12/09/2019 usbeketrica.com  8 min #161553

Qualité de l'air intérieur : la schizophrénie de l'éco-construction

Alors que la qualité de l'air devient un enjeu de santé publique majeur dans les grandes métropoles, les bâtiments sont pensés pour permettre une imperméabilité de plus en plus importante. Or cette dernière, si elle permet une efficacité énergétique croissante et protège de la pollution extérieure, ne garantit pas forcément une qualité optimale de l'air intérieur. Pour ne pas laisser les polluants intérieurs rendre l'air irrespirable, il est possible de s'appuyer sur des innovations en matière de monitoring des bâtiments.

En 2009, dans son projet  Terroirs déterritorialisés, l'architecte Philippe Rahm inversait le rapport intériorité / extériorité créé par l'architecture, en proposant de « reconstituer chimiquement et météorologiquement [à l'intérieur d'un bâtiment] la géologie et l'atmosphère parisienne d'avant l'apparition de la pollution massive du XIXe siècle, comme une réalité naturelle à la fois filtrée et régénérée. » Cette atmosphère parisienne, caractérisée par un paysage et une géologie de couches calcaires (climat atlantique, vent de l'ouest, chênes et châtaigniers) n'existe plus. Ce projet est donc une manière d'exprimer le défi qui se pose aujourd'hui pour penser les porosités entre le dedans et le dehors dans les projets architecturaux des zones urbaines.

La pollution de l'air causerait aujourd'hui 6,5 millions de décès prématurés dans le monde

La pollution de l'air est en effet devenue un enjeu de santé publique. Elle causerait aujourd'hui 6,5 millions de décès prématurés dans le monde, selon  une étude parue dans la revue scientifique The Lancet en octobre 2017. On estime que ce chiffre pourrait monter à 7,5 millions en 2040. Le risque ne concerne pas que l'air extérieur. En effet, sur les 7,5 millions de décès liés à la pollution de l'air en 2040, 3 millions pourraient être directement liés à la pollution de l'air intérieur.

L'« atmosphère naturelle » d'avant le début de la révolution industrielle n'existe plus. Les activités humaines sont responsables de concentrations en polluants atmosphériques anormalement élevées, qu'il s'agisse des particules fines (PM10) et ultrafines (PM2,5), des oxydes d'azote (NOx), des oxydes de soufres (SOx) ou des composés organiques volatils. Ces polluants s'infiltrent dans les espaces intérieurs qui, contrairement à l'air extérieur, ne font pas l'objet d'un suivi obligatoire, hormis depuis 2011 en France pour certains polluants - formaldéhyde et benzène -, et uniquement dans les bâtiments recevant du public. Ils viennent alors s'ajouter à tous les polluants déjà présents en intérieur.

De plus en plus d'alertes émanent d'associations citoyennes, à l'image de  Respire, fondée en 2011, qui mène des campagnes de sensibilisation et d'activisme. Mais le mouvement n'est pas qu'européen. En Chine, on compte plus de 500 manifestations quotidiennes contre la pollution depuis 2015. À New Delhi, 6e métropole la plus polluée au monde, les protestations se multiplient aussi, tandis que le marché des masques et purificateurs d'air intérieur est en plein boom chez les classes moyennes et aisées de la ville.

Si les mesures réglementaires ne sont pas encore à la hauteur de l'enjeu de santé publique, la question de la qualité de l'air intérieur émerge dans les projets d'aménagement du territoire et d'architecture. Lancée début avril,  une pétition en ligne de l'UNICEF France appelle à protéger les enfants en rendant obligatoire la mise en place de  zones à faibles émissions polluantes (ZFE) autour des lieux publics les accueillant. Le rapport mentionne aussi le rôle de l'architecture, citant l'exemple d'une école maternelle de Strasbourg dont une façade a été surélevée pour faire écran à la pollution aux NOx dans la cour de l'école.

Les projets architecturaux, qui peuvent jouer un rôle de rempart contre les pollutions extérieures, sont néanmoins soumis aujourd'hui à une double contrainte paradoxale. Les normes de réduction de la consommation énergétique, notamment en France avec un objectif de diminution de 60 % dans le tertiaire d'ici 2050 (Loi Elan), obligent à renforcer l'isolation des bâtiment et donc à réduire la porosité de l'enveloppe du bâti à l'air extérieur. Les courants d'air des vieux immeubles mal isolés avaient la vertu de renouveler l'air intérieur. Le risque, dans ces constructions répondant aux nouvelles normes écologiques, est ainsi de voir, faute d'un système de ventilation et d'aération adéquat, les polluants stagner et s'accumuler, allant même jusqu'à générer ce qu'on appelle un « syndrome du bâtiment malsain » chez les occupants. Un syndrome qui peut générer maux de tête, fatigue, irritation des yeux, du nez, de la gorge et de la peau, vertiges, manifestations allergiques, asthme, etc.

Pourtant, l'objectif réel des nouveaux habitats est de faire du bâtiment un filtre protecteur. C'est tout l'enjeu des lieux de vie de demain. Nombreux sont ceux qui l'ont compris. Un champ d'innovation s'est ouvert notamment au sein d' Airlab, plateforme d'innovation pour la qualité de l'air initiée par AirParif en 2017, qui regroupe des partenaires publics et privés.

Concevoir une nouvelle génération de capteurs permettant d'agir en continu sur la qualité de l'air dans les immeubles de bureaux

Dans ce cadre, Veolia et Icade ont lancé un appel à projets mobilisant des start-up pour concevoir une nouvelle génération de capteurs permettant de mesurer et d'agir en continu sur la qualité de l'air dans les immeubles de bureaux : ventilation, recyclage de l'air intérieur, mesure des taux d'hygrométrie, CO2, particules fines, composés organiques volatils.

Une démarche d'open innovation testée depuis 2018 dans les bâtiments de Veolia et d'Icade. Dans un contexte climatique extrême, où les températures extérieures peuvent monter jusqu'à 50°C pendant les mois d'été, l'hôtel Sheraton de Dubai fait également l'objet d'une expérimentation de pilotage dynamique de la qualité de l'air intérieur menée par Veolia. Un système d'une trentaine de capteurs répartis dans les espaces de l'hôtel - chambres, restaurants, bars, spa - permet de produire des données fines et en temps réel sur la qualité de l'air intérieur pour faire de cet hôtel une oasis dans le désert urbain des Émirats. Dans un contexte de changement climatique, cette forme de météorologie intérieure devient une condition sine qua non d'habitabilité dans des zones urbaines de plus en plus denses.

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