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Les États-Unis emprisonneront 1400 enfants immigrés dans un ancien camp d'internement de Japonais de la Deuxième Guerre mondiale

Par Eric London
14 juin 2019

Le Pentagone a annoncé mercredi que l'administration Trump détiendra 1400 enfants immigrants sur le site d'un camp d'internement de Japonais datant de la Seconde Guerre mondiale, à la base militaire de Fort Sill à Lawton, en Oklahoma.

La décision, annoncée mardi alors que Trump dénonçait les immigrants et le socialisme lors d'un rassemblement en Iowa, est une manœuvre politique calculée.

«L'immigration est vraiment l'enjeu déterminant de 2020», a déclaré Trump à Des Moines peu après l'annonce du Pentagone. «En matière d'immigration, les démocrates ne représentent plus les citoyens américains... Le Parti démocrate est devenu le parti socialiste».

Fort Sill, en Oklahoma

La décision de rouvrir le camp d'internement de Fort Sill est un autre jalon dans l'effondrement des formes démocratiques de gouvernement. De surcroît, le gouvernement fait revivre les pires crimes de l'histoire américaine en tant que politique officielle de l'État. C'est un signal aux partisans d'extrême droite de Trump que le gouvernement est prêt à adopter des formes de gouvernement plus ouvertement dictatoriales.

«C'est un coup bas pour nous que de répéter l'histoire de la sorte», a déclaré David Inoue, directeur général de La ligue des citoyens américains d'origine japonaise au World Socialist Web Site.

«Ceux qui ont été incarcérés parce qu'ils étaient Japonais retournent souvent dans les camps lors de pèlerinages pour exiger que de tels endroits soient reconnus pour les torts flagrants qui y ont été commis. Maintenant, d'autres injustices vont se produire à ces mêmes endroits. Le traumatisme infligé à ces enfants immigrés durera des générations».

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Fort Sill a accueilli quelque 700 Américains d'origine japonaise, dont des citoyens américains et des immigrants de première génération, connus sous le nom d'Issei. Pendant l'internement des Japonais, Fort Sill était connu pour ses violentes tempêtes de vent et ses températures incroyablement chaudes. Les températures maximales moyennes en juillet sont de 36 degrés Celsius.

Entre 1942 et 1946, le gouvernement américain a emprisonné 120.000 personnes dans des camps d'internement à travers le pays sans procès. L'internement a été initié par le décret 9066 du président démocrate Franklin D. Roosevelt le 12 février 1942.

Enfants internés, 1943

L'internement en masse avait été «légalisé» par la loi de 1940 sur l'enregistrement des étrangers, également connue sous le nom de loi Smith. Quelques mois avant le début de l'internement massif des Américains d'origine japonaise, la loi a été utilisée pour la première fois pour poursuivre 29 membres du Parti socialiste des travailleurs (SWP) lors du procès de Minneapolis pour sédition en 1941. Le procès s'est terminé moins de huit semaines avant le décret exécutif 9066, lorsque 18 trotskystes ont été condamnés à la prison fédérale pour s'être opposés à l'intervention américaine dans la Seconde Guerre mondiale.

Fort Sill a été le site d'un des nombreux meurtres perpétrés par les gardiens de prison de l'armée américaine pendant l'internement. L'Encyclopédie de l'internement des Américains d'origine japonaise explique:

«Le 12 mai 1942, Kanesaburo Oshima, un barbier de l'île d'Hawaii, escalada la clôture extérieure en barbelés en plein jour en criant: "Je veux rentrer chez moi!" Un garde a aboyé un avertissement, tandis qu'un autre a abattu Oshima devant ses amis qui avaient imploré qu'on leur permette de l'aider à descendre de la clôture et à retourner au camp. Oshima était déprimé, ont révélé ses amis. Il avait dû quitter sa femme et ses 12 enfants qui avaient peu de moyens de subsistance».

Aux funérailles d'Oshima étaient présents «tous les Américains d'origine japonaise de Fort Sill. Il y avait aussi des gardes de l'armée avec des mitrailleuses pointées sur les personnes en deuil parce qu'ils craignaient un soulèvement».

Dans le livre: «Life Behind Barbed Wire» (La vie derrière les barbelés), un interné se souvient: «Cette nuit-là, un interné du continent souffrant de troubles mentaux a succombé à un choc à la suite de la mort de M. Oshima. Le camp devint encore plus mélancolique».

Camp d'internement de Manzanar en Californie

L'armée qualifie le nouveau camp d'«abri temporaire d'urgence», un écho dystopique de la décision de la «US Army War Relocation Authority» (l'Authorité de l'armée américaine pour la relocalisation en temps de guerre) d'appeler les camps d'internement des Américains d'origine japonaise des «centres de relocalisation».

Contrairement aux internés de la Seconde Guerre mondiale, les nouveaux internés seront isolés de leurs parents et se verront refuser les droits de visite de base. Ils ne recevront pas non plus d'éducation ou de loisirs pendant leur détention. Les internés japonais organisaient leurs propres ligues de baseball pour réduire l'isolement et l'ennui de leur détention illégale. Cette fois-ci, l'administration Trump a refusé de permettre aux enfants immigrés de jouer au soccer sur le terrain externe des camps d'internement actuels.

Cette décision souligne qu'aucun droit démocratique, aussi fondamental soit-il, ne peut être défendu par le Parti démocrate. En 1993, le président de l'époque, Bill Clinton, a fait une déclaration dans laquelle il proposait: «une apologie sincère auprès de vous pour les actes qui ont injustement privé les Américains d'origine japonaise et leur famille de libertés fondamentales pendant la Seconde Guerre mondiale... Rétrospectivement, nous comprenons que les actions de la nation étaient profondément enracinées dans les préjugés raciaux, l'hystérie du temps de guerre et le manque de direction politique».

Vingt-cinq ans plus tard, ces déclarations se sont révélées dénuées de sens. Le Parti démocrate a répondu en silence à l'annonce du Pentagone. Les démocrates se trouvent poussés par leur propre hystérie proguerre, dirigée principalement contre la Russie. L'enfermement d'enfants d'immigrés en vertu d'une déclaration présidentielle d'«urgence nationale» de Trump est le produit logique d'un État permanent de sécurité nationale établi dans la «guerre contre le terrorisme» bipartite.

C'est le président démocrate Barack Obama qui a temporairement détenu des enfants immigrants à Fort Sill en 2014 et qui a déporté plus d'immigrants que tous les présidents précédents réunis. À la publication de cet article, les «socialistes» démocrates Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders n'avaient rien dit sur l'internement d'enfants immigrés à Fort Sill.

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Camp d'internement de Fort Sill

Les visages de mes enfants endormis, je ne leur dirai pas au revoir et je ne les oublierai pas... Prisonnier des ténèbres et de la rage. En cette nuit de pluie sans fin.

-Muin Ozaki, interné à Fort Sill

(Article paru d'abord en anglais le 13 juin 2019)

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