinion publique, mesurés par le fait qu' « Initiative communiste » est désormais le 8e site politique en France, alors que notre Pôle n'a nullement renoncé aux principes organisationnels léninistes, montrent aujourd'hui également que cette stratégie est la seule valable.

Toutes ces raisons nous confirment, cent ans après la création de l'Internationale communiste, plus que jamais, que les thèses définies par l'Internationale communiste, Thorez, Togliatti, Dimitrov, restent un jalon pour l'avenir.

C'est en cela que nous redisons, avec le grand Gabriel Péri :

« Et s'il était à refaire je referais ce chemin. / Une voix monte des fers. Et parle des lendemains. »

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