21/08/2019 cadtm.org  23 min #160604

L'opération de séduction de James Wolfensohn (1995-2005)

Wolfensohn speaking at a press conference with Condoleezza Rice in 2006. cc Wikipedia

En 2019, la Banque mondiale (BM) et le FMI atteignent l'âge de 75 ans. Ces deux institutions financières internationales (IFI), créées en 1944, sont dominées par les États-Unis et quelques grandes puissances alliées qui agissent pour généraliser des politiques contraires aux intérêts des peuples.

La BM et le FMI ont systématiquement prêté à des États afin d'influencer leur politique. L'endettement extérieur a été et est encore utilisé comme un instrument de subordination des débiteurs. Depuis leur création, le FMI et la BM ont violé les pactes internationaux sur les droits humains et n'hésitent pas à soutenir des dictatures.

Une nouvelle forme de décolonisation s'impose pour sortir de l'impasse dans laquelle les IFI et leurs principaux actionnaires ont enfermé le monde en général. De nouvelles institutions internationales doivent être construites. Nous publions une série d'articles d'Éric Toussaint qui retrace l'évolution de la BM et du FMI depuis leur création en 1944. Ces articles sont tirés du livre  Banque mondiale : le coup d'État permanent, publié en 2006, aujourd'hui épuisé et disponible gratuitement en pdf.

En 1995, William Clinton, président des États-Unis, désigne James Wolfensohn, banquier à New York, comme neuvième président de la Banque mondiale.

James Wolfensohn, citoyen australien, commence sa carrière de banquier à Sydney en 1959. Entre 1968 et 1977, il travaille à un poste de direction du groupe bancaire controversé J. Henry Schroder, à Londres et à New York [1]. Selon Patrick Bond [2], James Wolfensohn a été le trésorier des « Amis américains de Bilderberg », groupe de pression atlantiste et anti-communiste [3]. Il quitte la banque Henry Schroder pour rejoindre la direction de la banque d'affaires Salomon Brothers. En 1980-1981, il aurait figuré sur la liste de Robert McNamara qui se cherche un remplaçant et, dans cette perspective, il prend la nationalité américaine [4]. Le président Ronald Reagan désigne Alden W. Clausen à la tête de la Banque mondiale. James Wolfensohn fonde alors sa propre banque d'affaires, James D. Wolfensohn Inc., qui est très active dans l'euphorie des fusions/acquisitions des années 1980 et dans la première moitié des années 1990, avant d'être rachetée par Banker's Trust.

James Wolfensohn accède à la présidence de la Banque à un moment où il devient urgent et nécessaire de restaurer son image. L'ajustement structurel a très mauvaise presse et une série de crises financières commencent à frapper les pays émergents. Il faut détourner l'attention en remettant en avant l'élimination de la pauvreté, la « bonne gouvernance » et les prêts responsables pour l'environnement. Une intense activité de relations publiques se développe en ce sens. James Wolfensohn devient expert en relation avec la presse. Sa bonhomie et sa rhétorique font très bonne impression.

Multiplications des leurres [5]

L'initiative PPTE. C'est en 1996 que l'initiative pour les Pays pauvres très endettés (PPTE) est lancée. Il s'agit de détourner la revendication de plus en plus forte d'annulation des dettes. A grands renforts médiatiques, la Banque annonce « sa » solution. Dès le départ, les critiques fusent sur le concept même et sur l'efficacité escomptée de cette initiative. A la fin du mandat de Wolfensohn, l'échec est patent. Au lieu des 42 pays qui devaient au départ bénéficier d'une annulation de dettes jusqu'à 80% (annonce faite en 1996) puis jusqu'à 90% (annonce de juin 1999 au G8 à Cologne), lorsque Wolfensohn termine son mandat en mai 2005, seuls 18 pays sont assurés de bénéficier d'annulation de dette à l'égard des différents créanciers. Alors qu'elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 42 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette est passée de 218 à 205 milliards de dollars, soit une baisse de 6% seulement entre 1996 et 2003.

Rien n'a changé dans ces nouvelles politiques à l'égard des pays endettés, les exigences de privatisations et de libéralisation des échanges constituent toujours le cadre macro-économique

Des PAS à la stratégie de réduction de la pauvreté. Les Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté (CSLP) ont été promus par James Wolfensohn pour remplacer les programmes d'ajustement structurel (PAS) très discrédités alors qu'ils avaient été la principale approche de la Banque et du FMI depuis les années 1980. En fait, à part le nom, rien n'a changé dans ces nouvelles politiques à l'égard des pays endettés. Les exigences de privatisations et de libéralisation des échanges constituent toujours le cadre macro-économique. En réalité, la Banque mondiale et le FMI durcissent encore un peu plus les conditionnalités qu'ils imposent car ils font front dorénavant avec l'Organisation mondiale du commerce qui entre en activité à partir de 1995 [6]. Par ailleurs, on cherche vainement la « participation » de la société civile bien que cette participation soit annoncée à grands cris comme une profonde mutation opérée par la Banque.

Le SAPRI. Il faut noter que le premier exercice de « dialogue constructif » auquel s'est livrée la Banque sous la direction de James Wolfensohn, consiste justement en une évaluation conjointe des programmes d'ajustement structurel entre la Banque, la société civile et des gouvernements : c'est l'initiative SAPRI (Structural Adjustment Participatory Review) qui fut lancée en 1997. SAPRI était conçue comme un exercice de terrain tripartite avec une équipe de la Banque nommée par James Wolfensohn pour développer une méthodologie transparente et participative visant à rassembler la documentation sur l'influence des PAS aux niveaux local et national dans sept pays. Walden Bello et Shalmali Guttal tirent un bilan ravageur de cette expérience : « Malgré l'accord sur les règles communes de l'exercice et la méthodologie de la revue, l'équipe de la Banque mondiale joua un rôle d'obstruction tout au long du processus SAPRI. Par exemple, lors des débats publics, au lieu d'essayer d'écouter et d'apprendre les faits présentés par les représentants de la société civile sur les effets des PAS, le personnel de la Banque contesta presque toujours les arguments et, à la fin, prétendit que les interventions lors des débats (qui faisaient partie des données qualitatives convenues) constituaient des ' faits anecdotiques'. (...) Au fur et à mesure que la capacité de la Banque à contrôler les processus nationaux décroissait, sa capacité à contrôler les résultats de la Revue décroissait aussi. Bien avant d'arriver aux débats nationaux finaux et aux conclusions, les enquêtes de terrain montraient déjà des problèmes majeurs dans tous les aspects des programmes d'ajustement. Hésitant à publier ces résultats, l'équipe de la Banque fit fi d'un accord (écrit) antérieur, à savoir de présenter tous les résultats de la SAPRI dans un grand forum public à Washington DC, en présence de Wolfensohn. Au lieu de cela, la Banque fit le choix d'une rencontre technique fermée en l'absence du président de la Banque. Plus important encore, la Banque insista pour que la société civile et elle écrivent chacune des rapports séparés. Le rapport de la Banque utilisa les recherches commanditées par elle-même comme base pour ses conclusions et se référa à peine au processus de cinq ans de la SAPRI. En août 2001, la Banque se retira de la SAPRI et enterra totalement l'exercice. Sauf à dire qu'elle avait beaucoup appris de SAPRI, la Banque ne s'engagea pas à amender ses pratiques de prêts selon les résultats de SAPRI. Le 15 avril 2002, le rapport SAPRI complet (sous le nom de SAPRIN pour inclure les résultats des deux pays où la société civile fit ses recherches sans participation de la Banque) a été rendu public et a reçu une immense couverture par les media (dans le monde anglophone, NDA). Wolfensohn exprima des regrets et promit de discuter sérieusement le rapport SAPRIN dans un proche avenir. A cette date, cependant, ni la Banque, ni Wolfensohn n'ont montré aucun engagement à revoir et à apporter des changements à leurs prêts structurels. Au contraire, les politiques d'ajustement structurel continuent d'être le pilier de la Banque et du FMI » [7].

Affaires de corruption. Les suites de la crise financière asiatique démontrent les contradictions entre le discours de la Banque sur la bonne gouvernance et sa pratique : en Indonésie, les relations de la Banque avec le régime dictatorial et corrompu de Suharto s'est poursuivi pendant le mandat de James Wolfensohn. D'après le spécialiste Jeffrey Winters, spécialiste de l'Indonésie, la Banque a accepté des statistiques fausses et elle a toléré le fait que 30% de chaque dollar de l'aide qu'elle accordait au régime soit siphonné par des individus corrompus.

En Afrique australe, « La Banque a encaissé d'autres coups avec les nouvelles de corruption et de négligence dans les projets d'infrastructure qu'elle a financés notamment les projets hydrauliques des plateaux du Lesotho (LHWP) et le barrage des chutes de Bujugali en Ouganda. En 2001, la Cour Suprême du Lesotho a étudié les accusations de corruption entre plusieurs sociétés internationales de construction de barrages et les autorités publiques en rapport avec le LHWP. Au lieu d'encourager un processus légal national et public, la Banque a fait sa propre enquête secrète sur trois des compagnies accusées de payer des pots-de-vin et a conclu qu'il n'y avait pas assez de preuves pour les accuser de corruption. En 2002, la Cour Suprême du Lesotho démontre le contraire et accuse notamment Acres International, une firme que la Banque mondiale favorisait dans ses contrats. Acres avait été blanchie par la Banque suite à sa propre enquête. La Banque mit plus d'un an pour annoncer que Acres International serait bannie de ses contrats pour une période de trois ans » [8].

La Commission mondiale des barrages (CMB). Établie en 1997, la Commission mondiale des barrages (CMB) devait mener une enquête globale indépendante et exhaustive sur l'efficacité des grands barrages et proposer des normes internationales acceptables dans ce domaine. Sur une période de deux ans et demi, elle a réalisé une recherche considérable et a reçu près de 1000 réclamations de par le monde sur les aspects environnementaux, sociaux, économiques, techniques, institutionnels et productifs des grands barrages.

Durant deux ans et demi, la CMB a mené une enquête indépendante et exhaustive sur l'efficacité des grands barrages : la Banque mondiale rejeta les conclusions du rapport car elles allaient trop loin

La Commission était indépendante de la Banque mais cette dernière joua toutefois un rôle plus actif dans la production du rapport de la CMB que n'importe quelle autre institution et elle fut consultée à chaque étape de programme de travail. James Wolfensohn a décrit avec enthousiasme ce processus comme un modèle pour les futures négociations multilatérales. Pourtant, l'inadmissible se produisit : la Banque mondiale rejeta les conclusions du rapport car elles allaient trop loin. Ce rapport final intitulé "Barrages et développement : un nouveau cadre de prise de décision" a été rendu public par Nelson Mandela à Londres en novembre 2000. James Wolfensohn justifie le refus de suivre les conclusions en expliquant que la Banque doit s'en remettre aux opinions de ses actionnaires et à celles des agences gouvernementales de construction de barrages dans les principaux pays constructeurs. Dans une déclaration du 27 mars 2001, la Banque affirme que « suite aux éclaircissements fournis par la présidence de la CMB, la Banque mondiale n'adoptera pas les 26 directives mais les utilisera comme points de référence dans les projets d'investissement dans les barrages à venir », et d'ajouter « qu'il s'agit là d'un dialogue hautement constructif sans précédent entre les différentes parties. La Banque mondiale croit que de tels dialogues sont d'une importance capitale pour les nombreux débats et la controverse qu'ils suscitent sur le développement, et elle continuera d'y participer dans le futur » [9].

La tactique de la Banque est la suivante : confrontée aux défis des critiques et des revendications, la Banque elle-même annonce des dialogues, commande et s'implique activement dans des enquêtes, déclare sa ferme volonté de tenir compte des résultats. Puis, quand les rapports sont là, elle rejette leurs conclusions et tient des discours évasifs sur l'avenir tout en spécifiant bien qu'elle va poursuivre le « dialogue constructif ».

La Commission d'évaluation des industries extractives. L'expérience de la Commission mondiale des barrages s'est reproduite lors de l'Evaluation des Industries d'Extraction (EIE). Critiqué lors d'un rassemblement public international des Amis de Terre, James Wolfensohn répond - à la grande surprise de son équipe - que la Banque entreprendra une évaluation globale afin de déterminer si son implication dans les industries liées à l'extraction est en cohérence avec son but premier de réduire la pauvreté.

Ayant tiré certains enseignements de l'expérience de la Commission mondiale des barrages, la Banque mondiale engage l'EIE sur une piste moins indépendante et moins participative. Mais le Rapport de l'EIE publié à Lisbonne le 11 décembre 2003 s'avère, malgré l'ingérence de la Banque mondiale, un document étonnamment puissant. Il recommande fermement que la Banque, ainsi que son bras droit pour le secteur privé, la Société Financière Internationale (SFI), mettent fin progressivement à leurs prêts dans le secteur pétrolier, ainsi que dans celui des mines et du gaz naturel. Le Rapport demande à la Banque de concentrer ses apports financiers sur le secteur des énergies renouvelables. Ce rapport engendre un tollé parmi les investisseurs privés (tels que Citibank, ABN Amro, WestLB et Barclays) pour qui l'implication de la Banque dans ces domaines particuliers est essentielle tant qu'ils ne sont pas capables de financer ces projets eux-mêmes. Dans une opinion publiée par le Financial Times le 17 juin 2004, Emil Salim qui a présidé la Commission d'évaluation des industries extractives écrit : « Ayant été chargé du contrôle de l'étude sur les industries extractives, je suis arrivé à la conclusion que la Banque mondiale doit complètement modifier son approche de soutien aux industries extractives - et même dans certains cas l'arrêter complètement. La raison de cette conclusion est claire. La Banque est une institution publique dont le mandat est la réduction de la pauvreté. Non seulement les industries pétrolières, gazières ou minières n'ont pas aidé les plus pauvres dans les pays en développement mais elles ont bien souvent encore aggravé leurs conditions de vie ».

A l'instar du Rapport de la Commission mondiale des barrages, la Banque mondiale décide une fois de plus, en août 2004, d'ignorer la plupart des recommandations importantes du Rapport de l'EIR. Par exemple, la Banque continue de souligner le côté éminemment positif de la construction de l'oléoduc Tchad-Cameroun [10]. La Banque justifie son implication directe dans les industries minières en arguant que cela lui permet de les influencer pour qu'elles se conforment aux normes sociales et environnementales.

James Wolfensohn en butte aux mouvements sociaux

Quand débute le mandat de James Wolfensohn en 1995, la campagne « 50 ans, ça suffit » [11] est en plein essor aux États-Unis et elle rayonne au-delà. Ensuite, se développe la campagne mondiale Jubilé 2000 particulièrement forte dans les pays à dominante chrétienne tant au Nord qu'au Sud de la planète. Cette campagne, commencée en 1997 et terminée en 2000, a permis de rassembler plus de vingt millions de signatures au bas d'une pétition qui réclame d'aller au-delà de l'initiative PPTE en demandant l'annulation de la dette des pays pauvres. Elle fut ponctuée de rassemblements de masse : une chaîne humaine de 80.000 participants à l'occasion du G8 à Birmingham en mai 1998, 35.000 manifestants lors du G8 à Cologne en juin 1999.

Moi et mes collègues, nous nous sentons bien en allant au travail chaque jour !

Les relations de plus en plus houleuses entre les sociétés civiles et James Wolfensohn atteignent un point critique lors du tumultueux rassemblement annuel de la Banque et du FMI à Prague en septembre 2000, qui a dû être écourté d'une journée à cause des manifestations de masse. Confronté à une liste de reproches profondément justifiés, James Wolfensohn perd son sang froid dans un débat public au Château de Prague et s'exclame : « Moi et mes collègues, nous nous sentons bien en allant au travail chaque jour. » Cette déclaration est à mettre en parallèle avec celle du directeur général du FMI, Horst Koehler lors du même débat : « Comme vous, j'ai un coeur, mais j'utilise ma tête pour prendre des décisions. »

La Banque mondiale est particulièrement offensive à l'égard des ONG et de certaines autorités locales. Elle a mis au point une stratégie d'intégration/ récupération via ce qu'elle appelle les " soft loans " (les prêts doux) destinés à favoriser le micro-crédit (soutien en particulier aux ONG féminines), à soutenir des structures d'enseignement et de santé organisées à un niveau local, à gérer au mieux les envois des migrants. Elle a créé un guichet de prêts et de dons pour soutenir les ONG. Cette stratégie offensive de la Banque pour courtiser la société civile et récupérer un espace de légitimité produit des résultats non négligeables.

Dans une tentative pour désamorcer les critiques externes et de récupérer une partie des mouvements contestataires, James Wolfensohn a joué le jeu de la consultation.

Bien que centrées sur différents domaines des opérations de la Banque, les trois initiatives (SAPRI, Commission mondiale des barrages et Evaluation sur les industries extractives) visaient à conduire les détracteurs de la Banque à la table de négociations en faisant croire que la Banque était prête à changer et à mieux répondre aux critiques sur son fonctionnement et sur ses pratiques. Mais la réalité a prouvé juste le contraire. Dans les trois cas, la Banque n'a pas respecté les règles du jeu : elle a rejeté les résultats de ces initiatives. C'est instructif pour ceux qui gardent des illusions quant au fait que le dialogue avec la Banque peut conduire à des changements substantiels dans son fonctionnement et ses politiques.

Crise interne et crise de légitimité

Au cours du mandat de James Wolfensohn, la direction de la Banque traverse une crise interne en 1999-2000 qui se concrétise par le départ de deux personnages clé du staff de l'institution : Joseph Stiglitz, économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale démissionne fin 1999 sous la pression du secrétaire au Trésor, Lawrence Summers ; Ravi Kanbur, directeur du Rapport annuel de la Banque mondiale sur le développement dans le monde, s'en va en juin 2000. Joseph Stiglitz et Ravi Kanbur étaient des éléments réformateurs au sein de la Banque. Leur départ indique clairement qu'il n'y véritablement pas de place pour l'auto-réforme de la Banque.

La Banque mondiale est également fortement contestée au Congrès des États-Unis. Le rapport de la Commission Meltzer rendu public en février 2000 en atteste (voir chapitre suivant).

La fin du deuxième mandat de James Wolfensohn

L'arrivée d'une administration conservatrice à la Maison Blanche en 2001 complique le mandat de James Wolfensohn. Il passe ses quatre dernières années de président de la Banque à s'aligner largement sur l'orientation de plus en plus agressive de l'administration G.W. Bush. Quelquefois, il rechigne à réaliser immédiatement ce que George W. Bush et son équipe souhaitent mais il finit à chaque fois par faire ce qu'on lui demande. Il le reconnaît lui-même dans une interview donnée peu avant son départ : « J'ai eu l'impression que l'administration américaine était tout à fait contente de ce qui s'était passé ici les dernières années » [12].

En Afghanistan, en plus d'accorder 570 millions de dollars et d'accompagner l'effort des États-Unis en levant des milliards de dollars pour la reconstruction, James Wolfensohn exprime l'intérêt de la Banque à participer au financement d'un pipeline pour acheminer les réserves massives de gaz naturel à travers l'Afghanistan, en provenance du très verrouillé Turkménistan, vers l'Inde et le Pakistan, un projet que les compagnies énergétiques états-uniennes soutenues par le vice-Président américain Dick Cheney convoitent.

En Irak, James Wolfensohn, poussé par Washington, débloque entre 3 et 5 milliards de dollars pour la reconstruction et accepte de diriger l'Iraq Trust Fund pour acheminer l'argent nécessaire aux projets de développement entrepris par le régime d'occupation, plus particulièrement ceux qui concernaient les « bâtiments de grande capacité » dans le secteur privé, un objectif principal pour l'administration Bush.

Malgré cette bonne volonté manifeste, James Wolfensohn ne peut empêcher l'érosion de son autorité et de son prestige. Dénigré par la Maison Blanche car proche de William Clinton et de John Kerry, le candidat démocrate à la présidence en 2004, il perd aussi de plus en plus de crédibilité à l'égard de ceux qui avaient cru en sa volonté réformatrice. Très tôt il est certain qu'en cas de réélection de George W. Bush pour un deuxième mandat, James Wolfensohn, n'a aucune chance d'être reconduit à son poste en 2005. Effectivement, en mars 2005, George W. Bush désigne à la tête de la Banque un de ses collaborateurs directs en la personne de Paul Wolfowitz, sous-secrétaire d'État à la Défense.

Quant à James Wolfensohn, en 2005-2006, il accomplit une mission en relation avec la Banque en gérant le fonds fiduciaire pour la Bande de Gaza, dans les Territoires palestiniens. Mais surtout, il rejoint la direction du principal groupe bancaire mondial, Citigroup, au sein de laquelle il travaille à plein temps.

Notes

[1] La banque Schroder a financé Hitler et les SS dès les années 1920 et jusqu'à la chute du troisième Reich. Cette banque est plus tard devenue une base pour Allen Dulles qui est devenu directeur de la CIA. La banque Schroder a été impliquée dans le financement de nombreux coups d'État : le renversement du Premier ministre Mossadegh en Iran en 1953, le coup militaire contre Jacobo Arbenz au Guatemala en 1954, l'invasion de la baie des Cochons à Cuba en 1961, la déstabilisation au Chili entre 1970 et 1973 puis le coup d'État de Pinochet.

[2] Bond, Patrick. 2000. Elite Transition, From Apartheid to Neoliberalism in South Africa, Pluto Press/University of Natal Press, London - Sterling, Virginia/Pietermaritzburg, South Africa, p. 164.

[3] La conférence de Bilderberg est une conférence annuelle qui, depuis 1954, réunit sur invitation environ 130 personnalités des milieux d'affaires, académiques ou politiques de différents pays. Ses membres - hommes politiques, industriels, banquiers - s'appellent eux-mêmes les « Bilderbergers » ou « groupe Bilderberg ». L'objectif initial du groupe était, dans le contexte de la guerre froide, de renforcer la coopération entre les États-Unis et leurs partenaires européens pour lutter contre le communisme. Il s'agissait également de combattre les luttes de libération dans les colonies. Les objectifs du groupe Bilderberg ont évolué vers la promotion du modèle néolibéral. Il reste toujours largement atlantiste. Le groupe Bilderberg ne donne aucune publicité à ses réunions. Au départ, ce groupe était financé par la firme hollandaise Unilever et la CIA. James Wolfensohn a participé à la conférence de Bilderberg de mai 2005 en bonne compagnie (Pascal Lamy, John Bolton, Robert Zoellick). Voir : fr.wikipedia.org A noter qu'en 1973, fut créée la Commission Trilatérale à l'initiative des principaux dirigeants du groupe Bilderberg et du Council on Foreign Relations, parmi lesquels David Rockefeller et Henry Kissinger. Voir : fr.wikipedia.org

[4]  globalpolicy.org

[5] La suite de ce chapitre s'appuie notamment sur Bello, Walden et Guttal, Shalmali (2005). « L'ère Wolfensohn à la Banque mondiale : une décennie de contradictions », 30 août 2005.

[6] Le trio BM-FMI-OMC sera analysé en profondeur dans mon prochain livre « L'horreur productiviste ».

[7] Bello, Walden et Guttal, Shalmali (2005). « L'ère Wolfensohn à la Banque mondiale : une décennie de contradictions », 30 août 2005.

[8] Bello, Walden et Guttal, Shalmali (2005). « L'ère Wolfensohn à la Banque mondiale : une décennie de contradictions », 30 août 2005

[9] cité dans Bello, Walden et Guttal, Shalmali (2005). « L'ère Wolfensohn à la Banque mondiale : une décennie de contradictions », 30 août 2005

[10] En décembre 2005, la Banque mondiale a dû retirer son soutien à l'oléoduc déjà entré en exploitation pour tenter d'éviter le scandale : le président tchadien a fait main basse sur les revenus pétroliers que la Banque mondiale voulait réserver aux générations futures. De nombreuses organisations avaient pourtant alerté Wolfensohn sur les risques de monter un tel projet avec le dictateur tchadien, Idriss Déby Itno.

[11] Voir le site  www.50years.org

[12] Conférence de presse de James Wolfensohn, 12 avril 2005, Washington

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