16/05/2019 investigaction.net  9 min #156426

Les États-Unis et Israël mèneront-ils une « guerre d'été » ?

La politique de Trump pour l'Iran devient dangereuse

16 Mai 2019
Article de :  Colin Kahl

La tension monte entre les Etats-Unis et l'Iran. Washington a mis fin aux exceptions des sanctions imposées à Téhéran pour l'étouffer davantage. John Bolton hausse le ton et renforce la présence militaire US dans le Golfe Persique. Si bien que même le journal Foreign Policy, pas vraiment reconnu pour ses penchants anti-impérialistes, se montre critique à l'égard de la politique du gouvernement Trump contre l'Iran. (IGA)

Le 5 mai, John Bolton, conseiller à la sécurité nationale, a lancé un rude avertissement à l'Iran. Il a annoncé que les Etats-Unis allaient déployer le porte-avion USS Abraham Lincoln ainsi qu'une flotte de bombardiers dans le Golfe persique, « afin d'envoyer un message clair et sans équivoque au régime iranien et l'avertir que toute attaque contre les intérêts des Etats-Unis ou de leurs alliés se heurterait à une force implacable. » Il a jouté que les Etats-Unis « ne cherchent pas la guerre avec le régime iranien » mais sont « complètement préparés à répondre à n'importe quelle attaque. »

On ignore encore ce qui a déclenché le déploiement et le langage dur de Bolton. Les premiers reportages suggéraient que cela aurait pu être une réponse à des indices selon lesquelles des milices chiites soutenues par l'Iran préparaient des attaques contre les troupes US en Irak. D'autres reportages suggéraient qu'Israël avait informé les responsables US d'une attaque imminente de l'Iran contre des intérêts, du personnel ou des alliés des États-Unis dans le Golfe. Un responsable US anonyme a déclaré que le déploiement avait été commandé pour renforcer « la dissuasion contre ce qui a été perçu comme de potentiels préparatifs des forces iraniennes et de leurs mandataires indiquant de possibles attaques contre les forces US dans la région«. Mais l'officier a ajouté qu'il n'y avait pas de signes d'une attaque iranienne imminente.

Bolton a une longue expérience dans l'art d'exagérer et de manipuler les renseignements afin de justifier l'usage de la force. Si bien que l'on pourrait être tenté de rejeter tout cela comme des fake news. Mais la perspective d'une provocation iranienne qui susciterait une confrontation militaire plus large est bien réelle, même si c'est la politique du gouvernement Trump visant à acculer Téhéran qui a considérablement amplifié le danger.

L'avertissement de Bolton survient dans un contexte d'escalade rapide des tensions entre les États-Unis et l'Iran. Il y a un an, le président des États-Unis, Donald Trump, s'est retiré de l'accord sur le nucléaire iranien de 2015 et a réimposé des sanctions sévères contre les banques et le pétrole de manière à priver l'Iran de ressources et à déstabiliser le régime. Les sanctions ont lourdement pesé sur l'économie iranienne. Mais jusqu'à maintenant, la campagne de pression maximale du gouvernement n'a pas permis d'atteindre les objectifs affichés, à savoir forcer Téhéran à négocier un nouvel accord nucléaire ou à réduire son soutien au terrorisme et au militantisme régional. Face à cet échec, la Maison Blanche n'a pas réévalué sa stratégie. Au lieu de cela, elle y est allée deux fois plus fort.

Cherchant à conduire l'Iran au point de rupture, le gouvernement Trump a annoncé fin avril qu'il mettrait fin aux dérogations qui avaient permis à la Chine, à l'Inde, au Japon, à la Corée du Sud et à la Turquie de continuer à importer environ 1 million de barils de pétrole iranien par jour. L'objectif déclaré du gouvernement US est de ramener le plus près possible de zéro les exportations de pétrole iranien, moteur de l'économie du pays. L'Iran a répondu par de nouvelles menaces de fermeture du détroit d'Hormuz, une voie navigable étroite au large des côtes iraniennes à travers laquelle circulent environ 20% des flux de pétrole échangés dans le monde. Et les proches du régime ont laissé entendre que l'Iran pourrait prendre d'autres mesures pour perturber les exportations de pétrole de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis - des concurrents de Téhéran qui ont défendu la campagne de pression maximale de Trump. Le régime pourrait ainsi cibler les expéditions de pétrole à travers le détroit de Bab el Mandeb et la mer Rouge, ou frapper des infrastructures essentielles saoudiennes et émiriennes par des cyberattaques destructrices.

Dans un effort supplémentaire pour renforcer les pressions sur le régime iranien, le gouvernement Trump a également désigné les Gardiens de la révolution islamique comme organisation terroriste. C'est la première fois que Washington a émis une telle désignation contre une composante gouvernementale d'un autre pays. Le Parlement iranien a réagi en adoptant une loi, signée par le président Hassan Rouhani la semaine dernière. Elle déclare terroristes toutes les troupes US stationnées au Moyen-Orient et désigne le gouvernement US comme un sponsor du terrorisme.

Dans le même temps, les dirigeants iraniens semblent envisager des mesures pour relancer le programme nucléaire du pays. À ce jour, l'Iran a respecté les limites de l'accord nucléaire en matière d'enrichissement de l'uranium et d'autres activités interdites, même s'il avait très peu d'avantages économiques à en tirer en retour. Au cours de l'année écoulée, la stratégie de Téhéran semble avoir été la débrouille. Sur le plan diplomatique, il a affiché à l'échelle internationale son indignation contre les sanctions US et attend un changement de régime à Washington après les élections de 2020. Mais le consensus politique parmi les élites iraniennes en faveur d'une retenue nucléaire semble s'effondrer. Des responsables iraniens ont récemment laissé entendre que l'Iran pourrait commencer à dépasser les limites de l'accord nucléaire sur le stock d'uranium faiblement enrichi du pays ou à redémarrer l'enrichissement d'uranium dans l'installation sous-terraine de Fordow. Rouhani doit bientôt annoncer officiellement les prochaines étapes de l'Iran. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a même déclaré que des factions du régime faisaient pression pour que l'Iran quitte le Traité de non-prolifération nucléaire dans son ensemble. Alors qu'une action aussi radicale semble peu probable pour le moment, la patience de l'Iran sur le front nucléaire est en train de s'épuiser.

En conséquence, alors que cela fait un an que Trump s'est retiré de l'accord nucléaire iranien, la campagne de pression maximale du gouvernement US a déclenché une spirale d'actions-réactions qui a engendré une situation très inquiétante. Le risque d'affrontement militaire augmente chaque jour.

Des milliers de soldats US et de forces soutenues par l'Iran opèrent à proximité les uns des autres en Irak, en Syrie et dans les eaux surpeuplées du golfe Persique. L'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis poursuivent leur campagne aérienne contre les Houthis soutenus par l'Iran au Yémen, en dépit de l'indignation internationale suscitée par la pire catastrophe humanitaire dans le monde. Et Israël mène régulièrement des frappes militaires contre les livraisons d'armes et les infrastructures iraniennes en Syrie. Dans ce contexte instable, les scénarios d'une guerre intentionnelle ou non intentionnelle entre les États-Unis et l'Iran sont nombreux.

Si l'Iran ou ses alliés réagissent à la pression US en faisant couler du sang étasunien ou en portant un coup sévère aux principales infrastructures pétrolières de la région, les choses pourraient rapidement dégénérer.

Contrairement à ce qui avait été mis en place durant les dernières années du gouvernement Obama, il n'y a actuellement aucune ligne de communication de haut niveau entre Washington et Téhéran pour gérer une telle crise. Et les plus radicaux semblent désireux de se battre, de rechercher des occasions de renchérir plutôt que de désamorcer les tensions.

Toutes choses étant égales par ailleurs, Trump ne voudra probablement pas d'une autre guerre US au Moyen-Orient. Mais, si le passé est un prélude, son instinct sera de répondre (probablement via Twitter) à toute provocation iranienne avec une rhétorique belliqueuse qui jettera de l'huile sur le feu. On peut également envisager des actions iraniennes qui déclencheraient une pression politique intense pour une action militaire de la part de l'aile droite du président, des faucons du Congrès et des alliés régionaux - les mêmes forces qui ont poussé Trump à se retirer de l'accord iranien. D'ailleurs, Trump n'est plus entouré de son ancien conseiller à la sécurité nationale, McMaster, ni de son ancien secrétaire à la Défense, James Mattis, ni par d'autres têtes froides. Il est maintenant entouré de conseillers tels que Bolton et le secrétaire d'État Mike Pompeo, qui appellent depuis longtemps à la guerre contre l'Iran.

En fait, les conseillers de Trump semblent envisager précisément cette éventualité et ses possibles justifications légales. Le mois dernier, lors d'une audience devant la commission des affaires étrangères du Sénat, le sénateur républicain Rand Paul a demandé à Pompeo si l'autorisation de 2001 d'utiliser la force militaire contre Al-Qaïda et ses forces associées donnait au gouvernement Trump le pouvoir de faire la guerre à l'Iran. Pompeo a refusé de donner une réponse directe. Mais dans un sombre écho à la période précédant la guerre en Irak, le gouvernement Trump a estimé qu'il existait un lien entre l'Iran et Al-Qaïda.

Si l'Iran reprend ses activités nucléaires, on peut s'attendre à un retour des menaces israéliennes d'actions militaires telles qu'elles étaient courantes de 2009 à 2012. Seulement cette fois-ci, le gouvernement US sera bien plus enclin à encourager les frappes israéliennes plutôt qu'à les limiter. Alors qu'il semble profondément enraciné dans des calculs de politique interne, l'appui de Trump au gouvernement de Benjamin Netanyahu est inébranlable et inconditionnel. Et les conseillers les plus proches de Trump semblent prêts à l'encourager à donner le feu vert à Israël pour lancer une attaque. Après tout, en 2015, Bolton était d'avis que le meilleur moyen de contrer la menace nucléaire iranienne était une frappe israélienne soutenue par les Etats-Unis pour renverser le régime iranien.

Tout cela vient s'ajouter à un moment très dangereux. Avant que la situation ne devienne incontrôlable, il serait sage que le gouvernement US ravale sa rhétorique, ouvre des voies de communication de haut niveau avec Téhéran et manifeste sa volonté de revenir sur l'accord nucléaire comme point de départ de nouvelles négociations. Mais il n'y a aucune chance que le gouvernement suive ce chemin. Il s'appuie sur une stratégie de tension maximale et il est de plus en plus évident que la guerre est en marche - que Trump la mène ou pas.

Source originale:  Foreign Policy

Traduit de l'anglais par Investig'Action

Source:  Investig'Action

 investigaction.net

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