12/07/2019 wsws.org  8 min #159045

La Réserve fédérale annonce qu'elle va céder aux exigences de Wall Street

Par Nick Beams
12 juillet 2019

Le président de la Réserve fédérale américaine, Jérôme Powell, s'est heurté à un problème lorsqu'il est venu présenter son rapport semestriel au Congrès, mercredi. Il a fait une exposition de la politique monétaire de la banque centrale et de ses vues sur la situation de l'économie.

D'une part, il a dû indiquer clairement que la Réserve fédérale répondrait aux exigences des marchés boursiers. Elle répondrait aussi à leur porte-parole, le président Trump, en matière de réduction des taux d'intérêt. Cette réponse viendra probablement, dès sa prochaine réunion politique à la fin de ce mois. D'autre part, il a dû maintenir la fiction officielle selon laquelle la Réserve fédérale agit de manière indépendante, dissimulant la réalité qu'elle est l'instrument direct de Wall Street et de l'oligarchie financière.

En conséquence, Powell a commencé son témoignage en notant que le Congrès a donné à la Réserve fédérale un «degré important d'indépendance» afin qu'elle puisse poursuivre ses objectifs «sur la base d'analyses et de données objectives».

Puis, dans son témoignage préparé et en réponse aux questions des membres du Comité des services financiers de la Chambre des représentants, il a insisté sur le fait qu'il appuyait les exigences des marchés financiers. Et il devait reprendre cette position hier devant l'organe correspondant du Sénat.

Powell a déclaré que «l'élément déterminant» était l'incertitude au sujet de la croissance et du commerce mondiaux qui «continue de peser sur les perspectives». Il a également souligné que les lectures sur l'inflation étaient plus faibles, suggérant que les taux d'inflation inférieurs à la cible de 2 pour cent de la Réserve fédérale pourraient être plus persistants que prévu auparavant. Il s'agit d'un changement important par rapport à la formulation précédente, dans laquelle la Réserve fédérale déclarait que le maintien d'une inflation faible était dû à des facteurs «transitoires». Selon Powell, le faible taux d'inflation «a renforcé les arguments en faveur d'une politique un peu plus accommodante».

Il a également qualifié l'accord entre Trump et le président chinois Xi Jinping pour reprendre les négociations commerciales de «constructif», mais il a déclaré qu'il ne faisait pas disparaitre «l'incertitude qui pèse sur les perspectives».

Complétant une présentation destinée à justifier la demande insatiable de Wall Street pour de l'argent moins cher pour financer ses activités parasitaires, Powell a souligné que les investissements des entreprises ont «nettement ralenti» et que la croissance globale de l'économie américaine au deuxième trimestre «semble avoir ralenti».

Au cours de la période précédant le témoignage de Powell, les marchés s'étaient inquiétés du fait que le rapport de juin sur l'emploi, qui montrait que le nombre d'emplois avait augmenté de 224.000 pour le mois, affaiblissait les arguments en faveur d'une baisse des taux. Powell a fait des pieds et des mains pour donner l'assurance que ce n'était pas le cas.

Interrogé sur la question de savoir si le rapport avait changé les perspectives de la Réserve fédérale, Powell a évité les obscurcissements habituels du discours fédéral et a répondu que la «réponse franche» était «non».

Wall Street a accueilli chaleureusement le témoignage de Powell. Au cours de la journée, l'indice S&P 500 a dépassé le niveau de 3.000. Ceci marque une hausse de 50 pour cent par rapport au niveau de 2.000 atteint en 2014, avant de reculer légèrement. Les autres indices ont terminé près des sommets records atteints la semaine dernière.

La position officielle de la Fed est qu'une politique monétaire plus accommodante est nécessaire pour donner un coup de fouet à l'économie. C'est un mensonge du début à la fin. Les réductions d'impôt dont le gouvernement Trump a tant vanté les mérites n'ont rien fait pour stimuler la création d'emplois bien rémunérés. Il ira de même pour toute baisse des taux d'intérêt. Une telle baisse ne stimulera pas non plus les investissements ou l'économie réelle.

Ils contribueront plutôt à financer l'accumulation toujours plus importante de richesses au sommet de la société en plaçant plus d'argent entre les mains de l'oligarchie financière. Enfin, ils fourniront des fonds bon marché pour les fusions et acquisitions destructrices d'emplois et les rachats d'actions qui augmentent la valeur des actions de Wall Street.

Loin de faciliter l'expansion économique, le processus de création de richesses toujours plus importantes au sommet s'accompagne d'une restructuration majeure de secteurs clés de l'industrie. L'industrie automobile en témoigne déjà. Comme on l'a vu, cela entraîne la destruction de dizaines de milliers d'emplois afin d'accroître les profits.

En même temps, on supprime des services vitaux. Les enseignants, le personnel des hôpitaux et les autres personnes qui exigent une augmentation de leur salaire à cause de l'augmentation de leurs dépenses pour faire face à des conditions de plus en plus difficiles ne cessent de se faire dire qu'il n'y a pas «d'argent».

Il existe un lien objectif profond entre ces deux processus. Il n'y a pas «d'argent» parce que toutes les agences économiques et financières de l'État capitaliste fonctionnent comme des mécanismes institutionnalisés pour siphonner la richesse produite par le travail de la classe ouvrière. Ce processus d'extraction de richesses s'intensifie pour répondre aux demandes de Wall Street.

Le marché boursier semble être une sorte de paradis financier, où l'argent, fourni à des taux d'intérêt extrêmement bas, semble simplement engendrer plus d'argent. En fin de compte, il repose sur la plus-value extraite de la classe ouvrière. Ainsi, le processus d'accumulation financière s'accompagne nécessairement du développement de nouvelles méthodes pour accroître cette exploitation. L'oligarchie financière s'efforce de réduire les services sociaux - surtout depuis le début de la crise mondiale - qui constituent une ponction sur la plus-value disponible que peut s'approprier sous forme de bénéfice le capital financier.

Ces processus ne sont pas seulement le résultat des politiques de l'administration Trump, qui peuvent se corriger par des réformes du fonctionnement du système financier et de l'économie sous-jacente. Trump est simplement la personnification d'un processus qui remonte à des décennies.

Ce mois-ci marque le 75e anniversaire de la conférence de Bretton Woods de 1944. Ce sommet impérialiste a joué un rôle clé dans l'établissement des fondements de l'ordre capitaliste de l'après-guerre. Le boom de l'après-guerre, dont il a contribué à établir, a fourni des profits croissants, l'expansion des forces productives de la société et l'augmentation du niveau de vie de la classe ouvrière. Cela s'est fait tant aux États-Unis que dans les autres grandes économies capitalistes.

Cela semblait que l'accord de Bretton Woods avait surmonté les contradictions qui avaient déchiré l'économie capitaliste dans la première moitié du XXe siècle, avec des conséquences dévastatrices pour la masse de la population mondiale. De surcroit, il apparaissait possible pour la classe ouvrière de promouvoir ses intérêts dans le cadre du système du profit.

Mais cela était une illusion. En outre cette illusion a commencé à être démasquée dans une période relativement courte. En août 1971, les États-Unis ont cherché à se sortir unilatéralement des problèmes économiques croissants auxquels ils faisaient face en abrogeant les accords monétaires de Bretton Woods. Ils ont supprimé la garantie du dollar américain avec l'or, qui avait formé la base de l'accord de Bretton Woods.

«L'Amérique d'abord» n'a pas commencé avec Trump, mais Nixon l'a lancé implicitement il y a presque 50 ans. Depuis lors, tout l'ordre économique de l'après-guerre s'est désintégré à un rythme accéléré pour être maintenant en lambeaux. La guerre commerciale, du même genre de celle qui a mené dans les années 1930 au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en 1939, a remplacé les obligations et les accords internationaux. Le système financier mondial est - comme l'a si bien montré l'effondrement économique de 2008 - est complètement déstabilisé.

Tous les instruments financiers et économiques de l'État, en particulier la Réserve fédérale, ont pour seul objectif d'enrichir l'oligarchie financière, quelles qu'en soient les conséquences.

Mais l'aggravation de l'effondrement économique et la croissance des inégalités sociales à des niveaux historiques sans précédent entraînent une résurgence internationale de la lutte des classes. Bien qu'il n'en soit qu'à sa phase initiale, ce mouvement des travailleurs progressera au cours de la période à venir. La question cruciale est que les ouvriers doivent s'armer d'une perspective socialiste.

Les prétendues réformes préconisées par diverses tendances prétendues de «gauche», telles que celles de la France insoumise (LFI) de Mélenchon, le NPA pabliste de Besancenot, Lutte ouvrière, Syriza en Grèce, Podemos en Espagne ou bien celles qui travaillent au sein du Parti démocrate aux États-Unis ou du Parti travailliste dirigé par Corbyn en Grande-Bretagne, ne sont pas seulement totalement inadéquates, elles visent à piéger la classe ouvrière dans l'ordre actuel.

La question clé pour le mouvement croissant de la classe ouvrière est la formulation et le développement d'un programme et d'une perspective qui visent la conquête du pouvoir politique. C'est une première étape nécessaire pour mettre fin aux ravages du système de profit capitaliste.

(Article paru en anglais le 11 juillet 2019)

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