07/09/2019 usbeketrica.com  23 min #161318

Des manifestations de masse éclatent à Hong Kong

A Hong Kong, les manifestants mènent aussi une bataille numérique

A Hong Kong, alors que la cheffe de l'exécutif Carrie Lam a annoncé le 4 septembre le  retrait définitif de son projet de loi visant à autoriser les extraditions vers la Chine, les manifestations pro-démocratie ne faiblissent pas. Cartes virtuelles actualisées en temps réel, chaînes de messages cryptées, utilisation croissante de Twitter pour attirer l'attention des médias internationaux : la bataille que mène la population, bien consciente de la force de frappe de Pékin en face d'elle, se déroule aussi en ligne. Avec une inventivité impressionnante.

Un emoji chien pour représenter la police, une bulle blanche pour les gaz lacrymogènes et un petit dinosaure vert pour les forces d'intervention spéciale :  HKMap.live est un site pour le moins... interactif. Lancée début août, la carte virtuelle, entièrement participative et actualisée en temps réel, est l'une des plus utilisées par les manifestants pro-démocratie à Hong Kong. Ceux-ci descendent dans les rues depuis la fin du mois de mars pour dénoncer l'influence croissante du gouvernement central chinois sur leur territoire - et notamment un projet de loi,  depuis abandonné (le 4 septembre), qui aurait autorisé des extraditions vers la Chine continentale.

Multiple rallies happening across Hong Kong this afternoon, on the first of the two-day general & school strikes. See @hkmaplive for real-time updates; icons with check mark = verified.

« L'immense asymétrie entre les données à disposition des manifestants et celles à disposition de la police a mené, à plusieurs reprises, à des arrestations », explique à  Quartz le jeune fondateur de HKMap.live, Kuma (un pseudo), qui note qu'une telle plateforme donne aux manifestants une idée plus concrète de la situation qu'une série de messages postée sur des groupes de conversation, par ailleurs déjà largement utilisés. Spécificité de sa création : HKMap.live est protégée par  Project Galileo, service de cybersécurité basé aux Etats-Unis qui sécurise gratuitement certains sites « d'intérêt public », et se trouve ainsi en mesure de contrecarrer d'éventuelles intrusions malveillantes du réseau.

Organisation « liquide »

Comme le note Quartz, la popularité de cette carte s'explique, plus généralement, par la nature « liquide » de l'organisation sur place : le lieu des ralliements changeant chaque semaine et leur déroulé étant parfois chaotique, l'une des principales difficultés pour la population consiste à pouvoir saisir ce qu'il se passe en temps réel : « Où avancer ? Où les gaz lacrymogènes et les canons à eau ont-ils été déployés ? Où la police avance-t-elle ? » Difficulté que les manifestants ont décidé de résoudre en utilisant, depuis plusieurs mois, tous les outils numériques à leur disposition.

« Les Hongkongais utilisent énormément leurs smartphones, cela fait simplement partie de leur quotidien, nous explique par téléphone Selina Cheng, journaliste d'investigation pour le média local  HK01. Par rapport aux  manifestations de 2014, les choses ont un peu évolué : cette fois, les gens n'utilisent plus seulement Facebook et WhatsApp mais aussi des services de messagerie cryptée comme Telegram, bâtissent leurs propres outils comme cette fameuse carte et diffusent énormément d'images en direct sur les réseaux sociaux. »

Des manifestants pro-démocratie rassemblés dans les rues de Hong Kong, le 28 avril 2019. Crédits : Etan Liam, Flickr (CC BY-ND 2.0).

« Il s'agit de communiquer "sous les radars", complète Lo Kin-hei, vice-président du petit  Parti démocrate de Hong Kong, impliqué dans le mouvement. Les applications sont utilisées fréquemment, mais moins chez les générations âgées et la police. Passer par ces services s'avère à la fois efficace et un peu plus discret, tout en permettant à la population de s'informer continuellement. Ceux en première ligne, en particulier, peuvent ainsi savoir si la police est déjà en train de les encercler et décider de la meilleure rue pour se replier. »

La crainte d'une coupure du web

Récemment, certains médias comme la  BBC ou  Forbes ont également constaté une envolée du nombre de téléchargements de l'application  Bridgefy, qui permet à ses utilisateurs de communiquer via Bluetooth, c'est-à-dire en contournant le réseau internet. En ligne de mire, évidemment, la crainte d'une coupure partielle ou totale du web : « Il y a une peur grandissante chez les Hongkongais de voir le réseau internet ou certaines applications bloquées par le gouvernement, poursuit Selina Cheng. D'après ce que je peux constater, les applications Bluetooth ne sont pas très utilisées pour l'instant, mais les gens se préparent à cette éventualité. »

Bien conscient des mécanismes de contrôle mis en place en ligne par le gouvernement central chinois, les manifestants choisissent aussi, dans certains cas, de rester  très prudents vis-à-vis de leurs activités en ligne. Subtilité et discrétion sont de rigueur : ainsi certains activistes  recommandent-ils à leurs concitoyens de ne plus du tout utiliser le réseau Wi-Fi public de la ville et de laisser leur téléphone portable chez eux lorsqu'ils sont dans les rues. Ou encore de  désactiver, sur leurs iPhones, les fonctions Face ID et Touch ID afin qu'elles ne puissent pas être utilisées par la police pour les déverrouiller sans leur consentement.

Lasers contre rumeurs de reconnaissance faciale

Se protéger, c'est aussi tout l'objet de l'utilisation fréquente, par les manifestants, de petits lasers vert ou bleu en plein cœur des rues, très remarquée par les médias internationaux. L'idée, assez ingénieuse, est de bloquer la vue des policiers, au point qu'ils n'arrivent plus à les photographier.

Happening now in Wan Chai, some 100m away from the police headquarters

Au début du mois d'août, des centaines de personnes s'étaient d'ailleurs rassemblées devant le Space Museum de Hong Kong pour dénoncer l'arrestation d'un jeune étudiant, Keith Fong Chung-yin, au motif qu'il venait d'acheter dix lasers et que ceux-ci pouvaient être considérés comme des « armes ». Ironiquement, les manifestants avaient alors offert à la police un impressionnant « spectacle de lumière », dans l'objectif de prouver que leurs lasers n'avaient rien de dangereux.

They were all just concentrating their lasers in an attempt to “set fire” to the planetarium, mocking police claims they can start fires. This is the joyous, comedic side of #HKprotests I’ve been missing amid the miasma of tear gas.

Est notamment crainte l'utilisation de logiciels de reconnaissance faciale pour les identifier, ce qui est déjà largement le cas en Chine. Les choses sont néanmoins plus floues du côté de Hong Kong, où les autorités ont défini, en théorie, des  règles strictes pour encadrer cette technologie et la collecte de données biométriques. Selon une enquête de  BuzzFeed News, il existerait seulement trois « domaines » dans lesquels les autorités de Hong Kong utilisent d'ores et déjà la reconnaissance faciale : pour les cartes d'identité, les passeports et les contrôles effectués sur le gigantesque pont qui relie Hong Kong à la ville chinoise de Zhuhai et à Macao.

Rien ne permet donc d'établir que la police hongkongaise utilise effectivement cette technologie, mais la plupart des manifestants demeurent convaincus qu'un basculement reste possible, notamment parce que celle-ci  refuse tout bonnement de s'étendre sur le sujet. « Les rumeurs selon lesquelles la police utilise des caméras équipées de logiciels de reconnaissance faciale ne sont pas vérifiées, clarifie la journaliste Selina Cheng. A l'heure actuelle, aucune preuve n'existe. Les autorités ne sont équipées que de caméras au format classique, qu'elles peuvent ensuite soumettre à la justice comme preuves éventuelles. Mais il y a, forcément, beaucoup de suspicion au sein de la population, parce que la Chine continentale est très proche de nous et déjà très avancée sur ces questions. »

Des manifestants pro-démocratie rassemblés dans les rues de Hong Kong, le 28 avril 2019. Crédits : Etan Liam, Flickr (CC BY-ND 2.0).

Guerre d'images

C'est en effet l'une des inquiétudes les plus profondes côté manifestants : que le gouvernement chinois étende encore un peu son influence sur les autorités locales et leur territoire, pourtant censé jouir jusqu'en 2047 d'une semi-autonomie vis-à-vis de Pékin, après les accords de rétrocession signés avec le Royaume-Uni à la fin du XXe siècle. Symbole parmi d'autres de ce spectre, un lampadaire connecté a été  complètement démonté par certains manifestants le 24 août. Présenté par la ville de Hong Kong comme un outil au service de son projet de smart city, l'équipement est doté de caméras et peut notamment collecter des données sur le trafic et la météo. De quoi alarmer certains militants anti-gouvernement, qui y voient un signe de l'influence rampante de Pékin en matière de surveillance et ont donc décidé de passer à l'acte.

15:53, #KowloonBay
A group of protestors taking down the Smart Lamp Posts, which might be used to mass surveilling #HongKong citizens.#AntiELAB #HongKongProtests #HK

Relativement violentes, les images du démantèlement du lampadaire sont précisément celles qui alimentent, dans un deuxième temps, la propagande de l'Etat chinois en ligne. Les quelques actes de violence de la part des manifestants (pourtant assez rares, comme le souligne le spécialiste de la Chine Michel Bonnin sur le plateau d' Arrêt sur Images), sont ainsi largement exploités non seulement par les canaux de diffusion très officiels du régime, mais également par d'autres médias plus confidentiels.

Parmi eux, toute une série de chaînes YouTube et de comptes Twitter ou Facebook, que ces plateformes ont tout juste  décidé de fermer en les accusant d'agir de manière « coordonnée » et « délibérée » pour déstabiliser le camp pro-démocratie. Ou des journaux à visée internationale comme le  Global Times, un tabloïd pro-Beijing spécialisé dans les relations internationales... et dont l'un des « journalistes » avait d'ailleurs été cet été  pris pour cible par des manifestants, au prix d'images alimentant, là encore, le discours de Pékin.

Twitter et médias étrangers

Une véritable guerre d'influence en ligne à laquelle se livrent également les Hongkongais descendant dans la rue, soucieux de donner une bonne image de leur mouvement à l'international. Au fil des semaines, certains manifestants ont notamment compilé des listes de  « choses à faire » à destination des étrangers souhaitant les aider à distance. Autre canal  récemment privilégié par le camp démocrate pour mobiliser au-delà de la région administrative spéciale : Twitter. De plus en plus de manifestants s'y inscrivent, « notamment pour attirer l'attention des journalistes anglo-saxons sur leur sort », d'après Selina Cheng. « J'ai moi-même commencé à utiliser régulièrement Twitter à partir de la fin du mois de juin, raconte Lo Kin-hei du Parti démocrate de Hong Kong. Beaucoup de comptes qui suivent la situation de près ont grossi et gagné trois fois plus d'abonnés ces derniers mois. Twitter est une application incontournable pour beaucoup de personnes, notamment aux Etats-Unis. C'est un moyen de faire connaître au monde entier notre situation, et de faire entendre notre voix. »

L'enjeu de la communication auprès de la communauté internationale est essentiel pour la suite du mouvement, rappelle Selina Cheng : « Le gouvernement chinois est très puissant et très malin, il sait parfaitement utiliser internet à son avantage. Mais il y a un écart énorme entre les ressources des manifestants et celles de la presse chinoise. Ici, certains sont très inquiets lorsque les médias internationaux ne mettent plus Hong Kong en Une pendant quelques jours. C'est pour cela que différentes stratégies sont mises en œuvre et que les manifestants essaient constamment de se renouveler dans leurs actions : après avoir visé les commissariats, ils se sont réunis autour de l'aéroport, ce qui leur a forcément valu une  attention particulière. Fin août, ils ont aussi formé une chaîne humaine de plusieurs kilomètres en référence à la célèbre "voie balte" que l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie avaient organisée en 1989 pour demander leur indépendance. C'est ce genre de références historiques que les médias internationaux peuvent remarquer, et les Hongkongais en sont conscients. »

Image à la Une : Studio Incendo (CC Wikimédia)

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