10/08/2019 wsws.org  9 min #160187

Guerre des monnaies: une nouvelle étape dans l'effondrement capitaliste

Par Nick Beams
10 août 2019

La décision de l'administration Trump de qualifier la Chine de «manipulateur de devises», en réponse à la décision prise lundi par Pékin de dévaluer légèrement le renminbi en dessous du niveau de sept pour un dollar américain, a des implications qui vont bien au-delà de la guerre commerciale lancée par les États-Unis.

L'impact immédiat des décisions prises à Washington et à Pékin a été d'entraîner les marchés financiers à la baisse dans le monde entier, y compris aux États-Unis, où Wall Street a subi un déclin significatif. La baisse a été la reconnaissance du fait que la guerre économique est entrée dans une nouvelle phase encore plus dangereuse.

Alors que les turbulences financières initiales se sont atténuées, les marchés connaissant un certain rebond en raison d'une légère hausse de la valeur du renminbi (également connu sous le nom de yuan), la guerre des monnaies est indéniablement à l'ordre du jour.

Depuis la crise financière mondiale de 2008, toutes les grandes organisations économiques internationales n'ont cessé de lancer l'avertissement que le protectionnisme et les dévaluations monétaires compétitives doivent être évités à tout prix. Ces mises en garde découlent du fait que de telles mesures ont joué un rôle crucial dans les années 1930 en approfondissant la Grande Dépression et en créant les conditions propices au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

En ce qui concerne les États-Unis, l'interdiction des mesures tarifaires protectionnistes a bel et bien été abandonnée. Non seulement l'administration Trump a imposé des droits de douane sur des centaines de milliards de dollars de marchandises chinoises - la dernière menace tarifaire contre la Chine signifiera que pratiquement toutes les exportations chinoises vers les États-Unis seront couvertes - mais elle a clairement indiqué que les droits de douane seront utilisés comme un instrument crucial pour faire progresser son programme économique partout.

L'Union européenne est actuellement engagée dans des négociations avec les États-Unis au sujet d'un accord commercial sous la menace que si elle n'accède pas aux demandes de Washington, en particulier dans le domaine de l'agriculture, un tarif de 25% sera imposé pour des raisons de «sécurité nationale». Cette menace s'étend au Japon, qui est également impliqué dans des négociations commerciales bilatérales avec les États-Unis, une situation que le premier ministre Shinzo Abe a cherché à prévenir, craignant à juste titre de donner l'avantage à Washington.

De plus, dans ses relations avec le Mexique, l'administration Trump a menacé d'imposer des droits de douane sur ses exportations vers les États-Unis si elle n'accédait pas aux demandes pour freiner le flux des réfugiés et des immigrants. Bien que ce conflit ait été réglé, du moins pour l'instant, il a déclenché une onde de choc mondiale parce qu'il impliquait le recours à des mesures économiques pour faire respecter un programme politique.

Le même modus operandi a été utilisé, mais d'une manière légèrement différente, en ce qui concerne l'Iran. Exploitant sa maîtrise de la principale monnaie internationale du monde, le dollar, Washington a menacé de sanctions financières les entreprises et les pays qui refusent d'adhérer à ses sanctions, imposées après son retrait unilatéral de l'accord nucléaire avec l'Iran en 2015.

Aujourd'hui, peu importe les événements qui surviennent immédiatement, la menace d'une guerre monétaire signifie qu'une nouvelle étape dans l'effondrement de l'ordre capitaliste mondial a été atteinte.

Dans un contexte de ralentissement marqué de l'économie mondiale, dont les signes se manifestent déjà en Europe, en Chine, en Asie du Sud-Est et aux États-Unis mêmes, où les investissements des entreprises et la production manufacturière sont en déclin, une lutte sauvage pour les marchés sera déclenchée, sans résolution en vue.

En plus de décrire la Chine comme «manipulateur de monnaie», il y a d'autres indications claires du passage à une telle politique. M. Trump a reproché à la Réserve fédérale américaine de ne pas avoir abaissé les taux d'intérêt assez rapidement pour contrer les effets d'une baisse de la valeur de l'euro et du renminbi, affirmant que les actions de la Fed l'ont placé dans une position désavantageuse face à l'Union européenne et la Chine.

Le passage à la guerre des monnaies ne se limite pas à l'administration. La semaine dernière, un projet de loi a été présenté au Sénat américain, parrainé conjointement par un sénateur républicain et un sénateur démocrate, visant à réduire la valeur du dollar américain.

Selon ses défenseurs, la législation était nécessaire parce que pendant «deux décennies», des pays étrangers, dont la Chine, avaient «manipulé leur monnaie pour stimuler leurs exportations tout en rendant les produits américains plus chers à l'étranger» et que les achats étrangers d'actifs financiers américains avaient «également conduit à une surévaluation du dollar américain».

Selon ceux qui l'ont présenté, le projet de loi intitulé Competitive Dollar for Jobs and Prosperity Act permettrait de «gérer le taux de change du dollar américain» et de l'aligner en imposant des «frais d'accès au marché» sur les achats étrangers d'actions, obligations et autres actifs américains.

À ce stade, il n'est pas clair dans quelle mesure ce projet de loi précis pourrait obtenir un appui. Mais c'est une indication claire de la direction dans laquelle les vents économiques soufflent.

Il y a un autre aspect crucial au passage à des dévaluations compétitives et à l'éclatement d'une guerre des monnaies qui va bien au-delà de la sphère commerciale, aussi importante soit-elle. Dans l'économie capitaliste, l'argent ne fonctionne pas seulement comme moyen d'échange pour le commerce et l'investissement, c'est aussi une réserve de valeur. Mais si la valeur des monnaies papier, c'est-à-dire la monnaie fiduciaire créée par les banques centrales et non adossée à de l'or ou à une autre réserve de valeur, est continuellement réduite dans un conflit mondial, alors cette fonction vitale est mise en question.

Cette question fait l'objet d'une attention accrue dans les milieux financiers. Elle est enracinée dans les vastes changements qui ont eu lieu dans le fonctionnement de l'économie américaine au cours des trois dernières décennies et plus.

À partir des années 1980, sous l'administration Reagan, le mode d'accumulation des profits aux États-Unis a connu un changement significatif à mesure qu'il commençait à dépendre de plus en plus, non pas des investissements dans de nouvelles installations et de l'expansion de la production, mais du développement de ce que l'on appelle aujourd'hui la financiarisation, l'accumulation des bénéfices par des opérations spéculatives en actions et autres actifs financiers.

Depuis le krach boursier d'octobre 1987, il y a eu une série de tempêtes financières - le sauvetage de Long Term Capital Management en 1998, l'effondrement de la «bulle informatique» au tournant du siècle, pour n'en nommer que deux, qui ont fait ressortir l'instabilité croissante du système financier dans son ensemble.

Cependant, ces tempêtes ont été surmontées grâce aux interventions monétaires de la Fed: ce que l'on a appelé le «Greenspan put». Si ces opérations ont été «couronnées de succès» en ce sens qu'elles ont permis de surmonter des problèmes immédiats, elles ont accru l'instabilité sous-jacente du système financier. En dernière analyse, leur succès à court terme reposait sur l'impulsion donnée à la croissance mondiale et aux bénéfices résultant de l'exploitation des ressources en main-d'œuvre bon marché, d'abord des tigres dits asiatiques et, de plus en plus, depuis le milieu des années 90, de la Chine.

Mais en 2008, les conséquences de ces actions se sont manifestées et la décomposition avancée du système financier américain et mondial a été exposée à travers la crise financière.

La Fed, de concert avec d'autres banques centrales, a réagi en injectant des billions de dollars dans le système financier mondial, en abaissant les taux d'intérêt à des creux records et en achetant des actifs financiers: ce qu'on appelle l'assouplissement quantitatif. Le slogan officiel était que cela entraînerait à terme une restauration de la croissance économique, rendant possible un retour à des politiques monétaires «normales».

Cela n'a pas été fait. Le système financier est devenu tellement dépendant de l'afflux d'argent bon marché que tout retour à la «normalisation» menace de provoquer une nouvelle débâcle financière. Les billions de dollars injectés dans le système n'ont pas disparu. Au contraire, ils continuent à circuler, cherchant le profit par le biais d'opérations spéculatives. Incapable de trouver des débouchés rentables dans l'économie réelle, cet océan d'argent s'est engouffré dans la dette publique, faisant grimper les prix des obligations et faisant baisser les rendements, de sorte que des obligations d'une valeur de quelque 13,74 billions de dollars se négocient maintenant à des rendements négatifs.

L'évolution vers la guerre des monnaies, à travers la dévaluation des monnaies papier, signifie qu'une nouvelle crise est en train de se produire, enracinée dans le système monétaire mondial. Les signes commencent déjà à se manifester.

Dans un récent article de blogue, Ray Dalio, le directeur du fonds de couverture Bridgewater, l'un des plus importants au monde, a souligné que dans des conditions où les banques centrales impriment de plus en plus de papier-monnaie, il y aura un glissement vers d'autres formes de monnaie, l'or, par exemple, ou d'autres formes de richesse. Il a posé la question de savoir ce qui fonctionnerait comme une réserve de richesse «lorsque la plupart des banquiers centraux veulent dévaluer leur monnaie dans un système de monnaie fiduciaire».

Il n'est pas possible de prédire exactement comment cette crise va se dérouler. Mais une chose est certaine: il n'y a pas de solution par des réformes ou des ajustements au système financier. La seule façon pour l'oligarchie financière de redonner de la valeur à sa montagne de liquidités est d'intensifier les attaques contre la classe ouvrière, dont le travail est la seule source de richesse réelle dans l'économie capitaliste.

Le passage évident à la guerre des monnaies ne signifie donc pas seulement le développement d'une crise pour l'ensemble de l'économie mondiale et du système financier. Elle présage également l'éruption d'une lutte de classe à l'échelle mondiale, dont les premières indications sont déjà visibles, dans laquelle la classe ouvrière sera de plus en plus confrontée à la nécessité de lutter pour le pouvoir politique comme moyen de mettre fin au système de profit et de réorganiser l'économie mondiale sur des bases socialistes.

(Article paru en anglais le 8 août 2019)

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