08/06/2019 reporterre.net  7 min #157512

Alerte ! Les océans manquent d'oxygène

Les océans sont en danger. La  pollution plastique présente dans la mer, phénomène bien connu et visible, en est une cause. Sous la surface, il existe une autre menace, tout aussi inquiétante : la désoxygénation des océans. Dans de nombreuses zones de la planète, la teneur en oxygène des flots marins chute radicalement depuis plusieurs années. D'après un article de la chercheuse américaine Denise Breitburg, publié en janvier 2018  dans la revue Science, les eaux côtières sont particulièrement touchées. Depuis 1950, plus de 500 sites ont été déclarés hypoxiques, c'est-à-dire en manque d'oxygène. Sur la même période, en haute mer, le volume d'eau anoxique complètement dépourvue d'oxygène a quadruplé. En tout, « l'océan global a perdu 77 milliards de tonnes d'oxygène au cours des 50 dernières années », alerte Denise Breitburg.

Pour comprendre la désoxygénation des océans, il convient de distinguer l'hypoxie provoquée par les activités humaines, et l'hypoxie normale. Car certaines régions marines sont naturellement pauvres en oxygène, notamment dans l'océan Pacifique. « Ce sont des zones productives de matière organique, comme les algues, dit Paul Tréguer, océanographe et professeur émérite à l'université de Bretagne occidentale. La matière organique sédimente dans les couches profondes. Il y a biodégradation avec oxydation de la matière organique, et donc consommation d'oxygène. Cela amène à des minimums d'oxygène dans l'océan, mais c'est tout à fait naturel et important. »

On appelle ces endroits les zones de minimum d'oxygène (OMZ). Ce sont les côtes du Pérou et du Chili, de la Namibie et de l'Afrique du sud, de la Somalie, le large des îles du Cap-Vert, du Mexique, la mer d'Arabie et le golfe du Bengale... Dans les espaces fermés, comme la mer Baltique et la mer Noire, les eaux profondes sont également naturellement hypoxiques, voire anoxiques, puisqu'elles ne bénéficient pas de l'apport en oxygène des courants marins généraux.

Le réchauffement des eaux de surface empêche l'oxygène d'atteindre les profondeurs de l'océan

Néanmoins, ce phénomène naturel s'aggrave depuis une cinquantaine d'années. « Cela s'explique en partie par le changement climatique, dit Véronique Garçon, chercheuse au CNRS et membre de  Global ocean oxygen network, un groupe de travail de la  Commission océanographique intergouvernementale de l'Unesco. Le réchauffement des eaux de surface empêche l'oxygène d'atteindre les profondeurs de l'océan, alors que la faune qui vit dans les eaux plus chaudes a un besoin d'oxygène plus important. » L'hypoxie causée par le changement climatique est surtout présente en haute mer. Dans les eaux côtières, le déclin de l'oxygène est plutôt provoqué par un second facteur : les rejets de nutriments nitrates et phosphates, contenus notamment dans les engrais agricoles dans la mer. « Cela enrichit le milieu marin, poursuit Véronique Garçon. On obtient des efflorescences algales, donc une multiplication d'organismes phytoplanctoniques qui, quand ils se décomposent, consomment de l'oxygène. »

La carte des zones côtières hypoxiques, publiée dans Science.

Cette hypoxie d'origine anthropique a un impact important sur la biodiversité marine. Certaines espèces réussissent à migrer, tandis que d'autres n'ont pas cette capacité et ne peuvent pas survivre. C'est pour cette raison que les eaux appauvries en oxygène sont parfois appelées « zones mortes ». En outre, l'asphyxie des organismes marins a une influence sur leur fécondité, leur poids, leur taux de mortalité...

La désoxygénation des océans a également un impact à long terme sur l'environnement. « Quand il n'y a plus assez d'oxygène, la population microbienne fait de la dénitrification pour obtenir de l'énergie. Cela produit du protoxyde d'azote qui est un gaz à effet de serre extrêmement puissant et qui part dans l'atmosphère », résume Véronique Garçon. Ainsi, l'hypoxie des océans, en partie due au changement climatique, contribue à augmenter les émissions de gaz à effet de serre.

De surcroît,  le résumé aux décideurs politiques du Global ocean oxygen network, publié en 2018, établit un constat alarmant : « Lorsque l'oxygène est complètement épuisé, les conditions anoxiques prévalent et la dégradation de la matière organique conduit à la production de sulfure d'hydrogène (H2S). Dans certaines régions d'upwelling [zones de minimum d'oxygène], le H2S est rejeté directement dans l'atmosphère et est reconnaissable à son odeur d'œuf pourri. » Ce gaz toxique tue massivement les poissons et les invertébrés, conduit les oiseaux à se nourrir d'espèces marines mortes flottantes, et provoque des malformations aux organismes vivants. La désoxygénation des océans a donc un grand impact sur les pêcheries locales des régions concernées, comme la Namibie, le Pérou, ou celles bordant la mer Noire.

Les scientifiques ne possèdent pas les moyens suffisants pour mener à bien leurs études

Perte de la biodiversité, impact sur l'économie des pays, émissions de gaz à effet de serre et de gaz toxique... La situation est grave. Mais elle pourrait rapidement s'améliorer, d'après l'océanographe Paul Tréguer : « Il n'est pas trop tard, c'est encore réparable. Il faut arrêter les rejets [de nutriments, présents dans les engrais], ou au moins les diminuer fortement dans un premier temps. C'est un objectif qu'on peut atteindre de façon réaliste, à l'échelle d'une décennie, et non pas de siècles. » L'océan retrouverait alors du souffle grâce au renouvellement des eaux côtières et aux courants marins.

Véronique Garçon se veut optimiste mais reste sceptique : « Il faut s'attaquer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, réduire les engrais fertilisants, aller vers le bio, arrêter le productivisme à outrance, et tenir ses engagements. La France n'a pas respecté ses promesses de réductions d'émissions de gaz à effet de serre ces deux dernières années, elles ont même  augmenté. Il y a des discours mais dans les faits il ne se passe rien. »

Le manque d'oxygène causé par le changement climatique touche surtout la haute mer.

De plus, la chercheuse du CNRS estime que les scientifiques ne possèdent pas les moyens suffisants pour mener à bien des études précises : « Il nous manque de l'argent pour faire des campagnes, avoir plus de mesures d'oxygène dissous partout dans les océans, acheter des capteurs à mettre à l'eau... Pour voir ce qui se passe dans la durée, il faut une observation pérenne et régulière. Il y a une telle variabilité sur ces processus que ce ne sont pas quatre points de mesures qui vont raconter une histoire. Il faut vraiment qu'on puisse capter toute la tendance. »

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