13/09/2019 blogs.mediapart.fr  29 min #161619

170 ans de prison : les Etats-Unis annoncent 17 nouvelles inculpations contre Julian Assange

La fibre fédératrice de Julian Assange

Hacker, il fédère les geeks et les anonymous. Enfant de la balle, il s'attache les nomades et les écorchés. Ingénieur, il interpelle les technos et les cadres. Loyal, les lanceurs d'alertes viennent à lui. Dénonciateur de crimes d'État, il attire les démocrates, les activistes, les journalistes, les avocats de toutes engeances. Bilan d'un homme d'influences.

Bilan temporaire, puisque libéré, en prison ou ailleurs, les esprits longtemps encore seront par lui hantés. Ses accomplissements sans frontières couvrent de vastes domaines ; grâce aux lanceurs d'alertes qui furent les premiers à payer le prix de leurs actes, il a ébranlé les pouvoirs étatiques dans le monde entier. Il a mobilisé contre lui et WikiLeaks une pelletée de services secrets occidentaux, les crimes dénoncés entrainant d'autres types de crimes, révélant comme jamais la dépendance des institutions judiciaires à une raison d'État affublée d'un r si petit que ni Machiavel ni même Hobbes (note 1) ne s'y reconnaitraient ; projetant une lumière des plus crues sur ce que l'on a du mal à nommer encore les media d'information, un éclairage blafard sur des régimes associés à une notion plus éloignée de son étymologie que les mots de tous les dictionnaires réunis : les régimes démocratiques contemporains.

Assange toutes catégories confondues

Des États-Unis À l'Irak à la Thaïlande, de la Suède à l'Égypte au Soudan, du Royaume-Uni à L'Équateur au Brésil, de la France à la Côte d'Ivoire à l'Algérie, une myriade de territoires sont concernés par les révélations qu'il a véhiculées. Les conséquences son insondables. Nombreux sont les terriens qui en ont vu et ressenti les effets, souvent bénéfiques pour leurs luttes démocratiques, dramatiques aussi pour certains d'entre eux. Les effets sont globaux et très localisés à la fois. Par exemple, les algériens qui battent le pavé depuis février 2019, ont dans leur besace les preuves des magouilles du clan Bouteflika.  Algeria-watch.org a naturellement puisé dans les publications de WikiLeaks, qui expliquent aussi la clémence de l'ex-secrétaire d'État Hillary Clinton envers une dictature qui a financé sa fondation. Julian Assange est un allié pour les algériens, qu'ils soient maçons, fonctionnaires, ouvriers ou cadres moyens des raffineries pétrolières.

Lors des actions pro-Assange se côtoient indifféremment les comédiennes, les charpentiers, les employées de bureau, les présidentes, les ingénieurs informaticiennes, les journalistes trop-œuvrées, les soixante-huitardes ou les jeunes profs, les première, deuxième, Xième générations d'immigrées. L'emploi du féminin se justifie par la nette majorité de femmes visiblement investies dans la défense. Peut-être comprennent-elles plus aisément la farce de ce tant titré « viol » ; raison parmi d'autres. Nous projetons sur Assange ce que nous nous en percevons, ou ce que nous voulons y voir. Le collectif WikiJustice y voit en premier lieu un homme dont les droits fondamentaux sont piétinés en dépit des lois et conventions nationales et internationales. Notre édition lui voudrait une éthique exemplaire, ou du moins y voit-elle un moyen de redonner à l'éthique sa place dans les politiques, qui de crimes en Scylla la font sombrer dans les limbes. D'autres voient en Julian Assange un camarade hacker ; d'autres un symbole de liberté, un « héros ». Les journaux y puisèrent une source de Unes et de revenus fantastique ; des avocats le réduisent à leur cheval de bataille, la liberté de la presse.

Des chevaux de bataille, nous en avons aussi. Celui de mettre à bas les catégories kantiennes par exemple. Oh, rien de trop théorique. Tenez, le président Macron, quand il vilipende en 201X la « jalousie française », que fait-il sinon rajouter une strate catégorielle à l'empilement préexistant. Revenir à Kant reprenant les catégories d'Aristote ou Platon, c'est simplement se pencher sur les strates les plus profondes de la vieille antienne « diviser pour mieux régner », adossée à des causes parfois entendables, trop souvent orchestrées dans le seul but de conserver le pouvoir. Nous commentons en annexe-bonus la magnifique notion « d'appartenance aux catégories sociales supérieures ». Si Julian Assange nous aide à tomber ces artificielles barrières, c'est par ses actes et effets collatéraux, mais aussi par son caractère indéfinissable, politiquement d'une part (son éthique transparait plus que sa vision politique), personnellement ou intimement d'autre part.

L'enfant ballotté parmi 37 écoles, Dieu sait lesquelles, n'apparait dans les registres qu'à l'âge de 16 ans. Muni ou non de ses diplômes élémentaires, il rentre à l'université étudier l'informatique. Sa vie publique débute à ce moment là, son enfance singulière laissant liberté à autrui d'imaginer son origine sociale et éducative. Cette période lacunaire n'est pas comblée par les anecdotes et témoignages familiaux ou de proches, ni par les biographies focalisées sur les années hacking avec ses potes XX, YY. Assange est généralement décrit par des « il était ceci », « il a fait cela », très rarement par des « à telle date à tel endroit il a fait ceci, il m'a dit cela lors que moi à l'époque j'étais en train de... ». De ce point de vue, sa période publique qui débute progressivement à l'âge de 26 ans ne marque qu'une relative rupture. Si bien que nous le jugeons ou connaissons spécialement à travers ses interviews cadrées ou ses actions collectives plus qu'individuelles, le « co-fondateur » de WikiLeaks étant accompagné de collaborateurs changeants et rarement nommés, et les éventuelles dissensions jamais interrogées.

Les fabliaux de l'affaire suédoise et les prétendues collusions d'Assange avec le pouvoir russe se sont éventées trop tard, trop en douceur et sans publicité, par la cause notable de la très contestable stratégie des legal-teams. In fine il ne nous reste pour le juger que ses actes et leurs conséquences que nous jugeons largement bénéfiques, mais desquelles il nous est impossible d'identifier la part individuelle de Julian Assange. Le manque de curiosité des journalistes est à cet égard un facteur aggravant.

Assange rassemble au-delà des monts

Stupeur. Telle est notre réaction lorsque nous découvrons que Julian Assange avait un « mentor ». Sa fonction ? Directeur de WikiLeaks. À quelle date son lien avec WikiLeaks est-elle annoncée par le New York Times ? Le lendemain de sa mort, le 23 octobre 2016. Son nom est Gavin MacFadyen.

Pause. Rewind. Julian Assange avait un « mentor », « bien-aimé directeur de WikiLeaks » selon le tweet signé par Julian Assange lui-même.

Julian Assange & WikiLeaks tweets right after MacFadyen death © WikiLeaks

Il est précédé à 1h39 du matin par un message titré « A bloody year for WikiLeaks ». John Jones, mort en Avril 2016 ; Michael Ratner le 11 mai, Mac Fadyen le 23 octobre. L'exhaustivité n'est pas garantie ; car la déontologie leur interdit d'ajouter l'employé du Parti Démocrate Seth Rich, assassiné en Juillet 2016, possible lanceur d'alerte des DNC Leaks. Les éléments de l'enquête récemment révélés vont dans ce sens. L'« année sanglante » ne colle pas vraiment avec la cause de « courte maladie » tweetée  selon RT USA (« cette ligne a été supprimée depuis ») par sa femme Susan Benn, qui ne colle pas avec le « cancer du poumon » finalement retenu. Publiant le 6 novembre un article en forme d' « Avis de décès », The Guardian dépeint MacFadyen en « allié de WikiLeaks » sans que cela apparaisse dans le titre ni dans le chapô ; la série macabre frappant les proches de WikiLeaks n'émeut pas le rédacteur, pas plus que la conjonction de sa mort avec la tempête politico-médiatique déclenchée par les DNC leaks dans une Amérique braquée sur les élections présidentielles.

Gavin MacFadyen FBI file extract (around 1963) obtained by US FOIA year 2017 © FBI

Une journaliste outre-atlantique du site Muckrock ne se laisse pas assoupir par le flegme britannique ; [perso/contributions/editions/articles/.  Emma Best suit la procédure] FOIA (*) lancée pour pour obtenir du FBI de précieux éléments sur les pérégrinations juvéniles de Gavin MacFadyen. Durant plusieurs décennies, des milliers de « FBI files » estampillées MacFadyen ont atterri sur le bureau du directeur Edgar P. Hoover, desquelles une infime portion fut déclassifiée en 2017. Passons sur sa période universitaire à Chicago en 1962, où son esprit d'initiative s'insert dans des mouvances socialistes ou trotskystes, et focalisons sur deux faits marquants. D'une part, le FBI s'interroge sur la filiation de Gavin MacFadyen, en s'appuyant sur un formulaire annexe où le Docteur Douglas MacFadyen, est qualifié de « beau-père ». En d'autres termes, l'officine la mieux informée des États-Unis ne sait pas identifier qui est le père génétique d'un citoyen qu'elle trace avec inquiétude. D'autre part, le « voyage d'étude » planifié par l'étudiant Gavin MacFadyen rapporté par le FBI est digne d'une tournée de chef d'État. De l'Australie à la Belgique à la Suède, les seize pays listés témoignent d'un jeune homme ivre de découvertes qui deviendra sans surprise le journaliste d'investigation prolifique et porté sur les terrains de guerre qui fâchent, fondateur du centre de formation de journalistes engagés CIJ, et  le « mentor » de Julian Assange au destin que l'on sait. Dommage que les medias se désintéressent d'un personnage aussi trépident ; ils manquent des occasions de mieux se vendre, c'est certain. La question de savoir quel type de guide Gavin MacFadyen était pour Assange, est sans doute moins lapidaire que l'affirmation des éditeurs de Veterans Today, qui sans dévoiler leurs motivations, voient en lui un agent de longue date du MI6. On vous l'a dit, catégoriser les gens, c'est pas notre truc.

Gavin MacFadyen FBI file extract (around 1963) obtained by US FOIA year 2017 © FBI

* : Le FOIA, Freedom Of Information Act, est une procédure légale typiquement anglo-saxonne permettant de déclassifier des documents d'État réputés confidentiels.

Quand Assange attire à lui des franges trotskystes

Julian Assange le pacifiste a-partisan n'est pas vraiment soutenu par les socio-démocrates, les néocons (sauf quand Donald Trump y voit son intérêt), les tories, la droite classique, les communistes... Mais il existe une instance bien connue des adeptes de twitter abonnés à  @Unity4J ou  @AssangeMrs, dont l'omniprésence au sein de la défense de Julian Assange contraste avec le non-engagement des partis politiques ; son nom est le Socialist Equality Party (SEP), il est de tendance trotskyste anglo-saxonne, au sens où les partis trotskystes européens historiques ont avec lui peu d'affinités tangibles. L'organe d'information et communication du SEP a depuis 1998 sa vitrine sur le net, le wsws.org, pour World Socialist Web Site. Couramment cité aux côtés des structures de défense officielles de WikiLeaks, sa présence est singulière à plusieurs égards : elle se marie mal avec le caractère apolitique de Julian Assange, plutôt mal avec un defend.wikileaks.org qui côtoie sans ambages le très libéral Leigh Bureau.

Dans ses publications concernant les avocats de WikiLeaks, la traditionnelle grille de lecture type "lutte des classes" est difficilement perceptible. Nous avons pourtant montré récemment à quel point la parfaite adéquation des avocats de Daughty Street Chambers avec le système politico-médiatique pouvait desservir la stratégie de défense de Julian Assange ;  l'interview de l'avocate Jennifer Robinson réalisée le 9 aout à Melbourne, par exemple, n'interroge aucunement l'étrange décision d'abandonner l'appel contestant les 50 semaines fermes prononcées contre Assange (voir plus loin). Le déclin de l'esprit critique atteint décidément les intellectuels les plus avertis. Les collectifs de défense citoyens, bien en peine de trouver des appuis institutionnels, ne peuvent que se réjouir de l'implication d'une structure aussi solide et internationalement implantée ; et les citoyens lambda de gauche ou de droite qui s'en étonnent ou s'en trouvent gênés aux entournures, ignorent probablement que Karl Marx est avant tout un outil philosophique utile aux marxistes autant qu'aux capitalistes.

C'est en tout cas un succès indéniable à mettre au compte de Julian Assange, que d'avoir sur réconcilier les contraires en dépit des principes élémentaires de la guerre froide, même si elle a perdu sa consistance d'antan.

Les avocats, les medias, Julian Assange et l'horizon

Certains faits ponctuels valent tous les faisceaux de présomption ; l'un d'eux mérite d'être répété, martelé et complété : le fameux abandon d'appel du 18 Juillet par la défense de Julian Assange, détaillé dans  Les avocats fantômes... Reprise par de grandes instances de presse anglo-saxonnes, l'information ne l'a cependant pas été par le journal papier Le Monde, référence française à l'international ; scepticisme, frilosité, indifférence, silence gêné..., à vous de juger. Le fait de ne pas contester la peine de prison purgée en ce moment par Julian Assange a cette conséquence majeure, que l'audience d'appel prévue en octobre n'aura pas lieu ; une occasion ratée de passionnants dialogues entre les avocats et les juges, de conférences de presse et rapports médiatiques attenants, de mobilisation citoyenne. Comme si le silence médiatique n'était pas assez pesant. 36 jours plus tard, les avocats n'ont toujours pas commenté la décision. Un seul homme a rendu cela possible, le rédacteur en chef de WikiLeaks Kristin Hrafnsson, qui a confirmé la nouvelle le 20 Juillet en lieu et place des défenseurs habilités à le faire : les avocats. La décision est difficilement révocable, quoique. Mais la lettre d'excuse de Julian Assange attenante, rien n'empêche de la contester. Mieux, elle est nulle et non avenue. Car toutes les déclarations qui perlent depuis par tous les proches de Julian Assange, avant et après le 18 Juillet, témoignent de la dégradation de son état de santé, alors que dès le 14 Juin, il était officiellement en incapacité de raisonner correctement. À moins que l'avocat Per Samuelson n'ait été dédit par les juges, preuves à l'appui ? La dénégation de cette lettre ne peut se faire que par les canaux judiciaires les plus directs. Et la logique de la décision, on en attend encore le déroulé...

WikiLeaks editor Kristin Hrafnsson on July 19th, Consortium News interview © Consortium News

La gente médiatique n'a pas interrogé cette incongruité, pour ne pas dire ce scandale. En prenant un peu de recul, l'accomplissement de Julian Assange en la matière est un tableau de maitre. La fine fleur planétaire des rédacteurs en chef offrant à nos regards, réunis en conciliabules tête baissées ensablées, une haie circulaire d'arrière trains, maintenus courbés par les mains fermes de l'armée financière des fondations Z X Y, fumant de la main droite un cigare allumé par les assistants sensés gouverner leurs territoires. S'il est permis de douter que le « beloved » MacFadyen fusse à ses côtés, nous sommes persuadés qu'un jour, le plus tard possible cela va de soi, Julian Assange réfugié dans ce coin de l'Olympe où règne la déesse Piliade protectrice des Cités, contemplera en compagnie de Jérome Bosch avec une complice délectation, l'œuvre du siècle.

Les limites du rassemblement autour de Julian

Paradoxalement, c'est la famille d'Assange qui a le plus de mal à se rassembler à son chevet quand il en a le plus besoin. Celles et ceux qui sont génétiquement ou intimement le plus proche, pour commencer. Sa mère n'est pas venue d'Australie. Son frère XX que l'on connaissait à minima par sa fiche Imdb, non plus. Son père génétique John Shilton l'a visité, c'est vrai. Mais séparé de sa mère avant sa naissance, Mais séparé de sa mère avant sa naissance, il n'aurait rencontré son fils qu'une ou deux fois, trois fois désormais. En matière d'intimité, on a fait mieux. Le demi-frère qui est venu le voir et témoigner au concert de Roger Waters, n'était connu ni d'Ève ni d'Adam. Pas sûr que le niveau de complicité acquis au cours de leurs vies ait favorisé le réconfort dont Julian a tant besoin, lors de sa visite. La mère de sa fille française et sa fille elle-même, nous n'en avons ouï dire depuis longtemps. La famille c'est ce qui reste quand le ciel s'abat sur soi. Et très sincèrement, nous sommes extrêmement tristes de savoir qu'il n'ait pu obtenir le réconfort des personnes les plus proches.

Qu'en savons-nous, de qui Julian Assange se sent le plus proche ? Pas grand-chose. Le message et la photo de lui aux côtés de Gavin MacFadyen publiés après sa mort, font de Gavin un possible père adoptif avec qui Julian Assange trouvait un réel réconfort, une complicité. Le rôle très questionnable de MacFadyen au sein de WikiLeaks en lien avec son Curriculum Vitae, laisse malheureusement planer un doute énorme sur la pleine réciprocité de leur relation. Et lui, c'est certain, ne lui rendra pas visite.

Julian Assange together with WikiLeaks Director Gavin MacFadyen © WikiLeaks

Note 1 : Dans Le prince, Machiavel justifie le fossé entre la morale populaire et la morale d'État par les conditions d'exercice du pouvoir. Nous estimons que le fossé actuel fait voler en éclats ces conditions pourtant fort contestables d'emblée. La raison d'État machiavélienne fut par exemple radicalement contredite par Emmanuel Kant avec des arguments édifiants, qui montrent la nécessité de reprendre les problèmes à la racine.

Plus centrale que jamais, la rubrique périphérique comporte deux infos de dernière minute d'une ampleur certaine.

Continuation du dernier chapitre

Pendant son adolescence de hacker, Mendax (Julian Assange) opérait principalement avec Trax et Prime Suspect, tous trois finalement arrêtés par la police australienne. Leur destin commun peut être considéré comme le ciment d'une famille soudée. Il y a huit mois, un citoyen australien a tenté de prouver qu'il était le dit Prime Suspect. Il prétend avoir décidé de dévoiler son identité afin de permettre à Julian Assange de le contacter. Cela s'explique par le fait qu'Assange n'a plus de connexion Internet depuis 2016.

Hacker Prime Suspect reveals his name. To be confirmed. © Rodney Lomax

Son nom serait Rodney Lomax, et il a envoyé fin 2018 une lettre à l'ambassade d'Equateur : « Cher Julian, ça fait bien trop longtemps, mon jeune ami ». Il ne précise pas « que l'on ne s'est vus », puisque seuls le modem et le téléphone les ont connectés de leurs provinces australiennes éloignées, dixit Rodney Lomax. « J'ai continué à m'activer dans l'ombre en passager de mon propre train, un voyage très formateur... ». La « pression politique » le pousserait à apporter son aide à Julian. Ses multiples messages dénotent à la fois ses efforts pour donner des indices prouvant son identité en lien avec le piratage informatique, et sa lutte contre le gouvernement australien qu'il considère comme violant des règles démocratiques élémentaires. Son dernier message a été posté quelques jours après le kidnapping d'Assange le 13 avril. Né en 1960, son âge est de 5 à 10 ans de plus que Prime Suspect est sensé avoir dans les différentes biographies d'Assange, mais cela ne prouve rien. Cacher son âge aurait pu être une protection.

La police australienne connaît l'identité de Prime Suspect. Si ce n'est pas Rodney Lomax, il n'y à priori pas d'obstacle pour le contredire. Les citoyens australiens ont les moyens d'interroger les autorités australiennes. Et ce témoin potentiel pourrait avoir besoin de l'aide d'autres citoyens.

Prima Annexe : Le concert - témoignage du 2 septembre à Londres

L'initiative et la prise de parole directe et improvisée de Roger Waters se doit d'être saluée. Son appel à réapprendre l'élaboration collective nous réjouit, ses interpellations énergisantes et responsabilisantes également. Il nous parle de sa position d'artiste engagé et nous l'entendons parfaitement. Nous ne pouvons pas en dire autant de la très pauvre intervention du journaliste John Pilger, qui avait la légitimité d'une prise de parole politique, éthique et intime, dans un contexte où l'exposition médiatique est rare ; ni du choix de l'équipe organisationnelle de placer la banderole Don't extradite Julian Assange, à laquelle nous aurions substitué Restaure Justice, Free Assange immediately. Nous aurions aimé poser à Roger Waters la question : « Le Rock'n Roll est-il à ce point mort, pour que tu te retrouves si seul à vaillamment défendre un homme persécuté qui a contribué et contribue encore à dévoiler la criminalité dans ce qu'elle a de plus inconcevable ? », et creuser avec lui le champ ouvert par son pertinent choix de registre musical.

2d of September Roger Water's concert and press conference

À l'issue du concert, John Pilger répond à des journalists russes : « I don't expect him in the short term to get out of there, but he's got good lawyers that are working to change the regime... ». Rassurez-vous, ils ne travaillent pas à changer le régime politique, mais le régime carcéral qui le tue à petit feu. Comment essaient-ils, nous ne l'avons toujours pas compris. Il rapporte également le point de vue d'Assange : « Julian dit lui-même qu'il n'est pas seul visé, mais que c'est un affront à la liberté d'expression et aux libertés fondamentales. » Est-ce la seule chose importante que Julian Assange lui ait dit, impossible à dire, mais ces propos rapportés convergent pleinement avec la ligne de défense des « bons avocats » en qui John Pilger fait expressément confiance. Lui emboitant le pas face aux micros, le rédacteur en chef de WikiLeaks Kristin Hrafnsson affirme que défendre Assange, c'est agir « pour l'intérêt de chacun, de la démocratie, de la liberté de la presse ». Au risque de nous répéter, Assange est dans sa situation non parce-que la liberté de la presse est en danger, mais parce qu'elle est d'ores et déjà muselée au point d'alterner fautes déontologiques et inexplicables silences quant au traitement du cas Assange. À la musique mythique des Pink Floyd succède la même berceuse lancinante rabâchée depuis des semaines. Vous avez entendu comme elle sonne faux ?

Prima' Annexe : Écrire à Julian, un parcours du combattant

Chacun se souvient du tas de courrier amassé sous le lit de la cellule d'Assange à la fin de la vidéo volée. Nous savons une chose, ce ne sont pas celles de ceux qui ont sagement suivi les consignes du site writejulian.com, recommandé via certains comptes twitter officiels.

Write to Julian : huge bug in recommaendations © writejulian.com

La consigne est claire : écrivez le nom et la date de naissance du détenu, ni plus ni moins, « Address your letter exactly as above » en anglish. Eh ben c'est faux. Le numéro d'écrou est obligatoire. Très mal renseignés, les auteurs du site sont néanmoins rapides à la détente. Datée du 15 avril, la création du site intervient deux jours après le kidnapping de Julian Assange. Nous avons contacté la prison (sonore ci-dessous), et la réceptionniste précise bien que sans numéro d'écrou, la lettre n'est pas distribuée. Vous avez entendu ceux qui ont commis ou fait suivre cette massive erreur s'excuser ?

Notre coup de fil à la prison de Belmarsh :

https://static.mediapart.fr/files/2019/09/07/belmarsh-prisoner.mp3
Belmarsh prison receptionnist about letter requirements

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Annexe indicible

Dans les moments de faiblesse, l'affaire Assange nous fait parfois sombrer dans la superstition. L'appel à un medium devient alors une option, et ce n'est pas pur hasard si nous sommes tombés sur le site Viversum dont la traduction moderne des pouvoirs de l'archange Gabriel a le mérite de la concision.

 viversum.fr

Annexe hors catégories

En France plus qu'ailleurs, le ticket d'entrée aux catégories sociales supérieures tient au diplôme. Pour en prendre la pleine mesure, il faut remonter à l'époque napoléonienne, qui acte la victoire définitive de la bourgeoisie sur l'aristocratie et les velléités populaires. Les Grandes Ecoles sont créées pour former l'élite d'une République en construction. L'efficacité des corporations investies dans l'aventure républicaine se reflète dans la révolution industrielle du XIXème siècle mais aussi dans l'administration coloniale, et l'accumulation de richesses résultante. Les conditions d'apprentissage affermissent les compétences acquises dans une dynamique de spécialisation sans cesse accrue au sein d'une approche « positiviste » qui finira par rimer avec « réductionniste ». Au-delà des compétences, les Grandes Écoles favorisent la mise en réseaux, d'où une lente substitution des exigences de compétence au profit des tissus de cooptation. La confiance mutuelle, la loyauté, la complicité sont des qualités qui de plus en plus dépassent celle des acquis et du diplôme. « Montrer patte blanche » n'est pas une vaine expression ; les diplômés issus des « quartiers populaires » en savent quelque chose, d'autant plus si leur origine est identifiable. Mais que l'on soit accepté ou non par le sérail, le sentiment (appuyé par le classement INSEE) d'appartenance aux « catégories sociales supérieures » procure un sentiment de supériorité qui induit une distanciation mentale de l'élu vis-à-vis du non élu, à différents degrés. La légitimité de ce sentiment de supériorité a toujours été contestable (sur quels critères ? L'« intelligence », la « valeur » travail ? mais alors qui hiérarchise la nature du travail... ??), mais elle l'est aujourd'hui moins que jamais et de plus en plus nocive en ce qu'elle entretient le moralisme et la condescendance d'une part de la population envers les autres.

Protestation au siège du journal Le Monde contre le traitement du cas Assange © PhotoJournaliste_freeOfUse

Et l'on en vient à la question des gilets jaunes, qui par leur omniprésence dans les actions de défense de Julian Assange en France et à Londres le 2 mai dernier, ont doublement leur place dans cette annexe qui n'en n'est pas une. Quoi d'autre qu'une distanciation méprisante et moralisante d'une frange de la population peut le mieux expliquer l'absence de réaction d'une partie de la population française, face à la répression gouvernementale que nombre d'entre nous n'hésitent pas à qualifier de terreur d'État ? Les politiques qui sont causes de la colère exprimée dans la rue, ont depuis été aggravées et ont rajouté des sources d'indignation aux précédentes. Ceci revient à allumer un feu et rajouter de l'huile par-dessus.

English and French Yellow Vests in London, May 2d 2019, No Assange Extradition protest

Les distorsions catégorielles sont multiples et ne se limitent pas à la myopie médiatique. Les gilets jaunes sont inclassables professionnellement et au-delà. L'exigence de décence, de respect de soi et de l'autre est un des moteurs du "mouvement". À l'instar de Julian Assange, les gilets jaunes se définissent bien mieux par l'observation de leur action collective* (à teneur éthique plus que politique, ce qui transparait y compris dans les critiques médiatiques qui relèvent l'illisibilité leurs revendications politiques) que par des catégorisations d'appartenance sociale. Les bienveillants penseurs (**) qui urgent les gilets jaunes à « s'organiser » n'ont pour la plupart rien compris à la leçon d'intelligence collective professée grandeur nature par ce "mouvement" : celle de ne pas laisser dépasser les têtes qui ne respectent pas la diversité indéterminée des gilets jaunes, celle de calmer les ardeurs de ceux et celles trop attirés par la lumière et in fine les petits pouvoirs, celle de ne pas se laisser récupérer. Celle de savoir se donner le temps.

L'appellation GJ se justifie encore pour des raisons d'efficacité (interne ou externe), mais déjà les gilets jaunes d'âme et de cœur sans gilets courent les rues.

Xième samedi des GJ à Paris, fin Juin © BasicBlog_freeOfUse

*. Celui qui a vu les choses de près ou navigue dans les infos brutes du net, comprend vite que la grande majorité des « violences » (particulièrement les dégradations gratuites et pillages) ne sont le fait ni des gilets jaunes, ni des cagoulés (c.f. « cortège de tête » en 2016 : leurs cibles sont des symboles politiques repérables). De ce point de vue, l'attitude des gilets jaunes est essentiellement une attitude de défi vis-à-vis du gouvernement, défi opéré face aux forces de l'ordre dont le rôle est de défendre la république. Nous savons qu'un nombre croissant de policiers se demande quelle république ils défendent. Pour ce qui de la violence politique, la question est vieille comme le monde. Des auteurs comme Gandhi ou Walter Benjamin l'ont abondamment traitée, l'ouvrage de ce dernier, « Critique de la violence » édité en 1921,  est une référence.

** Pour donner un exemple pas trop chauvin, voici  l'analyse du politiste Thomas Serres à propos de la révolte algérienne contre le clan Bouteflika : "Mais cela reste, c'est vrai, un mouvement horizontal, dénué de leadership clair, qui n'est pas en position d'opposer au régime une plateforme concrète...". Est-on bien sûr que c'est d'un « leadership » dont les algériens (qui font écho aux gilets jaunes par l'action des gilets oranges, par exemple) ont besoin ? Les leaders sont l'embryon d'une organisation hiérarchique, fragile de fait à cause de la capacité de récupération du pouvoir, mais aussi par la facilité de neutralisation des têtes identifiables. La formalisation des exigences, la confiance réciproque acquise sur le terrain au sein des divers collectifs, les modes de communication, le travail de légitimisation se heurtant à l'adversité médiatique, requièrent des efforts de longue haleine initiés depuis des mois ; et ce, sans que des « leaders » aient eu besoin de se démarquer. Les AG des AG des GJ sont un exemple, certes imparfait et à réinventer en permanence, de plateforme de convergence décentralisée.

Annexe X : Les conspirationnistes

Soyons francs : si nous avions peur d'être taxés de conspirationnistes, nous aurions jeté l'éponge voilà un bail ; les articles de nos collectifs s'en trouvent rallongés, purgés, conditionnalisés, décompressurisés, seconddegrérisés parfois. La rédaction décentralisée de Veterans Today, citée plus haut, est ainsi classée "Conspiracy" par des gens propres sur eux. Nous n'avons pas une connaissance suffisante de VT, juste assez pour dire que plus ça va, plus nous sommes obligés de partir des informations présentes sur ce genre de sites ouverts, étant donnée la pauvreté des infos de la grande presse sur un nombre croissant de sujets.

Le media américain Consortium News est beaucoup plus "présentable", tout en fournissant souvent de l'information fouillée qui fâche. Dans l'article sur la relance de l'enquête Seth Rich par un riche supporter de Trump par une FOIA adressée à la NSA,  le journaliste Ray MacGovern fait un rappel historique croustillant : la sauce anti-complotiste trouve son origine dans les contre-feux allumés par la CIA après l'assassinat du président Kennedy, et ce aux dires mêmes du « légendaire directeur de la CIA Allen Dulles ». MacGovern ajoute : « The "conspiracy theorist" tactic worked like a charm then, and now. Well, up until just now. ».

Former CIA Director Allen Dulles © TBC

Quand l'accusation « complotiste » vient d'un camp identifié, c'est de bonne guerre (asymétrique), nous avons d'ailleurs égratigné  le journal Le Monde au sujet de Seth Rich, pour la flagrante confusion développée (sciemment ou non, ce n'est pas notre problème) dans un article anti « conspirationniste » ; nous attendons depuis Juin une attaque en diffamation, mais Xavier Niel et Matthieu Pigasse semblent avoir d'autres chats à fouetter.

Quand l'accusation de « complotisme » vient de citoyens bien informés de notre propre camp, nous avons le choix entre la déprime et l'écriture de cet annexe précédée d'un laius sur les classes supérieures, en prenant soin de ne pas les y assigner, ce qui nous ferait sombrer dans les travers que nous dénonçons. Le tout pouvant apparaitre aux yeux d'un pauvre autodidacte comme une amorce de boucle derridienne, quoiqu'en disent les universitaires marxiens de Nanterre qui professent contre les travers (qui ne s'y fourvoie point ?) de Jacques Derrida, dixit des étudiantes clopant à la sortie d'un café de Paris « ma rose, Paris sur Seine la bouclée » (cadeau bonus à ceux qui trouvent sans l'aide de Gogol Palruç l'auteur cité qui n'est pas né des Abbesses mais fut chanteur, et comédien).

P.S. À la lecture de "propre camp", Derrida nous renverrait dans nos propres cordes, et nous condamnerait à la rédaction d'un paragraphe de douze pages. La commisération vis-à-vis de nos lecteurs à travers nous assignés à pénitence, nous contraint de faire appel contre cette juste (une fois n'est pas coutume) et imaginaire sentence.

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