12/06/2019 ism-france.org  11 min #157713

Des Palestiniennes se dressent contre les incursions israéliennes

Par Juman Abu Arafeh
11.06.2019 - Le domicile de Hanadi Halawani se trouve à seulement quelques mètres de la mosquée Al-Aqsa, dans la Vieille Ville de Jérusalem. Pourtant, au cours des derniers mois, la jeune femme de 39 ans n'a pu entrer dans la sainte mosquée. Halawani est l'une des nombreuses Palestiniennes à qui les autorités israéliennes ont à plusieurs reprises interdit l'entrée dans l'enceinte de la mosquée Al-Aqsa en raison de son activisme politique.

Khadija Khweiss a été à plusieurs reprises privée d'accès à Al-Aqsa en raison de son activisme (MEE / Juman Abu Arafeh)
Au fil des ans, les autorités israéliennes ont régulièrement frappé d'exclusion temporaire Halawani et Khadija Khweiss, une militante politique âgée de 42 ans. Leur cas a réussi à attirer l'attention grâce à leur activisme, tant dans les médias que sur le terrain.

Les deux pratiquantes religieuses ont passé le mois sacré du Ramadan loin d'Al-Aqsa, empêchées même de s'en approcher. Elles ont décidé d'apporter de la nourriture et de rompre leur jeûne au plus près des lieux et ont appelé à les rejoindre d'autres personnes à qui étaient également interdites d'entrer.

Depuis qu'elles sont systématiquement prises pour cibles par les autorités israéliennes, elles suscitent beaucoup de sympathie parmi les Palestiniens de Jérusalem et sont devenues des icônes qui permettent à ceux qui ont été victimes d'une même injustice de s'exprimer.

Étiquetées « menaces de sécurité »

Halawani a déclaré à Middle East Eye qu'elle ne « compte plus le nombre d'ordonnances d'expulsion temporaire qu'elle a reçues » ; elle n'a pas pu entrer dans l'enceinte de la mosquée Al-Aqsa pendant le Ramadan ou les fêtes religieuses. Sa dernière ordonnance d'expulsion a duré toute une année.

Les autorités israéliennes allèguent que la présence de Khweiss dans l'enceinte de la mosquée constitue une « menace pour la sécurité ». Lors des raids des colons israéliens sur l'Esplanade, Khweiss manifestait pacifiquement en scandant des slogans contre leur présence.

Elle et Halawani ont été accusées devant les tribunaux israéliens d'incitation dans les réseaux sociaux en raison de leurs messages appelant à la solidarité avec la cause de Jérusalem et d'Al-Aqsa et au rejet de la politique israélienne d'expulsion, de mise à mort et d'emprisonnement de Palestiniens.

Au cours de leurs procès, les chefs d'accusation de Khweiss et Halawani ont porté notamment sur « les troubles à l'ordre public », « l'appartenance à une organisation interdite » et « l'incitation à la haine ».

Les deux femmes ont rejeté ces accusations, affirmant qu'elles étaient invalides et utilisées uniquement par l'occupation israélienne pour réprimer leur activisme et les bannir de la mosquée afin de fournir une protection totale aux colons israéliens qui effectuent des raids sur le site.

Selon un accord entre les autorités israéliennes et la Jordanie - qui est le gardien d'Al-Aqsa -, le culte hébraïque est maintenant autorisé dans l'enceinte de la mosquée. Et un mouvement d'extrême-droite en pleine croissance appelle Israël à prendre le contrôle d'Al-Aqsa, arguant qu'il s'agit en réalité d'un site juif sacré.


Halawani, à gauche, et Khweiss ont organisé des iftar à l'extérieur d'Al-Aqsa pendant le mois sacré musulman du Ramadan (MEE / Juman Abu Arafeh)

Khweiss et Halawani ont eu recours à diverses méthodes pour refuser et résister à leurs ordres d'expulsion. Elles ont installé leur camp à l'entrée de l'enceinte de la mosquée pendant le Ramadan, y ont prié et servi des plats faits maison composés d'aliments traditionnels palestiniens tels que des feuilles de vigne farcies et des courgettes.

Ceux qui fréquentent régulièrement la mosquée savent que pendant le Ramadan, Halawani se trouvait presque tous les jours à l'entrée de la mosquée Al-Aqsa aux côtés de Khweiss, sa compagne d'exil.

Pourtant, même assises à l'entrée de l'esplanade, les soldats israéliens les ont entourées, essayant de les énerver. Ils mangeaient des graines et jetaient les enveloppes vers les deux femmes. Quand elles priaient, les soldats se mettaient à chanter et à rire fort pour couvrir le son du adhan, l'appel à la prière.

Les deux femmes ont reçu de nombreuses invitations à donner des conférences à l'étranger pour défendre la cause de Jérusalem et d'Al-Aqsa dans des pays à majorité arabe et musulmane. Elles ont des dizaines de milliers de partisans sur leurs comptes dans les réseaux sociaux, où elles publient régulièrement des articles sur la ville sainte et la mosquée.

Mais leur activisme pacifique a un coût : l'occupation israélienne a semé leur chemin d'embûches en leur imposant une interdiction générale de voyager, en leur interdisant l'accès à la santé et à l'assurance nationale et en les harcelant physiquement et verbalement et en les arrêtant lors des manifestations contre les raids des colons.

Au cours de ses nombreuses arrestations, Halawani se souvient que les autorités israéliennes ont tenté de l'humilier, fourrageant dans ses sous-vêtements et les jetant par terre lors des fouilles de sa maison. Elle a déclaré que pendant ses interrogatoires, les officiers l'avaient agressée verbalement, utilisant un langage obscène qu'elle préférait ne pas répéter.

« On va te donner une leçon et t'humilier », lui a dit un officier israélien la dernière fois qu'elle a été arrêtée.

Halawani dit qu'elle était dans un poste de police, les yeux bandés et les mains menottées dans le dos, quand un autre policier a déclaré : « On va te jeter de l'eau et de la nourriture comme si tu étais un chien. » Ces menaces, dit-elle, ne sont pas rares pour elle. Il y a quelques années, elle a déclaré que des policiers l'avaient menacée de l'envoyer en exil hors de Jérusalem, à Gaza ou en Turquie.

Interdictions temporaires

Cela fait longtemps qu'Israël a recours aux  interdictions temporaires contre les habitants palestiniens de Jérusalem, comme punitions. La pratique remonte à 1967, quand Israël a occupé Jérusalem-Est, où se situe la Vieille Ville.

Les ordonnances d'expulsion empêchent les Palestiniens d'accéder à leurs lieux de travail, à leurs écoles ou à leurs universités, à leur domicile et même à leur ville d'origine, notamment à Jérusalem, pendant de longues périodes.

Khaled Zabarqa, avocat spécialiste des affaires de Jérusalem, a déclaré à MEE que les interdictions temporaires violent les principes fondamentaux du droit international, tels que la liberté de culte et la liberté de circulation.

« Il s'agit de déplacer les Jérusalémites palestiniens de la ville pour modifier l'équilibre démographique en faveur des Israéliens, » a-t-il déclaré.

Le gouvernement israélien a déclaré publiquement qu'il avait mis en place des politiques visant à garantir une majorité juive à Jérusalem.

Les statistiques sur le nombre de Palestiniens ayant reçu un ordre d'expulsion temporaire ne sont pas accessibles. Pourtant, à l'heure actuelle, plus de 20 hommes et femmes de Jérusalem et d'Israël sont empêchés d'entrer dans l'enceinte de la mosquée Al-Aqsa pendant des périodes variables.

De nombreux Palestiniens qui ont participé aux  manifestations contre la fermeture de la porte de Rahma en février se sont vus officiellement interdire l'accès à la ville et à la mosquée.


Des manifestants palestiniens ont manifesté en février contre les nouvelles serrures installées dans l'enceinte de la mosquée Al-Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem (AFP)

L'ordre indique généralement que la personne a l'interdiction de pénétrer dans la mosquée Al-Aqsa pendant une durée allant de quelques jours à un an. La période est arbitrairement déterminée par un officier israélien et les ordres sont émis pour l'essentiel sans décision judiciaire.

Dans de nombreux cas, les ordonnances d'expulsion temporaire impliquent l'interdiction sur toute la ville de Jérusalem, ou sur la Vieille Ville qui abrite l'esplanade de la mosquée Al-Aqsa, ou les ruelles menant à cette dernière. Ces ordonnances ne sont délivrées qu'aux Palestiniens de Jérusalem ou à ceux résidant encore dans des zones qui font maintenant partie de l''Israël moderne' (la Palestine 48, ndt). Ceux qui ne respectent pas l'ordre risquent l'incarcération et / ou une lourde amende.

Au cours des dernières années, des centaines de Palestiniens ont été frappés par des ordonnances d'expulsion temporaires d'une durée variant de quelques jours à plusieurs mois, certaines personnes en ayant reçu plusieurs.

À l'exception des fêtes religieuses et des personnes âgées, plus de trois millions de Palestiniens de Cisjordanie occupée se voient déjà interdire l'accès à la ville par un mur de béton de huit mètres de haut et des postes de contrôle. Ils ne peuvent entrer qu'avec un permis militaire difficile à obtenir et limité dans le temps, parfois quelques heures.

Tensions à Jérusalem

En dépit de tout ce que l'occupation israélienne lui a fait subir, Khweiss affirme que les tentatives pour la décourager sont le moindre de ses soucis.

Ce qui la tient éveillée la nuit, poursuit-t-elle, c'est la peur qu'Israël réussisse à vider le complexe Al-Aqsa de fidèles musulmans et mette en œuvre les plans de judaïsation des lieux. Elle décrit la mosquée comme une orpheline qu'elle a adoptée comme l'un de ses enfants, nettoyant ses blessures et amplifiant sa voix.

Le contrôle d'Israël sur Jérusalem-Est, y compris la Vieille Ville, viole plusieurs principes du droit international qui stipule qu'une puissance occupante n'a  aucune souveraineté sur le territoire qu'elle occupe et ne peut y apporter de changement permanent.

Les Palestiniens, en particulier les habitants de Jérusalem, redoutent un plan israélien de division de la mosquée Al-Aqsa entre musulmans et juifs, à l'instar de la division de la mosquée Ibrahimi à Hébron dans les années 1990.

Des Israéliens juifs croient que l'enceinte de la mosquée Al-Aqsa se trouve au-dessus du second temple et certains activistes d'extrême-droite ont appelé à la destruction de l'enceinte d'Al-Aqsa pour construire un troisième temple juif.

En 1990, un groupe israélien connu sous le nom de « Les Fidèles du Mont du Temple » a tenté de poser la première pierre du troisième temple juif dans l'enceinte. Les forces israéliennes ont riposté par des tirs réels aux protestations et aux manifestations des Palestiniens, faisant plus de 20 morts et 150 blessés.

Plus tard, le gouvernement israélien a autorisé le creusement d'un tunnel menant au mur occidental, sous les fondations de l'enceinte d'Al-Aqsa, et continue de financer des fouilles archéologiques à proximité de la mosquée gérées par des groupes de colons juifs.

Depuis qu'Israël s'est emparé de Jérusalem-Est, une série d'événements a mis les nerfs des Palestiniens à rude épreuve au sujet du destin de la mosquée. Cela a incité des militantes telles que Halawani et Khweiss à attirer l'attention sur cette cause afin d'empêcher Israël de changer le statu quo, en particulier avec les raids provocateurs quotidiens menés par des colons flanqués de soldats et de policiers.

Loi d'urgence britannique

Sous le prétexte de la sécurité, Israël utilise les lois d'urgence adoptés par l'occupation britannique de la Palestine en 1945 pour réprimer la dissidence avant de se retirer en 1948.

À la suite de l'occupation des territoires palestiniens en 1967, Israël a renforcé les réglementations en les utilisant pour punir les Palestiniens et continue de les appliquer, affirmant qu'il s'agit de loi locale antérieure à l'occupation.

Khaled Abu Arafeh, qui a été élu en 2006 au Conseil législatif palestinien (CLP) sur la liste Changement et Réforme du Hamas, et qui a été ministre des Affaires de Jérusalem, est interdit d'entrée à Jérusalem depuis son élection. Abu Arafeh, parmi d'autres députés palestiniens, a reçu l'ordre de quitter son domicile et sa famille à Jérusalem-Est et de s'installer en Cisjordanie.

Il a expliqué que les ordonnances d'expulsion visent à « vider Jérusalem des Palestiniens » en les forçant à partir ou en perturbant leur vie.

« Bannir les Palestiniens d'Al-Aqsa, c'est simplement faire la place à Israël pour qu'il continue de judaïser Jérusalem », a-t-il déclaré à MEE.

Source :  Middle East Eye

Traduction : MR pour ISM

 ism-france.org

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