05/07/2019 tlaxcala-int.org  6 min #158762

Le choix de von der Leyen pour présider la Commission européenne est une victoire de Macron, pas de Merkel

 Jens Berger

Pour la plupart des éditorialistes allemands, il est clair que la nomination d'Ursula von der Leyen à la plus haute fonction de l'UE est une victoire "véritable", "énorme", voire "triomphale" pour Angela Merkel. Mais c'est une erreur. Macron, et non Merkel, est le grand gagnant. Si von der Leyen échoue devant le Parlement européen, Merkel se retrouverait même avec les poches complètement vides, tandis que Macron a atteint ses objectifs les plus importants. Explications de Jens Berger.

2009...2010

En 2008-2009 Urusla von de Leyen, alors ministre de la Famille, lance une croisade, dont l'emblème est un panneau STOP, contre la pornographie en ligne impliquant des enfants, qui se traduira par une loi de blocage de l'accès à internet très violemment contestée par l'opinion allemande et sera plus tard enterrée. En 2010, il est question qu'elle devienne présidente de la République fédérale. Deux chapitres qui ont fait les beaux jours des médias sociaux. Le meme "Znsursula" (Censursula) a battu tous les reccords de visibilité.

Dans la discussion sur le marchandage indigne sur le poste de président de la Commission, on oublie souvent que ce poste n'est qu'un point d'un paquet global de personnel sur lequel les chefs d'État et de gouvernement se sont accordés mercredi. La question de savoir qui succédera au président de la BCE, Mario Draghi, qui quittera sa fonction cet automne, est au moins aussi importante. Même si la BCE est "indépendante" sur le papier, le président suprême de la machine à billets centrale européenne dispose de pouvoirs étendus pour émettre des directives et, en étendant les pouvoirs de la BCE à l'achat d'obligations d'État et d'entreprises à l'époque de Draghi, de pouvoirs tout aussi réels. La BCE décide de l'avenir d'États entiers en décidant de soutenir certaines obligations d'État ou d'"alimenter les marchés libres". Et cela sans contrôle parlementaire. Un autre point important est que la BCE est l'instrument disciplinaire le plus puissant de la Commission européenne. La simple menace de ne plus soutenir certaines obligations d'Etat et de rendre ainsi le refinancement des pays concernés infaisable dans le pire des cas est une épée très puissante ; mais une épée qui doit aussi obéir à son "maître". Et c'est là que ça devient excitant.

Si cela dépendait d'Angela Merkel et des partisans du monétarisme de l'école allemande (politique d'austérité,  zéro noir -zéro dficit-, stabilité des prix comme seul objectif), l'actuel chef de la Bundesbank Jens Weidmann serait le candidat idéal pour le poste de la BCE. L'objectif déclaré de Merkel était donc de faire de Jens Weidmann le prochain président de la BCE. Mais Weidmann est considéré comme l'incarnation de l'arrogant "surhomme" allemand dont l'idéologie conduit d'autres peuples au désastre par les "pays du Sud" que sont la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Grèce, qui souffrent de la politique monétaire allemande. Leur but était de bloquer Weidmann par tous les moyens. En fonction de la répartition du pouvoir et des proportions au sein de l'UE, il a été convenu que le côté "allemand" et le côté "franco-méridional" recevraient chacun l'un de ces deux postes clés. Si Merkel devait réussir à faire passer Weidmann, Macron aurait, pour ainsi dire, "accès" au poste de président de la Commission. C'est d'ailleurs la véritable raison pour laquelle Macron a d'emblée rejeté le "principe des Spizenkandidaten (candidats de tête)".

Merkel n'a cependant pas été en mesure de s'imposer sur la question de savoir qui allait devenir le prochain président de la BCE. Au lieu de cela, on s'est mis d'accord sur la Française Christine Lagarde, qui n'est certainement pas une candidate de rêve progressiste pour ce poste, mais qui est un bien meilleur choix que le "super-faucon" Weidmann. Lagarde poursuivra certainement la politique peu dogmatique de Mario Draghi. Les "sudistes" autour de la France peuvent très bien s'en accomoder. 1-0 pour la France. Angela Merkel aurait mainetnant eu "accès" au poste de président de la Commission : seulement, elle n'avait pas de candidat approprié. C'est donc au Polonais Tusk et au Français Macron qu'il revenait de choisir un candidat allemand pour le poste de pointe, avec lequel les deux hommes pouvaient s'accomoder.

Les postes dirigeants de l'UE, par Rytis Daukantas, POLITICO.eu, Belgique, 29/6/2019

Ursula von der Leyen est une tenante de la ligne dure en matière dela politique militaire, qui sert parfaitement les réflexes antirusses des Baltes et des Polonais. Pour le gouvernement polonais conservateur de droite et pro-usaméricain, elle est une candidate de rêve. Macron peut aussi très bien s'accomoder de von der Leyen, non pas tant parce qu'elle parle si bien le français, mais parce qu'elle soutient pleinement son plan de militarisation de l'UE sous direction franco-allemande. Macron veut une "véritable armée européenne", von der Leyen une "armée d'Européens". Les deux se sont cherchés et se sont trouvés. Et dans d'autres domaines politiques également, les deux partisans de la politique libérale de marché ont beaucoup en commun. Bien que Von der Leyen ait un passeport allemand, elle est toujours sur la liste de souhaits de Marcon. Dans les domaines où il existe un désaccord évident entre Macron et von der Leyen - notamment en matière de politique financière et économique - les mains de 'une présidente de commission von der Leyen seraient de toute façon liées, car sans l'"épée" de la BCE elle n'aurait que des pouvoirs limités.

Le duo de tête Lagarde/von der Leyen est donc un résultat de rêve pour Macron. Qu'il l'ait fait passer est un chef-d'œuvre diplomatique et tactique. Si le choix pour le poste de von der Leyen et de la politique que cela implique n'était pas aussi désastreux pour l'Europe, on pourrait lui tirer son chapeau. La situation est bien différente pour Merkel. L'élimination même de Weidmann est une défaite cinglante pour elle. Certes, elle peut très bien s'accomoder de von der Leyen, mais ce n'est certainement pas un "gain". En outre, von der Leyen doit encore être confirmée par le Parlement européen. En cas d'échec, les chefs d'Etat et de gouvernement retourneront au charbon... mais le reste du paquet de personnel sera conservé. Ce qui voudrait dire un 2-0 en faveur de Macron.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  nachdenkseiten.de
Publication date of original article: 05/07/2019

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