18/04/2019 reporterre.net  16 min #154964

À cause du changement climatique, les allergies explosent

En 20 ans, le nombre d'allergies liées au pollen a triplé. Cette augmentation « spectaculaire » est causée en grande partie par le dérèglement climatique : les printemps précoces provoquent une augmentation des quantités de pollen tandis que certaines plantes allergisantes, comme l'ambroisie, étendent leur aire de répartition.

Ce jeudi 18 avril, le Jiec Journalistes d'investigation sur l'écologie et le climat publie simultanément une série d'articles, que vous pourrez lire sur Reporterre et les sites de nos partenaires : Basta, Mediapart, Politis et la Revue Projet. Toutes les infos sont à retrouver  à la fin de cet article.

Crise d'éternuements, nez qui gratte, yeux qui démangent, respiration sifflante... Et si les dérèglements climatiques empiraient  les allergies ? D'après des chercheurs, c'est le cas :  le changement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre anthropiques perturbe la pollinisation, la répartition des végétaux et modifie ainsi dans l'atmosphère la teneur en pollen, substance allergisante.

Les allergies « c'est l'horreur ! », déplore Charlène, hypersensible au pollen, aux moisissures et aux acariens. « C'est un réel handicap dans ma vie, explique la jeune trentenaire, qui vit à Paris. Mon allergie, ce n'est pas juste le nez qui coule de temps en temps, ce sont aussi des essoufflements, des crises d'asthme, des séjours à l'hôpital. » Après de sévères complications respiratoires, Charlène a « heureusement été prise en charge à temps » mais, à quelques mois près, « je terminais en insuffisance respiratoire ».

« Les symptômes allergiques sont plus sévères et persistants qu'auparavant »

Aujourd'hui, comme Charlène, près d'un quart de la population française est concernée par des allergies respiratoires, dont 50 % à cause des pollens, de petits grains libérés par les plantes pour leur reproduction et 10 % à cause des moisissures, des champignons microscopiques qui se développent avec l'humidité.

La situation ne va pas en s'arrangeant : le nombre d'allergies liées au pollen est en constante augmentation dans l'Hexagone. Elles ont triplé en 20 ans, affectant désormais près de 20 % des adolescents et plus de 30 % des adultes,  avertissait l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en 2015. La professeure Chantal Raherison-Semjen confie être « particulièrement préoccupée » pour ses patients, « dans un contexte de déserts médicaux » : « Ces vingt dernières années, l'augmentation de la prévalence de ces maladies a été spectaculaire, remarque la pneumologue, qui exerce depuis la fin des années 1990. En pratique, de plus en plus de personnes viennent consulter pour des symptômes allergiques et respiratoires : des enfants, des adolescents et même plus tardivement des adultes. Et ces symptômes sont plus sévères et persistants qu'auparavant. »


La hausse des températures conduit à une augmentation des quantités de pollen.

Comment expliquer une telle explosion des allergies en France ? « Allergies et asthme sont des maladies avec un terrain génétique. Or, celui-ci n'a pas pu changer si profondément en quelques décennies, observe Isabella Annesi-Maesano, directrice de recherche à l'Inserm. En revanche, notre environnement et notre exposition à certaines substances allergènes ont beaucoup évolué. » Et si la pollution de l'air et l'urbanisation grimpante sont partie prenante du problème, le changement climatique est également en cause.

D'après le bilan annuel réalisé par la Fédération des associations de surveillance de la qualité de l'air ( Atmo France), le Réseau national de surveillance aérobiologique ( RNSA) et l'Association des pollinariums sentinelles de France ( APSF), « le réchauffement climatique et la hausse des températures conduisent à une augmentation des quantités de pollen ». Ce phénomène touche principalement les espèces qui pollinisent à la fin de l'hiver et au début du printemps telles le cyprès, le frêne ou encore le bouleau. « C'est une tendance globale, observe Serge Pellier, référent pollen d'Atmo France. Les printemps sont plus précoces, plus ensoleillés et les conditions sont très favorables au développement anticipé des arbres et des plantes. »

Le changement climatique modifie les aires de répartition de la flore

Résultat, la quantité de pollen concentrée dans l'atmosphère  ne cesse de croître depuis 1987, et cette croissance est fortement corrélée à l'augmentation des températures moyennes. Selon le bilan annuel, le cru pollinique 2018 des bouleaux a d'ailleurs « battu tous les records » : en avril, un épisode de chaleur « exceptionnel » leur a permis de fleurir dans des conditions très favorables. L'année s'est avérée particulièrement pénible pour les personnes hypersensibles à leurs pollens, très allergisants.


Les quantités de pollen de bouleau ne cessent d'augmenter.

« L'augmentation des substances allergènes dans l'environnement a un coût socio-économique important, dit Isabella Annesi-Maesano. Les pathologies associées arrivent de plus en plus tôt, persistent de plus en plus longtemps et les gens sont de plus en plus diminués. Leur qualité de vie est amoindrie et ils sont contraints de suivre des soins. Et ce n'est malheureusement pas prêt de s'arranger, c'est LE facteur à surveiller, étant donné les prévisions des climatologues. »

En outre, le changement climatique a pour effet de modifier les aires de répartition des arbres et des herbacées. « On se retrouve avec des plantes qui résistent à des endroits où elles ne pouvaient évoluer auparavant », note Isabella Annesi-Maesano. Profitant de nouvelles conditions climatiques qui leur sont plus propices, certaines espèces allergisantes se répandent sur le territoire. Ainsi l'ambroisie à feuilles d'armoise, venant d'Amérique du Nord, s'étend en Europe comme une traînée de poudre. Sa concentration pourrait quadrupler, sur le continent, à l'horizon 2050. Selon l'Inserm, le changement climatique serait à l'origine des deux tiers de cette progression.

« En France, l'ambroisie s'est développée à partir de la vallée du Rhône et elle se répand maintenant sur une plus grande superficie, s'inquiète Serge Pellier. Elle est coriace et extrêmement allergisante [1]. Il est très difficile de s'en débarrasser, ses graines peuvent très bien se mettre sous les roues d'une voiture et se disséminer le long des routes. Vous avez beau la tondre, elle repousse. La seule solution viable reste l'arrachage, pied par pied. »

À Lyon, en juin 2018,  entre 100.000 et 130.000 allergies au pollen d'ambroisie étaient recensées, avec des coûts de santé estimés à plus de 15 millions d'euros par an sur la région. La métropole s'évertue maintenant à éradiquer la plante. Au mois d'avril 2019,  le préfet du Tarn-et-Garonne s'est aussi saisi du problème en prenant un arrêté pour enrayer l'invasion de cette espèce dans son département.

« Quand le pollen est touché en excès par certains polluants, il devient plus dangereux »

Indirectement, le changement climatique amplifie également l'agressivité des pollens. Avec l'augmentation  des vagues de chaleur [2], des pics d'ozone et feux de forêt sont favorisés, aggravant la pollution de l'air engendrée par les activités humaines. « Nous sommes de plus en plus concentrés dans des villes, il fait de plus en plus chaud et l'utilisation d'air conditionné dans les bureaux ou les transports devient systématique et participe toujours plus à la pollution atmosphérique. C'est un cycle infernal, regrette Isabella Annesi-Maesano. Or, quand le pollen est touché en excès par certains polluants, il se fragmente en d'infimes particules. Il devient alors plus dangereux, notamment car il contribue à déclencher des asthmes chez des sujets rhinitiques, parce qu'il pénètre plus facilement dans nos bronches. »


L'ambroisie, une plante coriace et extrêmement allergisante, se répand en France.

D'un point de vue médical, « il est impossible de guérir totalement d'une allergie » dit Serge Pellier, mais les possibilités existent pour en diminuer les effets : « Un bilan allergologique permet de cerner les différentes substances auxquelles le patient est sensible, explique la pneumologue Chantal Raherison-Semjen. Pour les personnes allergiques au pollen, ça permet par exemple de se tourner vers  le site du RNSA qui les informe de la teneur en pollen à un instant et un lieu précis. Ainsi, elles savent quand elles doivent prendre leurs antihistaminiques. Il existe aussi des conseillers en aménagement de l'environnement intérieur, qui sont des personnes qui interviennent sur prescription et mènent des enquêtes pour mieux chasser les allergènes des maisons. » Quant aux personnes asthmatiques, elles peuvent bénéficier d'une mesure du souffle pour évaluer leurs capacités respiratoires.

Les stratégies d'aménagement du territoire tenant compte des allergènes potentiels sont également cruciales pour soulager les malades. « On a voulu faire de jolies villes, avec des monocultures résistantes à la pollution, mais c'est très mauvais pour les personnes allergiques qui se prennent des tonnes de pollen, par exemple de bouleau et de freines », estime Isabella Annesi-Maesano. « Ce qui est préconisé, c'est d'éviter de faire de la monoculture de plantes sur le territoire, dit Serge Pellier. Il faut encourager la diversité. La nature n'est pas un champ uniforme constitué d'une seule espèce. »

En novembre,  nous vous annoncions la création d'un groupe de journalistes issus des rédactions de  Basta !,  Mediapart,  Politis,  Reporterre et de la  Revue Projet, se donnant pour mission de documenter les conséquences du changement climatique en France. Ce groupe, nous l'avons appelé le Jiec : Journalistes d'investigation sur l'écologie et le climat. Ce jeudi 18 avril, le Jiec publie simultanément une deuxième série d'articles, que vous pourrez lire sur Reporterre et les sites de nos partenaires :

  • L'édito du JIEC :

En novembre, nous vous annoncions la création d'un groupe de journalistes issus des rédactions de Basta !, Mediapart, Politis, Reporterre et de la Revue Projet se donnant pour mission de documenter les conséquences du changement climatique en France. Ce groupe, nous l'avons baptisé « Jiec » : Journalistes d'investigation sur l'écologie et le climat. Un site lui est désormais dédié :  jiec.fr.

Car l'actualité s'accélère sur le front de l'urgence climatique. L'État français doit faire face à deux recours pour inaction. Le premier a été déposé par le maire de Grande Synthe, Damien Carême. Le deuxième, « L'Affaire du siècle », a récolté 2,2 millions de signatures. Le mouvement des jeunes s'est intensifié depuis février, culminant avec une grève mondiale le 15 mars. Le lendemain, des dizaines de milliers de personnes descendaient dans les rues pour la Marche du siècle.

Notre rôle de journaliste est de continuer à documenter les effets du réchauffement climatique, les manières de l'atténuer et de s'y adapter. C'est pourquoi le groupe Jiec publie simultanément ce 18 avril une deuxième série d'articles :

Une personne sur quatre est atteinte par des allergies saisonnières et le changement climatique n'y est pas étranger. Autre conséquence sanitaire : le stress post-traumatique et l'anxiété engendrés par des catastrophes comme le cyclone Irma à Saint-Martin et les inondations historiques dans l'Aude. Les dérèglements climatiques bouleversent des éleveurs laitiers et des viticulteurs, qui modifient leurs pratiques pour s'adapter. Certains jeunes mobilisés intègrent les enjeux du climat dans leurs projets d'avenir.

Vous trouverez sur  jiec.fr les liens vers ces articles que nous avons pensés ensemble et que nous publions conjointement dans Basta, Mediapart, Politis, la Revue Projet et Reporterre.

 reporterre.net

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