14/08/2019 mrmondialisation.org  11 min #160361

Michel-Ange Flori : l'homme qui provoque les autorités avec ses panneaux publicitaires (Interview)

Michel-Ange Flori est un toulonnais de 60 ans qui aime à titiller le pouvoir à l'aide de ses affiches provocatrices. Voilà quelques années qu'il détourne ses propres panneaux publicitaires pour interpeller les décideurs et les citoyens sur « ce qui ne fonctionne pas bien » dans la société à ses yeux. Ses messages sont aperçus chaque jour par celles et ceux qui traversent La-Seyne-sur-Mer et Toulon dans le Var, soit plusieurs milliers de personnes chaque jour. Celui qui se définit comme un esprit libre devenu « un caillou dans la chaussure du pouvoir » a récemment été condamné à verser 32 000 euros à la chaîne d'information BFM TV pour avoir écrit « La police vous parle tous les soirs sur BFM TV » sur un de ses panneaux. Plus que jamais, la liberté d'expression est devenu un combat qu'il souhaite poursuivre. Nous l'avons rencontré. Entretien.

Mr Mondialisation: Qui êtes-vous ? Comment vous définissez-vous ?

Je suis un citoyen français comme les autres et je me définis comme un esprit libre. Cela fait 37 ans que travaille sur l'agglomération toulonnaise dans l'affichage publicitaire. J'ai cédé mon entreprise il y a trois ans et il reste deux panneaux qui m'appartiennent sur lesquels j'affiche ce que je veux. On peut dire que je " tweet " sur 12m2 ! En parallèle, je communique aussi avec les réseaux sociaux et la combinaison des deux a donné un grand retentissement à mes messages. Je me saisis de faits d'actualité politique et non-politique. Aujourd'hui je suis devenu un caillou dans la chaussure d'une certaine forme de pouvoir.

Mr Mondialisation: Depuis quand détournez-vous vos panneaux publicitaires ?

La première fois c'était en 1999 quand je me suis moqué du préfet de Corse Bernard Bonnet. Il avait à l'époque ordonné aux gendarmes de mettre feu à des paillotes. C'était tellement décalé et insultant. La méthode qu'il avait employé était très sale. Il avait demandé aux gendarmes de laisser des indices qui auraient pu faire croire que les coupables de l'incendie étaient d'autres insulaires. Ce genre de procédé vise à ce que les gens s'entre-tuent parce que dans certaines régions, s'attaquer aux bien d'autrui peut carrément engendrer des vengeances sanglantes. Je m'en étais donc pris au préfet et au ministre de l'intérieur de l'époque, Jean-Pierre Chevènement. La réponse a été sévère ! Le procureur de la République de Toulon a mandaté les pompiers pour enlever le dispositif d'affichage. La brigade criminelle est venue jusqu'à chez nous pour nous perquisitionner et il y a eu moult auditions de ceux et celles susceptibles d'avoir participé à l'affiche. J'ai fais moi-même 36 heures de garde à vue sans conséquences judiciaires - heureusement - mais c'était une vraie atteinte à la liberté et à notre intimité puisqu'ils sont rentrés dans notre domicile pour les perquisitions.

J'ai ensuite repris le détournement de mes panneaux après l'attentat de Charlie Hebdo avec la fameuse inscription Je suis Charlie. Un an plus tard, je m'indignais des  protestations des magistrats contre la grâce accordée par François Hollande à Jacqueline Sauvage, condamnée à 10 ans de prison pour le meurtre de son mari qui la violentait depuis 47 ans. Alors que la grâce est un droit régalien, la magistrature a hurlé à l'atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire par l'exécutif. À ce moment, j'ai posé la question provocatrice suivante : « A-t-on entendu les magistrats pour Christine Lagarde ? » L'ancienne ministre de l'économie avait seulement été déclarée « coupable de négligence » mais dispensée de peine dans l'affaire Tapie qui correspond à un détournement de fonds publics à 403 millions d'euros.

Puis mes messages se sont un peu plus politisés. J'ai par exemple détourné une phrase de François Fillon lorsqu'il s'indignait de la mise en examen de Nicolas Sarkozy en disant « Imagine-t-on le général de Gaulle mis en examen ? » J'ai alors écrit : « Imagine-t-on Yvonne en salariée du général de Gaulle ?« C'était bien-sûr un parallèle avec les soupçons d'emplois fictifs de son épouse Pénélope.

Mr Mondialisation : Qu'est-ce qui attire votre attention et qu'est ce que vous avez envie d'exprimer à ce moment là ?

J'ai choisi de parler pour les dix millions de personnes qui touchent moins de 900 euros par mois et pour les autres dix millions qui touchent moins de 1400 euros par mois. Tous ces gens qui n'ont pas de revenus suffisants, qu'on ne voit jamais au théâtre, au cinéma, dans les restaurants, se retrouvent dans ce que j'écris et j'en suis ravi. Je suis devenu un peu malgré moi et par enchaînement de causes à effets leur porte-parole. N'oublions pas qu'Emmanuel Macron était un parfait inconnu il y a peu de temps. Il a été fabriqué de toute pièce par un système financier qui l'a mis en place pour faire un ensemble de réformes qui ne se soucient absolument pas des vingt millions de personnes dont je viens de vous parler, mais seulement d'une infime minorité.

Mr Mondialisation : Depuis les gilets jaunes, c'est la répression policière que vous ciblez...

Alors là, on est en pleine dérive dans ce pays ! Récemment, le syndicat de police nationale Alliance a fait circuler des tracts dans lesquels il met en garde le pouvoir politique et judiciaire de ne pas « contenir sa colère » si des agents venaient à être « injustement condamnés ». Il menace également de fermer les commissariats et de ne répondre qu'à des appels urgents comme cela a été fait pendant une journée en décembre 2018, ce qui a permis aux forces de l'ordre d'obtenir  une revalorisation de leur salaire d'environ 120 euros net par mois. Vous vous rendez compte ? Alors qu'à côté de cela, il y a des grèves aux urgences où l'on demande un peu moins que cela et un peu plus de reconnaissance. Bousculé par la rue, le pouvoir a lâché en une seule nuit à la police ce qu'elle n'aurait jamais pensé obtenir par les voies normales. En fait, les gilets jaunes ont été le catalyseur de l'augmentation des revendications policières.

Je m'inquiète de la situation en France. Nous devons balayer devant notre porte avant d'aller porter des messages à la Russie ou à la Chine pour qu'ils respectent leurs manifestants. De nombreuses personnes ont perdu la vue pendant le mouvement des gilets jaunes et on a au moins deux décès qu'on peut légitimement attribuer à la police. Il y a cette vieille dame (Zineb El Rhazoui) qui a pris des éclats de grenade dans son appartement à Marseille et Steve qui a finit au fond de l'eau parce que la musique n'a pas été coupée assez tôt ! C'est franchement pitoyable ! Mais ils feraient mieux de prendre garde parce qu'à force de donner des coups, c'est la République pourrait être renversée...

Mr Mondialisation: Vous n'hésitez pas à prendre des risques puisque vous avez été récemment condamné à verser 32 000 euros à BFM TV pour une affiche sur laquelle était inscrit « La police vous parle tous les jours sur BFMTV ». Ce qui ne vous retient visiblement pas de continuer...

Je me suis inspiré d'une affiche de mai 68 placardée à l'époque sur les murs de Paris: La police vous parle tous les soirs à 20h. On y voyait un CRS devant un micro de la radio ORTF. J'ai donc détourné ce slogan et cela m'a valu d'être condamné dans le cadre d'une ordonnance, c'est à dire une justice rendue en quelques minutes ! Il y est marqué que mon message « avilit » BFM TV, ça veut-il dire que la police est sale ? Dans l'ordonnance, il y a aussi tout un propos qui défend la chaîne en disant qu'elle est réputée pour bien faire son travail et qu'il n'était pas permis de la parodier dans le cadre de son activité ! C'est tout simplement hallucinant de la part de la juge ! Mes avocats ont confirmé l'absurdité de l'ordonnance et nous passons en appel au 1er mars 2020. En attendant, il y a un rapport d'étape du 12 septembre 2019 par lequel BFM TV demande de l'argent car je n'aurais pas supprimé assez vite les références à cette affiche. C'est scandaleux. BFM a fait un repérage de mes publications entre le 5 et le 12 juin alors que l'ordonnance n'existait pas encore, puisqu'elle m'a été signifiée le 12 juin !

En quoi suis-je attaquable ? C'est de la liberté d'expression et on veut la salir. Devoir payer 32 000 euros pour avoir écrit « la police vous parle sur BFM » on n'a jamais vu ça nul part ! Je suis persuadé que tout cela vise à m'atteindre personnellement. Je n'ai eu aucune mise en demeure, rien qui me prévenait de faire attention pour avoir mis ce message. J'ai été aussitôt convoquée par la juge alors que les affiches avaient déjà été supprimées. Mais je vais persévérer. On ne naît pas libre, mais on le devient et mon combat est celui de la liberté d'expression.

Mr Mondialisation: Selon votre expérience, quel impact ont vos messages sur les concitoyens ?

Je suis très surpris, pour tout vous dire. Je ne me sens pas autrement qu'un Mr tout le monde et pourtant j'ai attiré une certaine empathie de la part de gens que je n'aurais jamais rencontré sans mes affiches. Ils me disent que j'écris des choses qu'ils pensent et dont ils parlent sans avoir les moyens de les relayer. Mais moi j'ai décidé de faire écho à ma pensée et à mon indignation. L'affiche sur BFM est devenue virale, elle a été partagée en Nouvelle-Zélande, au Canada, au Togo, à Moscou... Ils l'ont eu mauvaise ! Ils ont voulu me faire taire mais c'est tout le contraire qui a eu lieu grâce à tous les anonymes qui ont fait retentir mon message sur les réseaux sociaux. J'ai aussi déjà été sollicité pour être sur des listes électorales mais je ne veux pas m'engager politiquement, je veux être complètement libre.

Et votre récente affiche Castaner maître noyeur, liée au décès de Steve, qu'exprime-t-elle ?

Évidemment, vous avez compris la métaphore avec maître nageur. C'est la main de Steve qu'on voit dans le canal et Castaner est le maître noyeur. Je l'estime responsable indirectement de la relation qui s'est déconstruite entre la police et les citoyens depuis un an. On en est arrivé là à cause de l'impunité que l'on semble avoir accordé à la police nationale. Où est-ce qu'on a vu un tel  dispositif de répression déployé pour faire arrêter de la musique et une fête ? Ces types se disent qu'ils peuvent faire n'importe quoi puisqu'ils sont toujours couverts !

Aujourd'hui, des gens qui ne s'étaient jamais rencontrés avant, des invisibles de la société, se sont retrouvés sur les ronds-points habillés d'un gilet jaune. Les réseaux sociaux leur ont permis de s'alimenter, de s'irriguer, d'échanger, et ils comprennent que le monde a changé et que plus rien ne peut se passer comme avant. On ne peut plus bénéficier d'une telle impunité sous prétexte que l'on est au pouvoir. Grâce à mes affiches, j'ai moi-même réussi à faire perdre aux élections un élu de l'est varois qui s'est enrichi sur le dos des concitoyens et qui n'a pas payé ses frais de campagne. Ces gens pensent qu'ils ont le pouvoir, mais les personnes comme nous, celles qui défilent dans la rue, sont là pour leur rappeler que ce pouvoir est juste temporaire et que c'est nous qui décidons ! Mes propos font du bruit alors je ne lâcherai pas.


Donc, votre objectif c'est surtout d'arriver à accéder à celles et ceux que vous visez dans vos affiches ? Une forme de démocratie participative ?

Je veux dénoncer des choses qui ne fonctionnent pas bien et je laisse aux gens le soin de savoir quel impact cela a sur eux. J'ai par exemple synthétisé l'affaire Benalla avec ces mots: Macron a-t-il donné le code nucléaire à Benala ? Tout cela permet aux gens de s'interroger sur des affaires qui les questionnent déjà.

L'affichage, c'est gratuit, ça s'offre facilement au public, il n'y a pas besoin de choisir la chaîne, la fréquence ou le journal. Si c'est bien placé, et que c'est ramassé en quelques mots, alors ça a de l'impact. Ça me rappelle un peu les dazibao pendant la révolution culturelle en Chine, ces affiches à visée politique ou morale rédigées par de simples citoyens et placardées sur les mur. Moi, je ne suis ni Mao Zedong, ni chinois. Je prends plaisir à afficher mes tweets sur mes panneaux et je suis encouragé par un certain nombre de gens. Si c'était le contraire, alors je ne le ferais pas.

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