04/06/2019 cadtm.org  7 min #157347

Le gouvernement belge annonce fièrement une diminution du déficit et de la dette : un trompe-l'œil

(CC)

Le gouvernement a récemment annoncé avoir clôturé l'année budgétaire 2018 avec un déficit de 3 milliards d'euros (0,67 % du PIB), soit un déficit quatre fois moins élevé qu'il y a quatre ans.

Il est également fier d'annoncer que la dette publique par rapport au PIB a baissé, même si elle n'est pas passée sous la barre symbolique des 100 % comme il se l'était promis. Elle est en effet passée de 107 % en 2014 à 102 % fin 2018.

L'austérité appliquée par le gouvernement Michel (et par le gouvernement Di Rupo avant lui [1].) permettrait-elle de réduire la dette et le déficit budgétaire ? En réalité, et au-delà des effets destructeurs de l'austérité sur la société en général et l'économie en particulier, la réduction actuelle du volume relatif de la dette et la baisse du déficit sont dans l'essentiel dues à trois facteurs.

1. Une manipulation comptable

L'essentiel de la réduction du déficit budgétaire est en réalité artificiel. En effet, elle relève en grande partie d'une manipulation comptable. Le gouvernement a poussé les entreprises à réaliser des versements anticipés de leurs impôts, ce qui lui a permis d'enjoliver les comptes publics pour la fin de la législature. Or, cette manipulation comptable aura des conséquences. Toutes les entreprises qui auront effectué ces versements anticipés en 2018 n'auront plus à les payer en 2019. De plus, les incitants fiscaux utilisés pour encourager ces entreprises à payer leurs impôts à l'avance constituent un coût reporté. C'est de l'argent qui ne rentrera pas. Dès lors, le Conseil supérieur des finances prévoit déjà que le déficit pour 2019 s'élèvera au minimum à 8,5 milliards d'euros, soit près de trois fois celui de 2018. Cette technique comptable est régulièrement utilisée en fin de législature pour faire bonne figure, tout en laissant au gouvernement suivant un mali à gérer.

2. L'effet des taux d'intérêt

Pour rembourser sa dette qui arrive à échéance (le capital), l'État emprunte chaque année de l'argent. C'est ce qu'on appelle le « roulement » de la dette. On rembourse la dette avec de la nouvelle dette. Pour payer les intérêts, par contre, l'État utilise une dizaine de milliards de nos impôts par an. Or, depuis 2012, la Banque centrale européenne a abaissé ses taux directeurs qui, comme leur nom l'indique, « dirigent » les taux sur les marchés. Ces taux influencent directement ceux auxquels les entités publiques vont pouvoir se financer auprès des banques. Depuis 2015 et le lancement de la politique dite de quantitive easing (« assouplissement quantitatif ») [2], les taux sont devenus extrêmement bas, proches de 0 %. Dès lors, la Belgique comme les autres pays du « centre » de la zone euro (Allemagne, Pays-Bas, France, etc.) a profité de cette situation et peut financer sa dette (voire en « racheter » une partie de manière anticipée) à des taux avantageux. Cela n'a rien à voir avec une bonne politique économique du gouvernement, c'est la conséquence directe de la politique monétaire (catastrophique) de la BCE. Ces taux remonteront, tôt ou tard, et en attendant la Belgique n'en a pas profité pour changer son modèle de financement et sortir de sa dépendance aux marchés financiers [3].

Source : Banque centrale européenne

Évolution des taux d'intérêts principaux sur la dette belge (les obligations linéaires à 10 ans, les OLOs). On voit clairement la chute à partir du début de la politique monétaire active de la BCE.

3. Une légère croissance

La dette en rapport au PIB a en effet légèrement diminué. Cependant, quand on l'observe en valeur absolue, il n'est est rien. Elle est passée de 430 milliards en 2014 à 460 milliards aujourd'hui. Ce n'est donc pas la dette en elle-même qui a diminué mais le PIB qui a légèrement augmenté. Cette évolution n'est pas due aux politiques économiques nationales mais à la conjoncture en zone euro. En effet, l'accroissement des échanges commerciaux au niveau mondial ces dernières années ont permis aux industries de la plupart des pays du monde d'augmenter leur volume de production, tirant la croissance mondiale et européenne vers le haut [4]. La Belgique a suivi de loin cette tendance, et cette croissance est en train de ralentir fortement. Le prochain gouvernement ne pourra donc plus compter là-dessus pour donner une fausse impression de recul de l'endettement public.

Nous le disons depuis de nombreuses années, le but de l'austérité n'est pas de diminuer la dette publique. Son but est de faire accepter des mesures inacceptables et de faciliter, ainsi, l'accumulation de richesses par une minorité déjà privilégiée. L'enjeu ne devrait pas être de diminuer à tout prix le rapport de la dette au PIB (et encore moins au rythme exigé par les traités européens), mais d'en remettre en cause les origines et son poids dans le budget de l'État. Il faut arrêter le transfert de richesses illégitime vers les créanciers que son remboursement constitue (plus ou moins 45 milliards d'euros par an en tout). Nous vous invitons à découvrir les propositions qu'ACiDe fait en ce sens dans  son mémorandum 2019.

L'impact socio-économique de l'austérité

Le gouvernement en place, la Commission Européenne et les rapports du FMI mettent en avant ces chiffres pour présenter la situation économique en Belgique...

... mais ces beaux chiffres le sont déjà moins quand on les compare à d'autres et à la réalité sociale

Notes

[1] Lire à ce sujet notre article de 2016 «  5 ans d'austérité, pour quels résultats ? »

[2] La BCE a racheté aux banques des sommes colossales de titres de dettes publiques risqués (jusqu'à 80 milliards d'euros par mois) qu'elles avaient dans leur bilan. En augmentant artificiellement cette demande (et en acceptant aussi ces titres comme collatéraux contre les liquidités fournies aux banques), elle a mécaniquement fait baisser les taux. Pour plus de détails sur ce sujet, lire : «  Super Mario Draghi roule en Volkswagen », Eric Toussaint, novembre 2015.

[3] Pour des propositions alternatives à la situation actuelle, voire notre memorandum 2019. Nous proposons entre autres choses que les entreprises et ménages les plus riches soient obligés de prêter aux administrations publiques à un taux de 0 % (comme cela se faisait par le passé) et, inversement, que les ménages les moins aisés puissent prêter volontairement à l'État à un taux de 2 % ou plus (soit beaucoup plus que le taux actuel sur l'épargne).

[4] Ce qui, à part pour les économistes hors sol, n'est pas une bonne nouvelle en soi. En effet, non seulement la croissance détruit le vivant (nous avec), mais de plus elle n'est plus synonyme depuis longtemps d'amélioration des conditions de vie de la majorité de la population (au contraire). Ce n'est pas de croissance dont nous avons besoin, mais de répartition des moyens.

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