06/10/2019 cadtm.org  9 min #162634

Prêts immobiliers en franc suisse : illégitimes et illégaux

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De la Pologne à la France, en passant par la Croatie, la Hongrie, la Slovénie, la Grèce et d'autres pays des Balkans, l'affaire de crédits hypothécaires en franc suisse concerne plus d'un million de victimes de la rapacité des grandes banques privées. La Cour de justice de l'Union européenne vient de rendre une sentence qui constitue une étape supplémentaire dans le parcours du combattant que réalisent des collectifs des personnes endettées.

Le 3 octobre 2019, la Cour de justice de l'Union européenne, basée à Luxembourg, a rendu un arrêt donnant partiellement raison aux victimes en Pologne des prêts bancaires abusifs octroyés principalement pendant la période 2004-2010 (Financial Times, « EU rules in favour of Polish borrowers over Swiss franc-linked loans », publié le 4 octobre 2019,  ft.com). Cette escroquerie concerne près de 700 000 ménages en Pologne qui ont été convaincus par des grandes banques privées d'emprunter en franc suisse (Polish TVN, « European Court of Justice backs Polish Swiss franc loan borrowers », publié le 3 octobre 2019,  tvn24.pl). Le mécanisme abusif utilisé par les banques peut être résumé de la manière suivante : les banques ont octroyé des prêts hypothécaires en franc suisse qui devaient être remboursés en monnaie locale, le zloty. Elles affirmaient à leurs clients que la valeur du franc suisse étant très stable, ils faisaient une bonne affaire. Or, à partir de 2010, la valeur du franc suisse a augmenté très fortement en relation avec le zloty, l'euro, la couronne croate, le forint hongrois... Un exemple concret : un ménage polonais qui a emprunté 150 000 francs suisses il y a 15 ans et a remboursé régulièrement les intérêts et une partie du capital, se retrouve à devoir encore aujourd'hui, l'équivalent en zloty de la somme initiale en francs suisses. Ce ménage, comme les autres victimes des prêts en franc suisse, est enchaîné à un mécanisme de dette perpétuelle. Onze mille procédures sont en cours devant la justice polonaise. Vu la lenteur de cette justice et la complicité du gouvernement polonais avec les banquiers, plusieurs victimes ont porté l'affaire devant la Cour de justice de l'Union européenne (1) qui vient de leur donner partiellement raison. Le jugement du 3 octobre devrait accélérer les procédures en cours en Pologne et mettre plus clairement le gouvernement polonais devant ses responsabilités. En effet, jusqu'ici, face au drame social provoqué par le comportement odieux des banquiers, il a seulement mis en place un mécanisme d'aide ciblée limité aux ménages les plus pauvres. Le gouvernement polonais utilise de l'argent public pour aider les banquiers à être remboursés par les pauvres pour des dettes hypothécaires en francs suisses. Cela permet aux banquiers de continuer à faire des profits juteux. À la place de cette politique, un gouvernement réellement au service de la population et de la justice sociale aurait dû proposer au parlement d'adopter une loi d'annulation de ces dettes illégitimes et illégales au lieu de recommander aux victimes, comme l'a fait le gouvernement en place, de faire appel individuellement à la justice. Mais jusqu'ici il s'en est bien gardé car il protège les intérêts des grandes banques privées étrangères et polonaises. Le montant total des crédits liés au franc suisse s'élève dans le portefeuille des banques en Pologne à l'équivalent de 32 milliards d'euros. Pour plusieurs d'entre-elles, ces crédits illégitimes sont supérieurs à leurs fonds propres. Cela montre notamment l'ampleur de l'arnaque à laquelle elles se sont livrées.

Les grandes banques qui ont abusé de leurs clients sont bien connues en Europe au-delà des frontières de la Pologne. Il s'agit de BNP Paribas, 1re banque française, de Commerzbank, 2e plus grande banque allemande, de Santander, la 1re banque espagnole, de BCP, une des principales banques portugaises qui a racheté à la Société Générale, 2e banque française, sa filiale polonaise appelée Eurobank (le tout s'appelant actuellement Millénium).

La sentence adoptée par la Cour de justice de l'Union européenne est une étape supplémentaire dans la saga du scandale des prêts liés au franc suisse.

En Hongrie, face au mécontentement populaire, le gouvernement populiste de droite de Viktor Orban, a annulé en 2014, pour plusieurs milliards d'euros de prêts abusifs liés au franc suisse en obligeant les banques à les convertir en monnaie locale, le forint.

En 2015, le gouvernement de Croatie a dû également alléger la dette de près de cent mille ménages endettés (sur les origines des prêts en francs suisses en Croatie lire : Pierre Gottiniaux, « Le scandale du crédit en franc suisse », publié le 23 septembre 2013,  cadtm.org)

En Slovénie, des procès sont en cours.

En Grèce, la cour suprême de justice a, en avril 2019, donné tort aux 70 000 mille victimes des prêts hypothécaires en franc suisse montrant une fois de plus qu'elle défendait l'intérêt des puissants contre le peuple (voir Ekathimerini.com, 'Loans in Swiss francs to be repaid at current rate' publié le 18 avril 2019, (
 ekathimerini.com).

En France un procès visant BNP Paribas se déroulera en novembre devant le tribunal correctionnel de Paris (voir encadré rédigé par Patrick Saurin)

BNP Paribas au banc des accusés pour « pratique commerciale trompeuse »
En France, BNP Paribas Personal Finance (BNP PPF) a commercialisé entre mars 2008 et décembre 2009 auprès de 4 655 ménages des emprunts immobiliers toxiques. Ce type d'emprunt appelé Helvet Immo, destiné pour l'essentiel à un investissement locatif, est souscrit en francs suisses mais remboursable en euros. L'envol du franc suisse sur le marché des changes face à la devise européenne a pris au piège les emprunteurs qui ont vu au fil du temps le capital restant dû de leur prêt augmenter significativement malgré le paiement de leurs échéances. Face à une banque refusant toute négociation amiable, les clients ont engagé des actions en justice.
Constitués partie civile avec le soutien des associations UFC-Que choisir, Consommation Logement Cadre de vie et Force Ouvrière consommateurs, 2 000 emprunteurs organisés en collectif ont déposé de nombreuses plaintes au pénal fin 2011 et ont fait ouvrir une information judiciaire en 2013. Le 29 août 2017, au terme d'une instruction judiciaire de trois ans et demi, les deux juges d'instruction en charge de ce dossier ont décidé une double mise en examen de BNP PPF et son renvoi en correctionnelle pour « pratique commerciale trompeuse ». Longtemps reporté, le procès va se tenir fin novembre 2019 devant le tribunal correctionnel de Paris.
À côté de la procédure au pénal, des actions ont été devant les juridictions civiles par les clients reprochant à la banque le caractère abusif de certaines clauses du contrat de prêt et un défaut d'information au moment de la mise en place de celui-ci. Le 20 février 2019, au mépris des normes imposées aux États membres en matière de clause abusive par la Cour de justice de l'Union européenne concernant les prêts en devises, la Cour de cassation a rejeté les demandes des plaignants et a exonéré les banques de leur responsabilité. Cette collusion de la haute juridiction avec la finance avait déjà été observée à l'occasion des procès engagés par des collectivités locales contre les banques leur ayant fait souscrire des emprunts toxiques dont les taux étaient indexés sur les cours de devises.
Pour plus d'informations voir Collectif des victimes du crédit Helvet Immo - Blog du collectif des victimes du prêt Helvet Immo, commercialisé entre 2008 et 2009 par BNP Paribas Personal Finance, publié le 2& mars 2019,  collectif-helvet-immo.over-blog.com. Voir aussi Le Monde, « Prêts en francs suisses : une filiale de BNP Paribas renvoyée devant le tribunal », publié le 4 septembre 2017,  lemonde.fr

La grande crise financière de 2007-2008, qui produit toujours ses effets aujourd'hui, a révélé au grand jour les pratiques délétères des banques, dont les populations payent le prix fort. Loin de servir l'économie et de financer les grands projets justes socialement et nécessaires du point de vue écologique que nécessite l'urgence de notre temps, les banques poursuivent leurs activités spéculatives au profit d'une poignée de capitalistes qui spolient les populations et les acteurs publics locaux.

Face à cette situation une solution s'impose : prendre le contrôle des banques en les socialisant à travers la mise en place d'un service public bancaire au service de l'intérêt général.

Notes

(1) La Cour de justice de l'Union européenne, anciennement Cour de justice des Communautés européennes, est l'une des sept institutions de l'Union européenne. Elle regroupe deux juridictions : la Cour de justice et le Tribunal. Le siège de l'institution et de ses différentes juridictions est à Luxembourg. Voir le site officiel :  europa.eu

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