Interview de Poutine : La Russie ne sera jamais amie « avec un pays contre un autre » au Moyen-Orient

Le président russe Vladimir Poutine s'est entretenu avec trois médias arabophones, dont RT Arabic, pour discuter des politiques et des liens de la Russie au Moyen-Orient et au-delà, ainsi que d'une course aux armements imminente avec les États-Unis et de l'expansion de l'OTAN.

Avant sa visite au Royaume d'Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis, Vladimir Poutine a répondu aux questions du présentateur principal d'Al Arabiya Mohammed Tomaihi, du présentateur principal de Sky News Arabia Mohannad Khatib et de Salam Musafir, chef du département des programmes publics et politiques arabes de RT.

Voici la vidéo complète et la transcription de l'entrevue. Des extraits clés sont disponibles  ici,  ici et  ici.

rt.com

Mohammed Tomaihi, Al Arabiya : Chers téléspectateurs, bienvenue à cet entretien unique avec le président russe Vladimir Poutine, que nous enregistrons à Sotchi.

Je suis accompagné aujourd'hui de M. Mohannad Khatib, journaliste à Sky News Arabia et de Salam Musafir, journaliste à RT Arabic.

Merci beaucoup pour cette occasion unique, compte tenu de votre prochaine visite en Arabie Saoudite.

« Il reste encore beaucoup à faire, mais nous avons établi un bon rythme »

Président de la Russie Vladimir Poutine : C'est un plaisir. Je pense que c'est une bonne tradition de rencontrer les médias d'un pays avant de le visiter.

Quant à la visite en Arabie Saoudite, nous y attachons une grande importance. Il s'agit, en un sens, d'une visite de retour après la visite du roi d'Arabie Saoudite, gardien des deux saintes mosquées, en Russie. C'était la première visite historique. Nous la considérons comme historique, et elle l'est vraiment.

Il y a encore une chose qu'il me semble important de souligner. À l'époque soviétique, les relations entre l'Arabie Saoudite et l'Union Soviétique étaient plutôt faibles. Ces dernières années, la qualité de nos relations a considérablement changé. Nous considérons l'Arabie Saoudite comme une nation amie.

J'ai de très bonnes relations avec le roi et le prince héritier. Nous avons fait de bons progrès dans pratiquement tous les domaines.

Je vais commencer par l'économie. Il reste encore beaucoup à faire, mais nous avons établi un bon rythme. L'an dernier, il était en hausse de 15%. Au cours des six premiers mois de 2019, la croissance a atteint 38 %. Nous envisageons de bons projets communs. Notre Fonds d'investissement direct et le Fonds d'investissement public d'Arabie Saoudite ont conjointement établi une plateforme de 10 milliards de dollars. Deux milliards de dollars ont déjà été investis. Des travaux sont en cours sur d'autres projets, et certains projets prometteurs et intéressants ont déjà été mis en œuvre.

Nous considérons également qu'il est possible d'opérer sur le territoire de l'Arabie Saoudite. L'une de nos entreprises explore la possibilité de construire une installation pétrochimique avec des investissements de plus d'un milliard de dollars. Il s'agit de SIBUR Holding, la plus grande entreprise russe dans ce secteur.

Nous encourageons un partenariat fondé sur la confiance dans le domaine sensible de la coopération militaire et de défense. Nous négocions depuis longtemps.

Tout aussi importants sont nos efforts conjoints pour résoudre les crises régionales. À cet égard, je voudrais souligner le rôle positif que l'Arabie Saoudite a joué dans la résolution de la crise syrienne. Nous travaillons particulièrement étroitement avec la Turquie et l'Iran, comme vous le savez tous. Mais je pense que sans la contribution de l'Arabie Saoudite à un règlement syrien, il aurait été impossible de parvenir à une tendance positive. Je voudrais donc exprimer notre gratitude au Roi et au Prince héritier pour cette approche constructive. Je suis convaincu que ma visite contribuera à renforcer l'élan donné tant au développement des relations bilatérales qu'au renforcement de la coopération au sein des organisations internationales.

Mohannad Khatib, Sky News Arabia : Monsieur le Président, je vous remercie encore une fois de nous avoir donné l'occasion d'enregistrer cette interview.

Votre visite au Moyen-Orient aura peut-être un impact sur les Émirats Arabes Unis également. Que pensez-vous de la coopération stratégique entre la Russie et les EAU, et comment cette coopération évoluera-t-elle ? Cette coopération peut-elle jouer un certain rôle dans le renforcement de la sécurité collective, compte tenu de l'initiative russe visant à mettre en place une architecture de sécurité collective dans la région du Golfe, en particulier dans la zone du détroit d'Ormuz ?

Vladimir Poutine : Vous venez d'évoquer le caractère stratégique de notre coopération. En effet, nous avons signé un mémorandum de partenariat stratégique l'année dernière et nous considérons les Émirats Arabes Unis comme l'un de nos partenaires très proches et prometteurs. La signature de ce document n'est pas une coïncidence, elle démontre la qualité et la nature des relations entre les Émirats Arabes Unis et la Fédération de Russie.

Je dois dire que, comme c'est le cas avec l'Arabie Saoudite, notre partenariat se développe vigoureusement dans tous les domaines. De tous les pays du Golfe, c'est avec lui que nous avons le plus haut niveau de commerce, 1,7 milliard de dollars, mais bien sûr, ce n'est pas suffisant, nous en sommes bien conscients. Nous travaillons donc actuellement avec le fonds souverain des Émirats Arabes Unis. La valeur de la plateforme commune est d'environ 7 milliards de dollars. 2 milliards de dollars ont déjà été investis, des travaux sont en cours sur d'autres projets. Et bien sûr, on peut dire sans risque de se tromper que les Émirats Arabes Unis contribuent grandement à résoudre les crises régionales et jouent un rôle stabilisateur dans la région.

Ce n'est un secret pour personne que nous entretenons des contacts réguliers avec les dirigeants des Émirats Arabes Unis. Il y a même une tradition établie, une pratique pour comparer des notes sur différents sujets. À mon avis, nous le faisons dans l'intérêt des deux parties et de la région dans son ensemble.

Mohammed ben Zayed Al Nahyane et Vladimir Poutine

« Nous ne pouvons pas laisser des terroristes s'enfuir en Syrie »

Salam Musafir, RT Arabic : Monsieur le Président, en plus de dix ans de votre présidence, des événements dramatiques et durs se sont produits au Moyen-Orient et la souveraineté de plusieurs pays, à savoir l'Irak et la Libye, a été sapé. Nous voyons que cela pourrait être le sort d'autres États également.

Nous voyons ce qui s'est passé en République Arabe Syrienne, quels événements catastrophiques y ont eu lieu. Aujourd'hui, de nombreux citoyens arabes pensent que la Russie peut réellement renforcer son rôle dans la région. Vous savez sûrement que notre réseau, RT Arabic, couvre également la politique étrangère de la Russie.

Nombre de nos téléspectateurs ont posé la question sans détour : pourquoi la Russie a-t-elle adopté une position aussi dure dans le cas de la Syrie, alors que la position concernant la Libye et l'Irak n'était peut-être pas aussi dure ?

Vladimir Poutine : Tout d'abord, pendant les crises en Irak et en Libye, je n'étais pas en fonction. Mais ce n'est pas la raison principale. Le fait est que, comme on le sait, dans le cas de l'Irak, les États-Unis ont contourné le Conseil de sécurité des Nations Unies. Les États-Unis n'avaient pas le mandat de recourir à la force contre l'Irak.

En fait, j'étais président à ce moment-là. Quoi qu'il en soit, la Russie n'a pas soutenu l'invasion. La Russie, la France et l'Allemagne n'ont pas soutenu les plans US concernant l'Irak. Qui plus est, nous avons mis en garde contre les répercussions négatives potentielles, et c'est exactement ce qui s'est produit.

L'euphorie initiale des victoires militaires a rapidement fait place au découragement et au pessimisme quant aux conséquences de la victoire. Parce que toutes les institutions gouvernementales irakiennes ont été détruites, mais aucune nouvelle institution n'a été créée, du moins au début. Au contraire, les forces radicales ont reçu un coup de pouce et les groupes terroristes se sont renforcés.

De nombreux anciens officiers de l'armée de Saddam Hussein et des agents des services de sécurité ont refait surface et ont rejoint les rangs de ce qui est ensuite devenu l'État Islamique. Ainsi, ceux qui ont mené et soutenu cette campagne n'avaient pas pris en compte les ramifications.

Nous nous attendons à ce qu'il y ait des développements positifs en Irak, et malgré certains problèmes internes, le pays continuera d'aller de l'avant. Bien qu'il y ait encore beaucoup de problèmes à régler, nous en sommes parfaitement conscients.

Quant à la Libye, le chaos provoqué par les opérations militaires prévaut toujours, mais dans ce cas-ci, nos partenaires occidentaux nous ont joué un tour, en utilisant la notion de vernaculaire (je ne sais pas comment cela va se traduire). La Russie a voté pour la résolution correspondante du Conseil de sécurité. Après tout, que dit cette résolution, si vous la lisez attentivement ? La résolution interdisait à Kadhafi d'utiliser l'aviation contre les rebelles. Mais il n'était pas question d'autoriser des frappes aériennes sur le territoire libyen. Mais c'est ce qui s'est réellement passé.

Donc, en gros, ce qui s'est passé là-bas a été fait en contournant le Conseil de sécurité de l'ONU. Et nous sommes tous conscients de ce qui s'est passé ensuite. Il y a toujours le chaos et la confusion ; un flux de migrants est passé par la Libye vers l'Europe. Kadhafi avait toujours mis en garde à ce sujet, il a déclaré qu'il empêchait les migrants africains d'aller en Europe. Dès que ce « mur » a disparu, ils ont commencé à affluer en Europe. Et maintenant, ils ont ce qu'on leur avait dit. Mais ce n'est probablement même pas le problème principal. Plus important encore, cela déstabilise l'ensemble de la région du Moyen-Orient.

Quant à la Syrie, nous sommes venus en Syrie pour soutenir le gouvernement légitime, et je voudrais souligner le mot « légitime ». Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas de problèmes internes ; je suis prêt à en parler en détail plus tard.

Cela ne veut pas dire que les dirigeants actuels ne sont pas responsables de ce qui se passe là-bas. Ils le sont, mais cela ne signifie pas que nous devions permettre aux organisations terroristes de s'emparer de la Syrie et d'y établir un pseudo-État terroriste. Nous ne pouvions pas permettre aux militants de se rendre dans les anciennes républiques soviétiques. Nous n'avons pas de frontières rigides ni de régime de visas avec eux. Nous ne pouvions pas permettre aux militants d'infiltrer la Russie à partir de là. Nous avons déjà vécu une telle expérience et nous savons à quoi cela pourrait mener.

Nous nous souvenons encore de ce qui s'est passé dans la région russe du Caucase du Nord il n'y a pas si longtemps. C'est pourquoi nous avons pris la décision d'appuyer le gouvernement légitime.

Nous n'avons pas seulement fourni de l'aide au gouvernement légitime. Nous partons du principe que les contradictions politiques internes doivent être et ne peuvent être résolues que par des méthodes politiques. C'est pourquoi nous avons été si catégoriques. Je suis heureux de voir que cela se produit maintenant dans le cadre du processus politique, à la suite de l'établissement de ce que l'on appelle la commission constitutionnelle.

Cette idée a été conçue ici même, à Sotchi, lors du Congrès de dialogue national syrien qui a réuni diverses forces politiques, dont l'opposition et le gouvernement. Les Syriens se sont mis d'accord entre eux pour créer un comité constitutionnel chargé de modifier la Constitution syrienne ou d'en rédiger une nouvelle.

Nous avons parcouru un long et difficile chemin pour former ce comité. Aujourd'hui, il a enfin été formé, au nom du gouvernement, au nom du président Assad et au nom de l'opposition. Je m'attends à ce qu'au cours des prochains jours, elle fasse ses premiers pas à Genève, sous les auspices de l'ONU.

Congrès de dialogue national syrien de Sotchi

Al Arabiya : Monsieur le Président, vous avez parlé tout à l'heure des relations entre l'Arabie Saoudite et la Russie. Comme vous le savez, c'est un partenaire stratégique de la Fédération de Russie en matière de sécurité énergétique. Vous devez être au courant des deux tirs de missiles et de bombes sur la raffinerie de pétrole, ainsi que des derniers développements.

En Arabie Saoudite, il a été question que l'Iran joue un rôle déstabilisateur dans la région.

Vous avez dit qu'il fallait trouver des preuves pour prouver que l'Iran était vraiment derrière tout cela. Quelle est la position officielle de la Fédération de Russie concernant cet incident ?

Vladimir Poutine : Notre position officielle est la suivante : nous condamnons de telles actions, point final. C'est la position officielle. Nous l'avons dit au tout début, et je l'ai récemment réitéré lors du forum de la Semaine russe de l'énergie à Moscou. Il ne devrait pas y avoir de place pour le doute. De telles actions ne donnent jamais de résultats pour qui que ce soit, y compris pour ceux qui les complotent et les exécutent. Pourquoi ? Si quelqu'un a voulu porter un coup au marché pétrolier, il a échoué. Il y a effectivement eu des fluctuations de prix, mais je ne pense pas que ce soit trop grave, même si la réaction initiale a été assez forte. Les prix sont revenus à la normale dès la première semaine, car les facteurs fondamentaux dont dépend le marché ne permettront jamais aux prix de monter en flèche ou de chuter.

Deuxièmement, nous entretenons - et moi personnellement - des contacts étroits avec les dirigeants de l'Arabie Saoudite, notamment le Prince héritier. Nous avons discuté de l'incident, et je lui ai dit que je pensais qu'il était nécessaire de recueillir des preuves pour trouver les auteurs de cet incident. Mohammed bin Salman était d'accord avec moi en principe et m'a posé une question : « La Russie pourrait-elle participer à l'enquête ? » J'ai dit oui, nous sommes prêts à partager tout ce qui pourrait être nécessaire, tout ce que nous avons pour une enquête approfondie. Notre position reste inchangée. Il est contre-productif de rejeter le blâme sur quelqu'un avant de découvrir exactement qui était derrière l'incident.

Al Arabiya : Monsieur le Président, la Russie peut-elle donner l'assurance que si l'on découvre que l'Iran a organisé l'attaque, la Russie se joindra aux autres pays pour la condamner ?

Vladimir Poutine : Je viens de le dire et je le répète, quel que soit l'auteur de l'incident, nous condamnons de telles actions. C'est exactement ce que j'ai déjà dit, et je le pensais vraiment. Il n'y a pas d'autre façon d'interpréter cela.

Sky News Arabia : Mettons de côté ces attaques contre les installations pétrolières. Je pense que vous êtes bien conscient de la tension qui s'est installée dans la région, et vous avez dû analyser cette situation vous-même. On s'inquiète du rôle de l'Iran non seulement dans ces attaques récentes, mais aussi dans ce qui se passe dans d'autres pays - au Liban, au Yémen, en Irak, en Syrie et dans certains autres.

Pensez-vous que la Russie a les mêmes préoccupations au sujet des activités de l'Iran, qui, selon nous, ont un effet déstabilisateur ? La Russie peut-elle faire quelque chose pour changer le comportement de l'Iran ?

Vladimir Poutine : Comme je l'ai dit, nous avons un niveau de partenariat sans précédent, je dirais même des relations amicales avec l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis. Mais la Russie ne sera jamais amie avec un pays contre un autre. Nous construisons des relations bilatérales qui s'appuient sur les tendances positives générées par nos contacts ; nous ne construisons pas d'alliances contre qui que ce soit. C'est mon premier point.

Deuxièmement, vous et votre auditoire comprenez, je crois, que la Russie et l'Iran sont voisins ; c'est un facteur dont nous tenons toujours compte.

Troisièmement, l'Iran est une grande puissance régionale, un pays ancien au riche héritage culturel. Si nous voulons construire de bonnes relations avec un pays - et je crois que tous les pays de la région voudraient avoir de bonnes relations les uns avec les autres, personne ne cherche l'impasse ou, si vous me permettez l'expression, tout conflit. Personne ne le fait. Je sais qu'il n'y a personne qui cherche une confrontation, et c'est vrai pour l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis. Si nous voulons établir un programme positif, nous devons reconnaître que nos partenaires ont leurs propres intérêts légitimes. Je ne fais pas de distinction entre ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas. Je tiens simplement à souligner qu'il est naturel qu'un grand pays comme l'Iran, qui existe sur son territoire depuis des milliers d'années, ait ses propres intérêts. Les Perses et les Iraniens vivent ici depuis des siècles. Et nous devrions respecter ces intérêts.

Bien sûr, on peut se demander ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas, quels intérêts sont légitimes et lesquels franchissent la ligne. Cependant, vous avez besoin d'avoir un dialogue pour vous comprendre les uns les autres, pour faire ressortir toutes les nuances, les complexités et les problèmes. Sans dialogue, vous ne pouvez résoudre aucun problème. C'est pourquoi je pense pouvoir partager les préoccupations des Émirats Arabes Unis et de l'Arabie Saoudite, mais dans le cas des questions bilatérales, c'est à eux de les résoudre.

Quant à la Russie, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour créer les conditions propices à un changement positif. La Russie entretient des relations cordiales avec l'Iran et est en très bons termes avec nos amis arabes. À l'époque soviétique, nous n'avions pas de relations particulièrement étroites avec l'Arabie Saoudite, mais nous étions vraiment proches avec presque tous les pays arabes. L'Union Soviétique était en très bons termes avec le monde arabe tout entier. Aujourd'hui, nous sommes revenus au même niveau de partenariat. Par conséquent, si nous mettons à profit les relations cordiales que nous entretenons avec l'Iran, le monde arabe, l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, je pense que nous pouvons trouver une solution qui intéresserait tout le monde.

J'ai déjà mentionné le rôle positif que nous jouons en Syrie. Il est vrai que nous - la Turquie, l'Iran et la Russie - travaillons dur, côte à côte, pour obtenir des résultats positifs. Toutefois, cela aurait été impossible sans le soutien de l'Arabie Saoudite, et nous le comprenons tous.

Et, bien sûr, sans l'aide des Émirats Arabes Unis aussi. Cela signifie qu'en dépit de contradictions aiguës, il y a encore quelque chose qui nous rapproche d'un objectif commun. Il suffit de trouver cet objectif et de déployer des efforts concertés pour l'atteindre. Cela peut créer un cadre propice à la normalisation des relations entre les pays de la région.

Mohammed bin Salman et Vladimir Poutine

« L'Iran devrait suivre l'accord nucléaire, mais il est traité injustement »

Sky News Arabia : Restons sur l'Iran. Certains disent qu'il faut reprendre les pourparlers du P5+1. De plus, l'avis général est que l'accord devrait également couvrir le programme de missiles balistiques. Quelle est la position de la Russie en ce qui concerne l'appel à relancer ce cadre et à modifier éventuellement l'accord, en l'étendant à d'autres questions ?

Vladimir Poutine : Il y a le JCPOA ou l'accord nucléaire iranien, qui précise certaines limites et certains engagements pour l'Iran, et l'Iran les a acceptés. Soyons francs, sinon la conversation sera trop ennuyeuse : les pays de la région ont des contradictions, et vous venez de les mentionner. Il y a un désaccord entre l'Iran et Israël, l'Iran et les États-Unis. Je crois qu'il faut tenter de régler ces désaccords, de trouver une solution aux situations compliquées que nous observons aujourd'hui. Cependant, si nous convenons qu'il existe des contradictions entre les puissances régionales et l'Iran, qui peut jouer le rôle d'arbitre et décider si l'Iran se conforme ou non à la JCPOA ? D'abord et avant tout, un arbitre doit être impartial, n'est-ce pas ? Deuxièmement, un arbitre doit être un professionnel. Troisièmement, il devrait être respecté par la communauté internationale. Nous avons cet arbitre, l'AIEA, l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique. Et l'AIEA a déclaré publiquement, sans aucune hésitation, que l'Iran respecte pleinement toutes ses obligations.

Ce à quoi nous assistons n'est pas très productif. Sans compter qu'il est injuste de reprocher à l'Iran de ne pas avoir respecté certains engagements. C'est contre-productif parce que lorsqu'une personne ou un pays est traité si injustement, ils commencent à agir d'une manière différente, et non comme l'exigent les accords existants. Lorsqu'une partie ne respecte pas ses obligations, pourquoi l'autre devrait-elle continuer de les respecter ?

Néanmoins, je pense que l'Iran devrait suivre les termes et l'esprit de l'accord. Mais c'est une autre question.

En ce qui concerne le programme de missiles, je suppose que la question peut et doit également faire partie du débat. En Russie, il y a un dicton, et je pense que les musulmans en comprendraient aussi le sens : « Vous devriez connaître la différence entre le don de Dieu et des oeufs frits ». Ce sont deux choses différentes. Le programme de missiles est une chose, et le programme nucléaire en est une autre. Cela ne signifie pas que le programme de missiles ne doit pas faire partie de la conversation, d'autant plus qu'il soulève certaines préoccupations. Il y a matière à discussion, mais ne mélangeons pas ici les pommes et les oranges, faute de quoi tous les progrès qui ont été accomplis pourraient être totalement perdus.

Par conséquent, je pense qu'une telle discussion peut avoir lieu, mais elle ne devrait pas annuler toutes les réalisations sur la voie du principe, à savoir le plafonnement des activités nucléaires de l'Iran.

« La coopération pétrolière entre la Russie et le Moyen-Orient contribue à maintenir les prix à un bas niveau »

RT Arabic : Je voudrais vous poser une question à ce sujet, à savoir la sécurité dans la région du Golfe. Elle a vraiment connu beaucoup de développements récemment. De nombreux incidents dramatiques se sont produits : l'immobilisation de pétroliers, un attentat à la bombe et au missile contre la raffinerie saoudienne d'Aramco, et l'agression qui se poursuit contre le Yémen. Les récentes attaques contre les installations pétrolières de Saudi Aramco ont fortement affecté le sentiment dans la région, comme nous pouvons le constater.

Selon vous, quel sera l'impact de tous ces incidents très médiatisés sur la coopération dans le cadre de l'accord OPEP+ ? Jusqu'à présent, les puissances régionales n'ont fait aucune déclaration spécifique concernant la proposition de la Russie relative à une stratégie de sécurité collective dans la région.

Comment comptez-vous promouvoir cette initiative de sécurité collective ? Pensez-vous qu'elle verra le jour ?

Vladimir Poutine : Vos questions semblent être liées, mais elles traitent toujours de questions distinctes. Notre coopération au sein de l'OPEP+ est une chose, tandis que la sécurité et la stabilité régionales et nos propositions sont différentes.

Premièrement, si quelqu'un pense que la saisie de pétroliers et l'attaque d'infrastructures pétrolières peuvent affecter la coopération entre la Russie et nos amis arabes, l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, qu'elles peuvent miner ou briser notre coopération avec l'OPEP+, alors il a profondément tort. Au contraire, nous nouerons des liens toujours plus étroits car notre objectif principal est de stabiliser les marchés mondiaux de l'énergie.

Techniquement, nous devons ramener les réserves mondiales à un niveau raisonnable, de sorte que ces réserves n'affectent pas les prix.

Nous avons fait de bons progrès et tout ce que nous avons réussi à réaliser a profité non seulement aux producteurs de pétrole, mais aussi aux consommateurs. Ni les producteurs ni les consommateurs ne veulent des prix élevés, mais nous voulons tous la stabilité sur le marché mondial. Permettez-moi d'être franc avec vous, tout ce qui a été fait sous la direction du prince héritier Mohammed bin Salman. Dans l'ensemble, il s'agissait de ses initiatives, et nous les avons appuyées. Nous voyons maintenant que nous avons fait ce qu'il fallait faire.

Nous devons répondre à toute tentative de déstabilisation du marché. La Russie continuera certainement à travailler avec l'Arabie Saoudite et d'autres partenaires et amis dans le monde arabe pour contrer toute tentative de faire des ravages sur le marché.

Passons à présent à l'initiative de la Russie visant à stabiliser la situation dans la région du Golfe. Nous avons présenté cette initiative il y a quelque temps. Nous avons proposé d'établir une sorte d'organisation qui rassemblerait les pays de la région ainsi que plusieurs autres parties prenantes, les États-Unis et l'UE, pour n'en citer que quelques-unes. Cette organisation servirait de plateforme pour discuter des crises et de toutes sortes de problèmes urgents. Certains ont déjà exprimé leur soutien ; d'autres disent qu'il est trop tôt pour lancer une telle initiative. Et la raison en est, soit dit en passant, les graves contradictions qui existent entre les puissances régionales. De mon point de vue, ces profondes contradictions appellent une telle plate-forme, afin que les pays puissent au moins s'asseoir à la table des négociations. Comme vous le savez peut-être, ce ne sont pas toujours les négociations qui comptent, mais une poignée de main. Une poignée de main peut signifier beaucoup.

Hassan Rohani et Vladimir Poutine

RT Arabic : Une question complémentaire, si vous me le permettez. Pouvons-nous compter sur les efforts de la Russie en tant que médiateur entre la République islamique d'Iran et l'Arabie Saoudite, ou à plus grande échelle, pour contribuer à apaiser les tensions dans la région du Golfe ?

Vladimir Poutine : Le rôle de médiateur n'est pas gratifiant. Je pense que nos partenaires en Iran et en Arabie Saoudite n'ont pas besoin de médiation.

Étant donné que nous entretenons des relations très amicales avec tous les pays de la région, y compris l'Iran et les États arabes, comme l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, nous pourrions certainement aider à relayer certains messages entre les parties, afin qu'elles puissent entendre la position des autres. Mais comme je connais personnellement les dirigeants de ces pays, je suis parfaitement sûr qu'ils n'ont pas besoin de conseils ou de médiation. Ce que vous pouvez faire, c'est maintenir une conversation amicale avec eux et leur présenter quelques idées du point de vue d'un ami. Je suis convaincu qu'en tant que personnes très intelligentes, elles écoutent et analysent tout ce qu'elles entendent. De ce point de vue, oui, nous pourrions jouer un rôle positif dans le processus, dans une certaine mesure.

Al Arabiya : Monsieur le Président, si vous me le permettez, j'aimerais poser une question simple. Vous venez de dire que toutes les allégations contre l'Iran au sujet de ces frappes sont prématurées. Vous avez récemment rencontré le président Rouhani. Vous a-t-il assuré d'une façon ou d'une autre que l'Iran n'avait rien à voir avec ces frappes et qu'il n'y était pour rien dans tout cela ?

Vladimir Poutine : Oui, c'est exactement ce qu'il a dit. Il a dit que l'Iran n'avait rien à voir avec cela. Nous nous sommes rencontrés « en marge » d'un sommet international. C'était le sommet de l'Union Économique Eurasienne, une organisation que nous avons créée avec un certain nombre d'anciens États soviétiques. Il y a quelques mois, l'Union Économique Eurasienne et l'Iran ont signé un accord intérimaire sur une zone de libre-échange. Nous avons un accord de zone de libre-échange avec Singapour et le Vietnam, et nous travaillons également à un accord avec Israël et l'Égypte. L'Union Économique Eurasienne a coopéré avec succès avec de nombreux États du monde entier. L'Iran est sur le point de se joindre à ce processus, et nous avons discuté de ces perspectives tout récemment, en marge du sommet d'Erevan, en Arménie.

Al Arabiya : Une dernière question, si vous me le permettez, M. le Président.

La Russie joue certainement un rôle dans la région du Golfe, et vos services de renseignement ont une énorme capacité. Il est difficile de croire que la Russie ne sait pas ce qui est réellement arrivé à ces installations pétrolières. Est-ce possible ?

Vladimir Poutine : Croyez-le ou non, nous ne savons pas. J'ai demandé le lendemain aux chefs du Service du renseignement extérieur et au ministère de la Défense. Nous ne le savons pas. Je m'abstiendrai de faire d'autres commentaires sur la question de savoir qui devrait savoir pour ne blesser personne, mais je peux dire que nous n'avons pas d'informations définitives concernant cet incident.

« Seuls les Syriens peuvent décider de leur avenir ; j'espère que ce ne sera pas en prenant les armes »

Sky News Arabia : Pouvons-nous parler de la Syrie maintenant, M. le Président ?

Vous avez récemment annoncé la suspension des opérations de combat à grande échelle en Syrie, et tout le monde espère à présent que le règlement politique fonctionnera. Vous en avez parlé au Forum de Valdai, ici en Russie. Vous avez dit que la Syrie pourrait devenir un bon exemple de la manière dont de tels conflits doivent être abordés et réglés.

Pensez-vous que l'on puisse parler d'un règlement politique alors que les forces d'autres pays sont encore déployées en Syrie ? Je veux dire les États-Unis, la Russie, la Turquie et l'Iran ? Existe-t-il un espoir de stabilité en Syrie au milieu de ces facteurs déstabilisants ?

Vladimir Poutine : Il y a toujours de l'espoir. N'y renoncez jamais. Je ne peux qu'être d'accord avec vous pour dire que toutes les forces déployées illégitimement à l'intérieur d'un État souverain - en l'occurrence la Syrie - doivent partir. C'est vrai pour tout le monde. Si le nouveau gouvernement légitime de la Syrie choisit de dire qu'il n'a plus besoin de la présence militaire de la Russie, ce sera tout aussi vrai pour la Russie. À l'heure actuelle, nous en discutons ouvertement avec tous nos partenaires, y compris l'Iran et la Turquie. Nous en avons souvent parlé avec nos partenaires étasuniens. Et je serai aussi ouvert avec vous que je l'ai été avec mes homologues : La Syrie doit être libérée de la présence militaire d'autres États. Et l'intégrité territoriale de la République Arabe Srienne doit être complètement rétablie.

Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan et Hassan Rohani

Sky News Arabia : Avez-vous une vision pour l'avenir politique de la Syrie ? Et quel rôle y joue la Russie ?

Vladimir Poutine : C'est une question difficile à laquelle seuls les Syriens peuvent répondre. J'espère qu'ils ne le feront pas en prenant les armes et en menant une guerre contre leur propre peuple, mais par des négociations, en l'occurrence, comme je l'ai dit, à Genève. La toute première étape sur cette voie consiste à travailler sur la Constitution du pays, que ce soit en modifiant la Constitution existante ou en en rédigeant une nouvelle. Dans les deux cas, elle doit protéger les intérêts de tous les groupes ethniques et religieux. Les gens doivent savoir qu'ils vivent dans leur propre pays et que la loi les protège. Cela doit être vrai aussi bien pour les sunnites que pour les chiites, les alaouites et les chrétiens, car la Syrie a toujours été un État à religions multiples, et elle peut en être fière. Seul un peuple fou aurait pu lancer une campagne folle de purge, tuant d'autres personnes, comme ces terroristes l'ont fait en Syrie.

Encore une fois, ce ne sera pas facile ; ce sera un processus difficile, mais je crois que cela peut fonctionner. Savez-vous pourquoi je suis optimiste ? Les gens rentrent chez eux. Nous parlons de milliers de personnes. Ils reviennent de l'étranger et d'autres provinces syriennes. Ils rentrent à la maison. C'est un signe certain de la confiance qu'ils ont dans la situation que nous connaissons aujourd'hui ; ils font confiance au gouvernement et à ses garanties, et ils font confiance aux États garants.

Je suis heureux de dire que les Syriens accueillent avec confiance les troupes russes et la police militaire russe. Les unités de police militaire qui y sont déployées font du bon travail. Il s'agit pour la plupart de musulmans du Caucase du Nord. Et les résidents locaux leur font confiance et n'hésite pas à leur demander de l'aide et une protection. J'ai des rapports sur de tels cas. Je suis heureux de dire tout cela, mais pour avoir une paix à long terme, les gens doivent trouver un moyen de régler les choses entre eux. La pire paix est toujours meilleure que la meilleure des guerres.

« La politique intérieure étasunienne empêche le président US d'améliorer ses relations avec la Russie »

RT Arabic : Quittons pour l'instant le Moyen-Orient et la région du Golfe.

Vous dites toujours que les relations russo-étasuniennes doivent s'améliorer, car sinon, s'il y a une « faute » dans ces relations, cela pourrait changer la situation pour le pire au niveau mondial.

Aujourd'hui, lorsque vous regardez l'Administration de Trump, lorsque vous lisez les tweets de Donald Trump, voyez-vous l'espoir de voir des mesures pour améliorer les relations entre les deux pays ? Vous suivez sûrement les déclarations du président US, n'est-ce pas ?

Vladimir Poutine : Je dois dire que je n'ai pas de compte Twitter, donc je ne suis personne là-bas. Bien sûr, je reçois de temps en temps des rapports de mon personnel. L'opinion du président des États-Unis importe toujours ; elle est toujours très importante pour de nombreux partis et pour le monde en général, mais je ne le suis pas personnellement.

Donald Trump et Vladimir Poutine

RT Arabic : Supposons que le président Trump soit réélu l'année prochaine. Pensez-vous qu'il pourrait être le président le plus prometteur, qu'il pourrait avoir plus de courage pour désamorcer la tension entre Washington et Moscou ? Et la Russie sera-t-elle prête à reprendre le dialogue ?

Vladimir Poutine : Vous travaillez pour Russia Today, n'est-ce pas ? Eh bien, c'est à cause de gens comme vous que la Russie sera accusée de s'ingérer dans les élections, parce que vous venez de dire que Trump pourrait être réélu. Ils diront : « Je vous ai eu ! C'est la Russie qui interfère avec la campagne électorale ».

Blague à part, nous savons tous ce que le président Trump dit des relations russo-étasuniennes et comment il en parle. On sait qu'au cours de sa campagne précédente, il avait demandé que les relations redeviennent normales, mais malheureusement, rien n'a été fait. Mais nous n'en voulons à personne parce que nous pouvons tous voir ce qui se passe sur la scène politique intérieure étasunienne de nos jours. L'agenda politique interne empêche le président sortant de s'engager dans une amélioration radicale des relations entre nos pays.

Dans tous les cas, nous travaillerons avec n'importe quelle administration dans la mesure où elle est disposée à travailler avec nous. Toutefois, nous ne pouvons nous empêcher de nous inquiéter de la sécurité mondiale et de l'équilibre stratégique général. C'est une évidence.

En 2002 (et le président Trump n'y est pour rien), les États-Unis se sont retirés du traité ABM qui, je le répète, était la pierre angulaire de l'ensemble du système de sécurité stratégique mondial, car il imposait des limites aux systèmes de défense antimissile de nos pays. Vous voyez le but ? Il s'agissait d'indiquer clairement qu'aucune des deux parties ne pourra jamais gagner une guerre nucléaire, si elle devait se produire. C'était le but recherché. Les États-Unis se sont retirés du traité afin de s'assurer un sérieux avantage stratégique, pensant qu'ils pourraient se protéger d'une menace, contrairement à la Russie. Cela aurait laisser la Russie dans une position très vulnérable, tandis que les États-Unis auraient été protégés par un système ABM.

À l'époque, j'ai dit à nos partenaires étasuniens qu'il n'y avait aucun moyen de savoir dans quelle mesure un tel système fonctionnerait bien et que nous ne gaspillerions donc pas des dizaines de milliards à cet effet. Mais l'équilibre stratégique doit être maintenu, ce qui signifie que nous développerons des armes offensives qui vaincront tout système ABM. Et nous les avons développés, et tout le monde le sait maintenant. Les systèmes ABM sont conçus pour intercepter les missiles balistiques, c'est-à-dire les missiles qui suivent une trajectoire balistique, alors que ce que nous avons fait, c'est que nous avons considérablement amélioré les missiles balistiques et développé une nouvelle arme qui n'a aucun rival dans le monde. Nous avons des missiles hypersoniques qui suivent une trajectoire basse plutôt qu'une trajectoire balistique. Personne n'a de missiles hypersoniques aujourd'hui, sauf nous. Bien sûr, les grandes puissances mondiales les développeront un jour, tôt ou tard. Mais nous serons en mesure de trouver quelque chose de nouveau d'ici là. Je sais sur quels projets nos scientifiques, chercheurs, concepteurs et ingénieurs travaillent en ce moment.

Malheureusement, cela a conduit à une sorte de course aux armements. Mais c'est ce qui s'est passé. C'est un fait. Malheureusement, c'est vrai.

Récemment, les États-Unis se sont également retirés du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI). Je pense que c'était aussi une erreur et qu'ils auraient pu prendre un autre chemin. Je comprends les préoccupations des États-Unis. Alors que d'autres pays sont libres d'améliorer leurs défenses, la Russie et les États-Unis ont lié leurs propres mains avec ce traité. Cependant, je crois toujours que cela ne valait pas la peine de ruiner l'accord ; je crois qu'il y avait d'autres moyens de sortir de cette situation.

Le nouveau traité START est en fait le seul traité dont nous disposons pour nous empêcher de retomber dans une véritable course aux armements. Elle sert à réduire et à limiter encore davantage les armements stratégiques offensifs, c'est-à-dire à limiter toute la gamme des armes stratégiques, toute la triade stratégique : les lanceurs de missiles balistiques intercontinentaux de combat terrestre, maritime et aérien. Ce traité expire en 2021. Pour s'assurer qu'il soit prolongé, nous devons y travailler dès maintenant. Nous avons déjà soumis nos propositions ; elles sont sur la table de l'administration US. Il n'y a pas eu de réponse jusqu'à présent. Nous croyons comprendre qu'ils n'ont pas encore décidé s'ils doivent ou non proroger le traité. Mais si ce traité n'est pas étendu, le monde n'aura aucun moyen de limiter le nombre d'armes offensives, et c'est une mauvaise nouvelle. La situation va changer à l'échelle mondiale. Elle deviendra plus précaire et le monde sera moins sûr et moins prévisible qu'aujourd'hui.

« J'espère qu'il n'y aura pas de nouvelle guerre froide, mais si c'est le cas, la Russie sera la moins touchée »

Al Arabiya : Revenons au désarmement. Monsieur le Président, pensez-vous qu'une nouvelle course aux armements pourrait nous replonger dans une nouvelle guerre froide ?

Vladimir Poutine : J'aimerais que cela n'arrive pas. Quoi qu'il en soit, la Russie sera la partie la moins touchée parce que, comme je l'ai dit, nous disposons déjà de la prochaine génération d'armes, et celles-ci sont sans précédent, avec des capacités sans égal. En ce sens, nous avons fait nos devoirs. Nous n'avons pas besoin de nous presser maintenant et nous pouvons penser calmement à ce qui pourrait être fait ensuite.

Les dépenses militaires jouent également un rôle à cet égard. Cela peut vous surprendre ou non, mais la Russie occupe le septième rang en termes de dépenses de défense. L'Arabie Saoudite est troisième. Les dépenses militaires US s'élèvent à 716 milliards, si je ne m'abuse, et l'année prochaine, elles s'élèveront à 750 milliards. Vient ensuite la Chine avec environ 177 milliards, suivie de l'Arabie Saoudite, avec 59 milliards, n'est-ce pas ? Suivent le Royaume-Uni, la France, le Japon, avec 48,1 milliards, d'après les données dont je dispose, et la Russie n'arrive qu'au septième rang avec 48 milliards. Cependant, nous avons des capacités militaires inégalées.

Qu'est-ce qui a rendu cela possible ? C'est le résultat d'une recherche ciblée sur des domaines prioritaires, et le mérite en revient à nos spécialistes, leur capacité à identifier ces domaines, à mobiliser des ressources. Elle a été rendue possible grâce aux institutions de recherche, au savoir-faire productif, aux connaissances et aux compétences fondamentales.

Par conséquent, une course aux armements est une mauvaise chose, et elle ne sera pas bonne pour le monde. Cependant, nous ne serons pas entraînés dans des dépenses budgétaires exorbitantes.

Al Arabiya : Malgré cela, l'OTAN continue d'aller de l'avant. Pensez-vous que la marche de l'alliance vers les frontières de la Russie constitue une menace ? Comment allez-vous y répondre ?

Vladimir Poutine : Nous le ressentons, certainement. Nous l'avons toujours ressenti et exprimé nos préoccupations. On nous a dit : « N'ayez pas peur. Vous n'êtes pas la cible et il n'y a rien à craindre. L'OTAN change, elle n'est plus un bloc militaire, elle n'a pas d'intentions belliqueuses », etc. En attendant, le Traité de l'Atlantique Nord reste en place, en particulier l'article 5, si je ne me trompe pas, qui garantit un soutien militaire aux autres membres, etc. C'est un bloc militaire. Comme son infrastructure se rapproche de nos frontières, nous n'en sommes pas heureux.

Il y a autre chose. Je pense qu'il est clair pour tout le monde que l'OTAN n'est qu'un outil de la politique étrangère US. L'Europe en est consciente. Prenez le président français. Je n'ai pas besoin d'inventer quoi que ce soit. Une autre chose, c'est qu'une fois que les pays adhèrent à l'OTAN, ils n'ont plus leur mot à dire sur les armes qui sont installées sur leur territoire. Ce fut le cas en Roumanie avec la défense antimissile. La Pologne l'aura bientôt aussi. Ce sera vraiment près de notre frontière. C'est certainement une menace pour nous. Nous y voyons une tentative de neutralisation de nos capacités nucléaires stratégiques. Cependant, il est clair que leurs efforts sont voués à l'échec. Je crois que les experts le voient maintenant aussi.

Maintenant que nous disposons des systèmes de pointe dont j'ai parlé plus tôt, ces mesures ne sont plus une menace pour nous. Je ne veux pas dire ce que nous en pensons vraiment. Pourtant, il n'y a rien de positif là-dedans. Donc, oui, nous considérons qu'il s'agit d'activités destructrices qui exacerbent les tensions. Il n'y a rien de bon là-dedans.

« Nous soutiendrons tout accord qui apporte la paix israélo-palestinienne, mais nous devons d'abord savoir ce qu'il y a dedans »

Sky News Arabia : M. le Président, une autre question qui était sous les feux de la rampe. Je fais référence à l'accord israélo-palestinien. Comme l'Union Soviétique, la Russie a joué un rôle important dans le règlement de cette question. Prenons l'exemple de la conférence de Madrid. Toutefois, ces dernières années, la Russie n'a pas été très active dans ce domaine, alors que les États-Unis s'emploient à proclamer un soi-disant accord du siècle. En attendant, le gouvernement israélien poursuit sa politique arbitraire et autoritaire. Quel est le rôle de la Russie dans le règlement des questions qui sont si fondamentales pour le Moyen-Orient ?

Vladimir Poutine : Cela ne dépend pas de nous ni de nos actions. C'est à tous les intervenants de décider s'ils veulent voir quelqu'un dans le processus ou non.

Soit dit en passant, nous entretenons également de très bonnes relations avec Israël. Près de 1,5 million d'Israéliens viennent de l'ex-Union Soviétique. Israël est presque un pays russophone. La langue russe est souvent entendue dans les magasins du monde entier. Nous nous préoccupons de ce qui se passe en Israël. Toutefois, nous avons une position de principe sur le règlement israélo-palestinien : nous sommes pleinement attachés à toutes les décisions de l'ONU et pensons qu'elles doivent être exécutées.

Passons maintenant à « l'accord du siècle ». Nous appuierons tout accord qui apportera la paix, mais nous devons savoir de quoi il s'agit. Les États-Unis sont restés assez vagues sur les détails de l'accord. Washington a tenu dans l'ignorance l'opinion publique mondiale et nationale, le Moyen-Orient et la Palestine.

Nous pensons qu'il est important d'assurer une solution à deux États et de créer l'État de Palestine. Nous avons suggéré d'organiser des pourparlers directs à Moscou entre le Premier ministre israélien et le chef de l'Autorité palestinienne, mais la réunion n'a malheureusement jamais eu lieu. Nous avons fait ce que nous avons pu : nous avons organisé plusieurs réunions entre différents groupes palestiniens. Le rétablissement de l'unité palestinienne serait une contribution majeure au processus. Parler avec des voix différentes sape la position unie des Palestiniens. Mais nous y travaillons.

Cela ne veut pas dire que nous avons complètement abandonné le processus et que nous ne nous y intéressons plus. Nous sommes profondément engagés principalement parce que nous pensons que le conflit israélo-palestinien est essentiel pour résoudre de nombreuses autres questions régionales. Si elle n'est pas résolue, elle continuera à alimenter le radicalisme et le terrorisme, entre autres choses. Quand les gens sentent qu'ils n'ont aucun moyen légal de faire respecter leurs droits, ils prennent les armes. En ce sens, je pense que les Israéliens sont également intéressés par une solution à long terme et définitive, pas seulement les Palestiniens.

Vladimir Poutine et Benjamin Netanyahou

« Cela ne dépend pas du nom du président russe, mais de l'intérêt national »

Al Arabiya : (EN) Monsieur le Président, nous manquons de temps. Nous ne voulons pas voler du temps à nos collègues.

Vous avez fait des commentaires assez positifs au sujet du prince héritier saoudien Muhammed bin Salman. Vous semblez avoir des liens étroits et bons avec lui. Comptez-vous sur le rôle positif qu'il peut jouer dans la promotion des relations russo-saoudiennes et de l'agenda pour le Moyen-Orient en général ?

Vladimir Poutine : C'est exactement son rôle aujourd'hui, et il a eu beaucoup de succès. En effet, nous avons de très bons liens personnels. Il a été à l'origine d'un grand nombre de nos initiatives, et ces projets sont en train d'être mis en pratique. Comme je l'ai dit, il a proposé l'OPEP+, il a approuvé les plates-formes communes de nos fonds d'investissement. Deux milliards d'euros d'investissements ont été réalisés à ce jour. Il a évoqué la nécessité d'une coopération plus large en matière de défense, et nous avons un bon plan d'activités conjointes dans ce domaine. C'est déjà en train de se produire. Nous espérons que notre collaboration continuera de s'étendre à l'avenir.

Quant au rôle de l'Arabie saoudite dans la région, elle est sans aucun doute l'un des pays clés de la région. Son impact dépend de ses capacités et de sa position sur le marché de l'énergie. L'Arabie Saoudite peut être considérée sans risque comme un acteur mondial puisqu'elle a un impact sur le marché mondial de l'énergie, sur l'énergie mondiale en général.

C'est pourquoi la coopération avec l'Arabie Saoudite, son roi et son prince héritier bin Salman est très importante, et nous allons développer nos relations à l'avenir.

RT Arabic : Avant de venir ici, nous avons fait un sondage sur le site de RT Arabic. Nous avons posé une question simple : « Si vous aviez la chance de rencontrer le président russe, que lui demanderiez-vous ? » Cela a suscité beaucoup d'intérêt et nous avons choisi les questions les plus populaires. Je ne les énumérerai pas tous, mais l'une des plus grandes préoccupations de notre auditoire arabe est l'avenir des liens russo-arabes lorsque vous ne serez plus le président de la Russie. Quelle sera la position de votre successeur sur cette question ?

Vladimir Poutine : Il ne s'agit pas du nom du président russe, mais de nos intérêts nationaux. Il est dans l'intérêt de la Russie et des autres nations de la Fédération de Russie d'entretenir des relations avec le monde arabe. Elle a toujours séduit la Russie par son énigme, sa culture, ses possibilités et son potentiel. Je ne doute pas que la Russie est prête à accélérer le rythme de son interaction avec le monde arabe dans les années à venir.

RT Arabic : Merci.

Sky News Arabia : Je vais essayer d'être bref. Le monde arabe suit l'évolution récente, tant en Russie que dans le monde arabe, dans le cadre de ce que l'on a appelé le printemps arabe. La situation évolue rapidement au Soudan et en Algérie ; la Tunisie vient de tenir des élections. Voyez-vous des signaux positifs ? Pensez-vous que la région entre dans une nouvelle phase qui aboutira à un Moyen-Orient stable ?

Vladimir Poutine : Il est clair que la région n'est pas dans un état de stabilité. Nous le comprenons tous ; nous pouvons le voir de nos propres yeux. Mais tout passe. J'espère que ce sera fini un jour. Cela ne s'améliorera pas rapidement tout seul, si vous laissez les choses telles qu'elles sont, sans essayer d'améliorer la situation. La Russie fera tout ce qui est en son pouvoir pour que les choses redeviennent normales et le plus rapidement possible.

Nous ne pensons pas que vous puissiez et deviez gérer la situation « d'en haut ». Comme je l'ai dit, nous avons beaucoup d'amis dans le monde arabe. Il est temps de réintégrer la Syrie dans la famille arabe, de la réintégrer dans la Ligue arabe. Nous allons travailler dur pour la ramener à la normale et pour aider nos amis. Toutefois, le rythme des améliorations dépendra en fin de compte des personnes responsables de la situation dans leur pays. Je suis convaincu que la stabilisation est inévitable et je souhaite qu'elle se produise le plus rapidement possible.

Remarque : Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour cet entretien productif.

source :  FULL INTERVIEW: Russia will never be friends 'with one country against another' in the Middle East - Putin

traduction  Réseau International

 reseauinternational.net

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