19/10/2019 reporterre.net  10 min #163172

Pour 2020, un budget d'un vert bien pâle

Le gouvernement annonce pour 2020 une hausse des budgets dédiés à la transition écologique. Mais l'analyse du projet de loi de finances, actuellement en discussion à l'Assemblée, montre que les mesures restent timides.

Le budget de la France en 2020 sera-t-il plus vert que les précédents ? Alors que le projet de loi de finances pour l'an prochain est en ce moment devant les députés, de nombreux points débattus portent sur les questions écologiques. « Ce budget s'inscrit dans la priorité donnée par le président de la République à la transition écologique », déclarait Élisabeth Borne devant les députés de la commission développement durable le 9 octobre dernier. Une affirmation que la ministre de la Transition écologique défendait chiffres à l'appui : 830 millions d'euros de plus sont annoncés pour son ministère l'an prochain, soit 2,6 % d'augmentation de son budget.

Le ministère met en avant les 6,5 milliards d'euros prévus pour soutenir les énergies renouvelables, 800 millions pour le chèque énergie qui aide les ménages les plus modestes à payer leurs factures ou encore 800 autres millions d'euros dédiés à convaincre les Français de passer de leurs vieilles voitures à des véhicules moins polluants. Autre innovation, la mise en place d'un green budgeting comprenez « budgétisation verte » via une recension des dépenses de l'État favorables ou néfastes à l'environnement. Un premier rapport a été rendu fin septembre sur le budget 2019. Pourtant, le budget 2020 « ne permet pas d'atteindre les objectifs de réduction de gaz à effet de serre », déplore le député radical de la Meuse Bertrand Pancher.

Première critique générale, l'augmentation du budget du ministère de la Transition écologique est un « trompe l'œil », relève-t-il. Elle ne serait liée qu'à des astuces budgétaires. Bertrand Pancher signale la première d'entre elles, liée au fait que les aides destinées à rendre les logements plus économes en énergie vont évoluer. « Deux dispositifs vont se juxtaposer l'an prochain, sur les travaux effectués en 2019 et en 2020 », explique-t-il. Il évalue à 400 millions d'euros la somme ainsi reportée sur 2020, alors qu'elle concerne 2019.

Un autre tour de passe-passe a été débusqué par le député France insoumise Éric Coquerel : « 400 millions d'euros sont pour la reprise de la dette de la SNCF, donc cela gonfle artificiellement le budget », souligne-t-il. 400 millions fois deux, on atteint presque les 830 millions d'euros d'augmentation annoncés.

« Par ailleurs, les moyens humains sont en baisse », poursuit-il. Le projet de loi de finances annonce ainsi la suppression de 1.073 temps pleins pour l'an prochain au ministère de la Transition écologique et chez ses opérateurs (parmi eux, le Muséum national d'histoire naturelle, Météo France, l'Agence française pour la biodiversité ou encore le Conservatoire du littoral).

Dans les transports, une réduction timide des exonérations de taxes sur les carburants

Les avions, eux, ne payeront pas plus cher leur kérosène mais l'annonce d'une taxe sur les billets, faite en juillet dernier par Élisabeth Borne, est confirmée.

« Pour nous, c'est un budget très vert clair », explique, du côté des associations, Anne Lassman-Trappier, référente mobilité chez France Nature Environnement. Un gros morceau concerne le secteur des transports. Le rapport sur la « budgétisation verte » indique que dans les 25 milliards d'euros de dépenses repérées comme « au moins une fois défavorable » à l'environnement, près de la moitié (12 milliards) sont liés aux exonération ou taux réduit de taxe sur les carburants (TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques). Entre autres, le kérosène des avions n'est pas taxé, les camions de marchandises sont remboursés d'une partie des taxes sur le gazole.

Le budget 2020 ne devrait en grignoter que quelques miettes. Les transporteurs routiers seront remboursés de deux centimes de moins par litre de gazole, soit en tout 140 millions d'euros qui seront réinvestis dans les infrastructures de transport. « Ce ne sont que 140 millions sur 1,1 milliard d'euros, 2 centimes sur 16 centimes par litre d'exonérations, calcule Anne Lassman-Trappier. C'est une toute petite remise en cause, mais qui va dans la bonne direction. Ce qui nous inquiète, c'est que rien n'est prévu pour poursuivre les années suivantes. »

Les taux réduits de TICPE sur le « gazole non routier », c'est-à-dire le carburant utilisé par les engins de chantier, agricoles, etc., vont être supprimés progressivement, en trois ans. « Mais il y a beaucoup d'exceptions », souligne Meike Fink, responsable de la transition climatique juste au Réseau Action Climat (RAC). Notamment l'agriculture, qui représente 42 % des réductions, selon le rapport sur la « budgétisation verte ».

« Il faudrait supprimer toutes ces exonérations fiscales sur les carburants, avec un accompagnement des entreprises et une trajectoire claire », estime Anne Lassman-Trappier. Le ministre de l'économie Bruno Le Maire s'est engagé à travailler sur le sujet lors des discussions sur le texte : « Conserver des niches fiscales pour la consommation d'énergies fossiles ne serait pas cohérent avec la politique de transition énergétique que nous menons », a-t-il déclaré.

Les avions, eux, ne payeront pas plus cher leur kérosène mais l'annonce d'une taxe sur les billets, faite en juillet dernier par Élisabeth Borne, est confirmée. Elle irait de 1,50 à 18 euros selon la destination. « Elle est tellement faible qu'elle ne va pas changer la donne », regrette Meike Fink. Élisabeth Borne, elle,  se félicite que cette taxe rapporte 180 millions d'euros, « qui iront intégralement au financement des transports propres du quotidien ».

Toujours côté transports, les aides au retrait des voitures polluantes et à l'achat de voitures plus propres et en particulier électriques sont renforcées, avec 800 millions d'euros prévus. Mais l'amendement proposé par le député Mathieu Orphelin, ex-La République en marche (LREM), qui proposait d'ajouter un malus pour les véhicules les plus lourds, et donc décourager l'achat de SUV, a été rejeté.

Une « logique de désinvestissement de la rénovation énergétique »

Des travaux d'isolation par l'extérieur.

Autre gros pollueur, le bâtiment. La « rénovation énergétique », pour réduire la consommation en énergie des logements, est la principale politique dans le domaine. Les travaux sont partiellement remboursés via des crédits d'impôt. Mais le budget est désormais de « 800 millions d'euros, contre 1,7 milliard il y a 2 ans », relève Meike Fink.

Le gouvernement a annoncé transformer le crédit d'impôt (où il faut avancer l'argent) en prime (qui est donc donnée au moment où les dépenses sont faites), pour favoriser les ménages modestes qui ne peuvent se permettre d'avancer l'argent. « Sur le principe, la transformation en prime est plutôt bienvenue, dit Jean-Baptise Lebrun, directeur du Cler (réseau pour la transition énergétique). Mais nous avons calculé que, dans plusieurs cas, les primes ne seront pas plus intéressantes pour les ménages modestes. Le risque est que cette nouvelle prime ne soit pas consommée. Cette logique de désinvestissement de la rénovation énergétique est politiquement scandaleuse ! »

Le gouvernement prévoyait aussi que les 20 % de ménages les plus riches n'aient plus accès à ces aides. Finalement, il a introduit un amendement in extremis, rétablissant les aides pour les ménages les plus riches... Mais seulement pour l'isolation des « parois opaques », c'est à dire murs, planchers et toit. Par ailleurs, une aide de 150 € par mètre carré, pour les classes moyennes, est introduite, à condition de faire une rénovation très performante du logement.

Le chèque énergie, qui permet aux ménages modestes de payer les factures ou certaines rénovations, est lui confirmé. Élisabeth Borne évoque même une « montée en puissance », de plus en plus de ménages en bénéficiant.

Autre mesure dans le domaine de l'énergie, le gouvernement se félicite de supprimer les garanties de l'État à l'exportation pour les « opérations ayant pour objet la recherche, l'extraction et la production de charbon ». Mais cela ne concerne que le charbon, pas les énergies fossiles dans leur ensemble, regrette le RAC. Par ailleurs, c'est « un engagement déjà mis en œuvre depuis 2016 », écrit l'association  dans un communiqué.

Enfin, quelques sujets n'ont pas retenu l'attention du gouvernement, malgré les efforts de certains députés et des associations environnementales pour les porter :

  • La France insoumise a déposé plusieurs amendements visant à taxer les entreprises les plus polluantes, par exemple celles produisant du plastique, ainsi que certains produits néfastes pour l'environnement tels que les pesticides.|

  • Le Réseau Action Climat aurait souhaité une taxation relevée des engrais chimiques de synthèse utilisés en agriculture, car ils « constituent une cause majeure du dérèglement climatique ».|

  • Bertrand Pancher et Matthieu Orphelin vont défendre des amendements visant à lutter contre le bétonnage croissant des terres. Ils proposent de diminuer les taxes pesant sur les terrains non bâtis, agricoles et naturels, afin d'encourager les propriétaires à les préserver plutôt que de les bâtir. Ils engagent également à mettre en place un malus sur les surfaces commerciales hors ville, et sur les entrepôts logistiques notamment de la vente à distance, tout en instituant en parallèle un bonus pour les commerces de centre-ville. Ils seront sans aucun doute rejetés, selon M. Pancher.|

« On reste prisonnier des logiques de l'ancien monde », regrette le député. Les discussions à l'Assemblée nationale sur la première partie (celle des recettes) du projet de loi de finances 2020 sont programmées jusqu'à mardi prochain 22 octobre, puis suivront celles sur la partie dépenses, programmées pour l'instant jusqu'au 8 novembre.

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