27/06/2019 tlaxcala-int.org  5 min #158352

Le rêve d'un jeune Gazaoui, amputé

 Gideon Levy جدعون ليفي גדעון לוי

Alaa ad-Dali était le champion cycliste de Gaza. Il a gagné la Tokyo Race deux fois de suite. La Tokyo Race se déroule à Gaza. Aucun coureur de Gaza n'a jamais pu se rendre à la Tokyo Race à Tokyo. Chez lui à Rafah, où les murs sont enduits de plâtre nu, le champion de cyclisme montre ses médailles et ses trophées, dans un coin de sa chambre. Ad-Dali n'a jamais pu quitter la cage de Gaza ni participer à aucune autre course, à l'exception de la Tokyo Race à Gaza.

Il s'entraînait dur, 150 kilomètres par jour. La bande de Gaza fait 41 kilomètres de long et il les parcourait dans les deux sens. Ad-Dali vivait et respirait le vélo. Il aspirait à pouvoir participer à la compétition cycliste de Jakarta à l'été 2018 et à hisser le drapeau palestinien sur le podium du vainqueur. Le 30 mars 2018, il a terminé son entraînement du matin, puis s'est rendu à la clôture pour participer à la première Marche du retour. Il se tenait à environ 250 mètres de la clôture et regardait ce qui se passait quand il a été abattu par un soldat israélien.

La balle l'a touché à la jambe. Deux jours plus tard, il s'est réveillé à l'hôpital européen de Khan Younis. « J'avais l'impression que ma vie était finie. J'ai pensé à mon vélo et à mon rêve d'être champion cycliste », a-t-il déclaré à l'enquêteur de B'Tselem Mohamed Sabah à l'époque. Pendant près d'une semaine, sa famille a tenté de le faire transférer dans un hôpital de Ramallah, où il avait peut-être une chance de sauver sa jambe. Les autorités israéliennes ne l'ont pas permis. Le 8 avril, les médecins de Khan Younis l'ont informé que sa jambe devait être amputée au-dessus du genou. « Je partirai d'ici sans une jambe, sans un rêve et sans avenir. Ma vie perdra tout son sens «, leur avait-il dit.

Alaa ad-Dali a décidé de devenir le premier para-cycliste de Gaza. Photo Nicola Zolin/Al Jazeera)

Il a maintenant 21 ans. Il a enlevé une pédale de son vélo et a appris à rouler avec une seule jambe. « Le vélo, c'est mon âme », dit-il dans un clip de B'Tselem à son sujet. Ad-Dali s'appuie contre un mur pour monter sur son vélo, puis s'élance dans les rues poussiéreuses de Rafah. « L'occupation a atteint son but », dit-il, avant de disparaître lentement.

Alaa ad-Dali continue à pédaler avec une jambe, faisant des allers-retours sur la seule route plate de Gaza. Photo Nicola Zolin/Al Jazeera

Cent trente-huit jeunes de Gaza ont perdu des jambes dans les manifestations contre la clôture à la suite des tirs des tireurs d'élite des FDI. Selon les données de l'Organisation mondiale de la santé, 30 d'entre eux sont des enfants. Il est difficile d'imaginer la vue de 138 jeunes amputés, dont la plupart n'étaient pas armés et ne mettaient la vie de personne en danger. La vue de 30 enfants amputés est une horreur en soi. Certains de ces membres auraient apparemment pu être sauvés si Israël n'avait pas empêché l'accès à un traitement rapide. C'est également le cas du pêcheur Khader Sa'idi, qui a perdu la vue après avoir reçu une balle dans l'œil pour avoir prétendument dépassé la zone de pêche autorisée. Dans le cas de Sa'idi, l'accès à un meilleur traitement a été refusé au motif qu'il ne s'agissait pas d'une mesure visant à sauver sa vie. Le même prétexte a conduit à la perte de toute chance de sauver la jambe du champion cycliste de Rafah.

Vendredi, les foules marcheront encore une fois vers la clôture, et encore une fois, certaines personnes seront blessées et tuées. Et Israël restera totalement indifférent à leur sort. Les manifestants désarmés qui sont tués par centaines et blessés par milliers ne sont même pas une histoire. Leurs motivations n'intéressent personne. Ils sont tous étiquetés terroristes.

Regarder la silhouette déchirante d'Alaa ad-Dali, c'est voir Gaza et nous voir nous-mêmes. Un jeune homme qui avait un rêve - une chose assez rare à Gaza - et il a été écrasé par les FDI. Qu'est-ce qu'il lui reste ? Que reste-t-il à ses amis ? Demain, quand les rapports arriveront sur les derniers blessés, je penserai au champion cycliste amputé de Gaza.

Lorsque des milliers d'Israéliens se rendront partiront pour leurs randonnées hebdomadaires à vélo ce week-end, peut-être que quelques-uns d'entre eux penseront à Ad-Dali, le cycliste de Gaza, qui voulait être comme eux. À son présent, à son avenir et à ses chances d'avoir quelque chose de sa vie.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  bit.ly
Publication date of original article: 27/06/2019

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