09/10/2019 usbeketrica.com  9 min #162765

Comment survivre à une extinction de masse ?

L'humanité est-elle en train de provoquer une extinction de masse ? Devons-nous protéger toutes les espèces de l'extinction ? L'espèce humaine y survivra-t-elle ? À l'heure où  une bonne partie de la biodiversité mondiale s'effondre, l'exposition  Extinctions : la fin d'un monde ?, conçue par le Natural History Museum de Londres, apporte des éléments de réponse. Après Londres, Pékin et Porto, elle est à découvrir au Muséum d'Histoire naturelle de Toulouse du 9 octobre 2019 au 28 juin 2020.

Les scientifiques le répètent depuis des mois : nous assistons à un effondrement de la biodiversité. « Normalement, l'espérance de vie d'une espèce est de 1 à 1,5 million d'années, observe Francis Duranthon, paléontologue et directeur du Muséum d'Histoire naturelle de Toulouse. Et pour chaque million d'espèces sur la planète, il y en a une qui s'éteint chaque année. Ça c'est le rythme d'une extinction "normale". Le problème, c'est que nous constatons actuellement une corrélation entre la vitesse de disparition de nombreuses espèces et l'action de l'homme sur la planète. En 20 ans, plus de 400 espèces ont disparu, et  1 million d'espèces animales et végétales sont menacées dans les prochaines décennies. »

Cette fois, ce n'est pas le résultat d'un processus naturel qui est en cause, mais bien l'activité humaine. Et vu le rythme actuel de disparition des espèces, le qualificatif « extinction de masse » devrait bientôt être légitime scientifiquement parlant pour qualifier le phénomène. Surtout, cette extinction ne prendra que quelques centaines d'années, au lieu de centaines de milliers d'années par le passé.

L'extinction n'est pas une fin en soi

C'est sur ce constat déprimant que s'ouvre l'exposition. Heureusement, dès la deuxième salle, le visiteur comprend que l'objectif n'est pas de le ruiner en séances de psy pour se remettre d'une crise d'angoisse existentielle. Qu'on le veuille ou non, l'extinction est un phénomène inhérent à la vie sur Terre. Les espèces animales et végétales qui ont survécu aux 5 grandes extinctions de masse, et les espèces éteintes comme les dinosaures, nous ont beaucoup appris. Et les extinctions actuelles ne préfigurent pas la fin du monde, mais la fin d'un monde. Car la vie ne va pas s'éteindre totalement avec elles.

Dans un tel contexte, il n'en faut pas beaucoup pour que l'instinct de survie du visiteur s'active et le pousse à chercher des réponses à toutes les questions qui se bousculent alors inévitablement dans sa tête : comment survivre à une extinction de masse ? Que se passe-t-il après ? Combien de temps faut-il à la Terre pour « récupérer » ? Quelles espèces résisteront à l'effondrement et lesquelles évolueront sous une forme différente ? Et surtout, l'humanité survivra-t-elle à une sixième extinction de masse ?

Disparaître avant même d'exister

Première surprise : la majeure partie du vivant reste encore à découvrir. Pour qu'une espèce « existe », il faut déjà parvenir à la décrire. Et aujourd'hui, on estime entre 7 et 10 millions le nombre d'espèces vivant sur notre planète, dont seulement 2 millions seraient décrites à ce jour. Combien d'espèces vont donc disparaître avant même d'« exister » ? Le spectateur comprend alors que les scientifiques sont lancés dans une course folle pour  donner une existence à certaines espèces qui,  à peine découvertes, sont déjà menacées d'extinction.

« Le règne des dinosaures est terminé, et pourtant nous en mangeons encore chaque fois que nous consommons du poulet »

Le tour de force de l'exposition est d'anticiper les questionnements du spectateur et d'y apporter des réponses à travers un argumentaire construit et rassurant. Par exemple, c'est à partir de la découverte de fossiles que l'on sait qu'une espèce a existé, et c'est quand on ne trouve plus le moindre fossile d'elle qu'on la suppose éteinte. Mais en cas d'extinction de masse, les choses se compliquent. Les fossiles peuvent alors disparaître en un temps très court, sans pour autant signifier que l'espèce concernée est éteinte. À mesure que les espèces s'adaptent au changement, elles peuvent en effet évoluer en prenant de nouvelles formes : « Le règne des dinosaures est terminé, et pourtant nous en mangeons encore chaque fois que nous consommons du poulet, rappelle malicieusement Francis Duranthon. L'extinction des dinosaures a ouvert la voie à la diversité de la vie que nous connaissons aujourd'hui. »

Autrement dit, chaque fois qu'une espèce s'éteint, elle laisse la place libre à d'autres pour se développer. Et quand il s'agit de faire de la place, l'espèce humaine est vraiment championne. Déforestation, chasse, importation d'espèces invasives, destruction d'habitats, pollution, consommation excessive... Toutes ces activités humaines ont déjà mené à l'extinction de nombreuses espèces et fragilisé les chances de survie des autres.

Pour mettre en scène ces extinctions, des animaux naturalisés parsèment le parcours du visiteur, qui se retrouver nez à bec avec un dodo à l'œil brillant, ou face à un tigre qui semble s'approcher silencieusement. Certains oiseaux, aujourd'hui éteints, sont même présentés sur le dos, comme s'ils venaient de mourir ou avaient été ramassés dans cette position au pied de leur nid. Une question résonne alors inlassablement : comment enrayer aujourd'hui le scénario catastrophe de la sixième extinction ?

Le casse-tête de la conservation

Comme le dit  Wallace Stegner, écrivain et historien (1909-1993) : « Nous sommes la seule espèce qui, lorsqu'elle le décide, est capable d'efforts considérables pour sauver ce qu'elle pourrait détruire. » Ou pour le dire encore plus simplement : quand on veut, on peut. Sauf que l'exposition nous ramène à la réalité du terrain et nous oblige à nous poser les questions qui fâchent : la conservation peut-elle vraiment tout réparer ? La survie de certaines espèces est-elle plus importante que celle d'autres espèces ? Et que faire des virus, des maladies et des espèces susceptibles de nous nuire ou même de nous tuer ?

Comme l'humanité ne pourra pas sauver tout le monde, les visiteurs sont appelés à prendre leurs responsabilités en votant : devons-nous sauver uniquement les espèces jugées les plus « utiles » ? Prenons le cas du tigre, par exemple. Faut-il le sauver, quand on sait ce que coûte la protection de son habitat naturel et la restauration de sa population ? Certaines voix s'élèvent pour dire qu'il serait plus judicieux d'affecter cet argent à la protection d'espèces dont nous sommes plus directement dépendants ou occupant moins de place pour leur bon développement.

L'importance du temps long

Alors que faire ? Pouvons-nous délibérément faire le choix de laisser le tigre disparaître ? Dans les années à venir, un tel cas de conscience pourrait bien devenir un cas d'école. Francis Duranthon nous rappele ainsi que « le temps de la conservation n'est pas celui de la politique publique. Si vous faites pousser un arbre chez vous, vous ne vous attendez pas à avoir une forêt dans les 5 ans. On a besoin d'un temps long, qui n'est pas à l'échelle d'une vie humaine. »

Heureusement, l'exposition met aussi en avant les expériences de conservation d'espèces qui ont porté leurs fruits, comme dans le cas de l'oryx d'Arabie ou du faucon pèlerin. Mais elle nous montre l'importance des efforts à entreprendre pour qu'une telle politique soit efficace à long terme.

Au final, l'exposition Extinctions correspond parfaitement à l'ambition affichée par le Muséum de Toulouse, à savoir transmettre les études du passé pour éclairer l'avenir. En plus de présenter un incroyable bestiaire d'animaux disparus, elle délivre un argumentaire pointu et accessible qui soulève toute la complexité des processus en jeu. On le sait, le changement des comportements passe par une prise de conscience individuelle mais aussi collective. Et c'est précisément à cette dernière que cette exposition contribue en « donnant le pouvoir » aux visiteurs. D'ailleurs, en ressortant du Muséum, ces derniers retiendront d'abord ce message d'espoir : si une extinction peut parfois entraîner la « fin d'un monde », elle est aussi souvent une forme de nouveau départ.

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