11/06/2019 reporterre.net  6 min #157641

Le futur jardin du Trocadéro, cache-misère de la bétonisation de Paris

La ville de Paris a dévoilé le projet de jardin retenu pour reconfigurer le site du Trocadéro et du Champ-de-Mars, dans la perspective des Jeux olympiques de 2024. Pour les associations environnementales autrices de cette tribune, la concertation publique en cours sur ce jardin ne doit pas faire oublier la part minimaliste accordée aux espaces verts dans les derniers projets urbains parisiens.

La liste des associations environnementales signataires de la tribune est à la fin de l'article.

Le jardin du Trocadéro-Champs-de-Mars concerne un des principaux sites touristiques de la capitale, ouvrant sur une perspective « historique » majeure, mettant en scène la colline de Chaillot, les bords de Seine, la tour Eiffel, et le Champ-de-Mars jusqu'à l'École militaire. Le projet lauréat, celui de la paysagiste Kathryn Gustafson, propose un ensemble piétonnier paysagé de 50 hectares dans un quartier déjà privilégié.

D'une facture paysagée classique aux qualités environnementales (à ce stade, imprécises), ce projet, faisant fi du grand paysage de la traversée de la Seine, propose de planter des arbres sur le pont d'Iéna. Près de 78 millions d'euros, financés en grande partie par la redevance de la tour Eiffel, peut-on lire sur le site de la ville de Paris, seront consacrés aux travaux qui devraient s'achever en 2024, léguant à Paris deux hectares supplémentaires d'espaces verts.

Voilà bien longtemps que la Ville n'avait manifesté une telle ambition paysagère ! On aurait presque envie de crier bravo !

Certes, il aura fallu les Jeux olympiques et les projecteurs du monde entier rivés sur Paris pour que Ville et État s'occupent enfin de ce Champ-de-Mars dont les associations réclamaient depuis des décennies respect, entretien et réhabilitation. Mais cette récente annonce ne peut cacher une autre réalité : Paris, ville des plus denses au monde, manque dramatiquement d'espaces verts.

L'ensemble piétonnier paysagé de 50 hectares du projet de jardin Trocadéro-tour Eiffel-Champ-de-Mars.

La part consacrée aux espaces verts en pleine terre, ce qui nous semble le plus important pour les habitants, la biodiversité et la lutte contre les îlots de chaleur, diminue dans les récentes opérations d'urbanisme comme dans les nouvelles constructions édifiées à la parcelle. Les 30 % de jardins que les années 1970 prévoyaient sur chaque opération se sont malheureusement sérieusement réduits. Citons quelques exemples : 5 % d'espaces verts pour le futur quartier de Bercy-Charenton, qui s'étend sur 52 hectares, des « pockets-gardens » [jardins de poche] à Massena-Bruneseau (13e), des jardinières pour le petit quartier Lyon-Daumesnil (12e) récupéré sur des terrains de la SNCF, 3,5 hectares paysagés dans le futur quartier Chapelle-Charbon pour l'ensemble du périmètre de projets de Paris Nord-Est étendu sur près de 200 hectares... La valorisation foncière en cours grignote même parfois des parcs existants, comme celui de la Cité universitaire de Paris, dans le 14e, ou des grands espaces sportifs, reconfigurés pour libérer du terrain à bâtir, comme le stade de Ménilmontant ou l'espace sportif Netter-Debergue (12e).

Devoir d'exemplarité de la ville de Paris en matière d'espaces verts et d'écologie

Le verdissement de Paris dont on nous parle tous les jours est trop souvent de l'écoblanchiment ; le rituel architectural à la mode privilégie « un arbre à chaque étage » aux arbres en pleine terre, qui contribuent aussi à la lutte contre l'imperméabilisation des sols. Les promoteurs et investisseurs l'ont bien compris, au prix du m2, la végétalisation-spectacle de l'architecture des terrasses aux pignons justifie l'augmentation des emprises constructibles au sol. Mais elle ne remplacera jamais la pleine terre, ses substrats fertiles, sa flore et sa faune.

Ainsi la tour Triangle, aberration écologique et urbaine, reste un combat majeur pour les associations. Ce projet de tour inutile et d'un autre temps, de 180 m de haut et 150 m de large, pour un hôtel et 78.000 m2 de bureaux en plein parc des expositions municipal porte de Versailles, a nécessité la destruction partielle du plus grand hall d'exposition d'Europe et le contournement des procédures de marché public. La parade (pour Unibail, promoteur du projet) a été trouvée : en 2024, des épreuves olympiques organisées dans le hall contigu permettront de donner à cette tour par cette vertu olympique un intérêt général qu'elle ne pouvait évidemment jusqu'alors démontrer puisqu'il s'agissait d'une opération spéculative entièrement privée.

Évolution du pont d'Iéna de 2019 à l'après-JO.

Les associations de citoyens rappellent à la ville de Paris son devoir d'exemplarité en matière d'espaces verts et d'écologie. Il commence par l'abrogation de l'actuel PLU (plan local d'urbanisme) demandé en justice par les associations qui fait disparaître la pleine terre de Paris et permet avec l'abandon des limites du COS (coefficient d'occupation des sols) de densifier et de bétonner comme jamais. Il passe aussi par le maintien des espaces de pleine terre partout où ils existent, et il suppose d'en revenir au seuil conseillé par l'Organisation mondiale de la santé de surfaces d'espaces verts de 10m2/habitant. Ce minimum indispensable à la santé est loin de la moyenne parisienne d'à peine 5,6 m2, qui peut descendre à moins d'un mètre carré dans certains quartiers. Ce minimum ne permettra jamais à Paris de rattraper son retard face aux autres mégapoles : les Parisiens en payent le prix fort avec 4.500 morts prématurées chaque année du fait de la pollution.

Associations signataires

FNE Paris, ARBRES, SPPEF, Les Amis du Champ-de-Mars, ASA PNE, La Seine n'est pas à vendre, SOS Paris, ADA 13, ARBEELV, ASQSVP (Saint Vincent de Paul), Qualité de vie Vincennes, Le 20e autrement, Tunnel des Artisans, Collectif Baron Leroy, Asso Netter Debergue, Ilot Navarre, Respiration Paris 15, Les Amis de Bercy Charenton, Association Netter-Debergue, Vivre à Picpus 12e, Association Surmelin Saint Fargeau, Défense square Clos Feuquière Respiration Vaugirard, Association Amis des 5 rues, ADREZ

Source : Courriel à Reporterre

Photos :
images de synthèse du projet de jardin du Trocadéro-Champs-de-Mars de la paysagiste Kathryn Gustafson. Via  Paris futur

- Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n'est pas nécessairement celui de la rédaction.
- Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.

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