13/11/2019 histoireetsociete.wordpress.com  9 min #164322

Comment la Guerre Hybride contre la Bolivie a réussi à opérer un changement de régime

Il est difficile de réellement comprendre ce qui se passe en Bolivie et pourtant nous avons des leçons à en tirer.

Il n'y a bien sûr aucune difficulté à voir qu'il s'agit d'un coup d'Etat d'une brutalité inouïe. Il est géré sans doute par les Etats-Unis puisqu'on sait le rôle de son ambassade et de certains sénateurs très impliqués dans la lutte anti-cubaine. Les « golpistes » s'appuient sur une oligarchie à qui les nationalisations ont enlevé une part des richesses, ce sont des brutes racistes et hystériquement religieuses, flanquées d'un lumpen prolétariat, une meute sans foi ni loi.

La police et l'armée les ont rejoints, mais à partir de là, nous sommes devant un vide institutionnel et un chaos dangereux pour la population.

Quand cela est dit et cela doit être dit, il reste encore pas mal de choses à comprendre en matière de stratégie face à la violence...

Quand il y avait eu le coup d'Etat contre Chavez en 2002 organisé là encore par l'ambassade des Etats-Unis flanquée de celle d'Espagne, plus là encore l'oligarchie et les cadres pétroliers, Fidel était à la manœuvre. Il avait conseillé à Chavez de ne pas risquer sa vie, de ne pas résister tandis que lui appelait une réaction mondiale, ce qui fut fait avec l'efficacité qu'on lui connaît. Le peuple vénézuélien, qui pour une part ressemble à celui de Bolivie, mais pour une part seulement, opérait la même entrée en lice. Que les auteurs du coup d'Etat n'aient pas tué Chavez était un miracle mais aussi une erreur de leur point de vue. Fidel les avait pris de vitesse, il a raconté tout cela dans la partie des mémoires de Ignace Ramonet qu'il a réécrites et qui concernent justement ce coup d'Etat. Il y tenait en matière d'enseignement. Celui-ci a servi à Morales et aux siens.

Mais il y a aussi des différences, Chavez était comme le peuple vénézuélien doublement métissé, d'indien, d'espagnol et de caribéen africain.

Ici ce monde est celui de l'indien et pas n'importe lequel, un monde chamanique plus ancien que l'Inca.

Sans vouloir donner dans une anthropologie dont j'ignore l'essentiel puisque je ne maîtrise pas le langage et les symboles et le plus important la relation à divers moments du rapport à la nature, je reste totalement dubitative devant ce qui se passe. Cette manière étonnante de quitter le pouvoir, ces démissions en cascade comme si les responsabilités dans un tel contexte étaient frappées de malédiction. La nuit passée par Evo Morales à même le sol, avec une simple couverture, tout cela renvoie à des comportements dont nous n'avons pas la clé. Il n'y a pas de panique simplement un retrait, la volonté de laisser la violence maître du terrain en faisant des recommandations morales à qui ne semble pourtant pas en état de les entendre. Avec bien sûr la leçon de Fidel, ne les laisse pas accomplir le crime perpétré sur le Che et celui sur Allende.

Mais là c'est non seulement le président que l'on doit sauver de l'assassinat mais tout le collectif.

Morales est arrivé le poing en l'air et sur le tarmak a commencé son récit celui de trois semaines ou des voyous brûlent les bâtiments officiels et les maisons des fonctionnaires, le vandalisme du domicile de sa soeur et la sienne « Ils ont commencé à vandaliser ma maison de Cochabamba. Ils ont tenté de saccager et bruler une autre petite maison, ils n'y sont pas parvenus grâce aux voisins qui l'ont protégée, je suis très reconnaissant de la protetion du peuple«.

Il énumère la liste de actes « effrayants, d'intimidation » qui conduisirent à la démission des alcades appartenant au Mouvement pour le socialisme, son parti. « Ils n'on pas démissionné par lâcheté, mais pour éviter les représailles contre leur famille, contre les enfants, séquestrés, menacés d'être brûlés vif«, Toute une politique de représailles pour servir de leçon.
Oui la même que celle exercée au Chili en 1973, où l'on a vu des tortionnaires torturer l'enfant devant la mère pour qu'elle parle. Celle enseignée par les anciens nazis, par les tortionnaires d'Algérie français infiltrés là par l'empire américain et qui avance la croix à la main? Celle que l'on prétend exercer contre un peuple qui réclame ses droits, mais aussi contre les sous hommes, le racisme.

Et une fois de plus il revient sur la raison essentielle de sa démission (« Qu'il n'y ait pas un bain de sang » et il renouvelle sa gratitude: « Nous sommes très reconnaissant au président du Mexique, à son gouvernement, il m'a sauvé la vie«.

Oui et c'est le courage de ce président de gauche récemment élu, Obrador qui lui aussi risque sa vie mais renoue avec ce que fut toujours le Mexique pour les révolutionnaires traqués du continent: une terre d'Asile, celle où Fidel rencontra le CHe revenu du Guatemala où l'empire avait executé Arbenz coupable d'avoir fait la réforme agraire comme un communiste, lui même fuyant Batista et son régime aux ordre des USA, « notre colonie » disait les Etats-Unis.

Puis il d'adresse au sien - à ceux qui ne l'ont jamais quitté, aux militants et les ex-fonctionnaires de son gouvernement:

Et là c'est à nouveau la leçon de Fidel, celle adressée à Chavez en 2002:

«Tant que j'ai la vie, nous poursuivons la politique, tant que j'ai la vie, la lutte continue et nous sommes certains que les peuples du monde ont tout à fait le droit de se libérer... Je pensais que nous avions mis fin à l'oppression, à la discrimination, à l'humiliation, mais il y a les groupes qui ne respectent pas la vie, et encore moins la patrie. Cela fera partie des luttes idéologiques, programmatiques, culturelles et sociales. "

Être indigène et « anti-impérialiste«, a poursuivi le Bolivien, est « notre pire crime«, car seulement « nous avons mis en place des programmes sociaux pour les plus humbles, recherchant l'égalité, la justice, (parce que je suis convaincu (que) nous ne verrons la paix que lorsque garantira la justice sociale... « ce n'est pas ce coup-ci que, je changerai idéologiquement. »

Il donne une impression de force, la capacité de travail et résistance d'Evo est proverbiale, quelques minutes de sommeil dans l'incofort le plus grand lui suffisent pour repartir, retrouver des ressources, l'indien avec ses énormes charges, son art d'économiser son souffle dans les plus hautes altitudes est là, il lève le poing pour affirmer qu'il prend encore et toujours place dans l'anti-impérialisme, qu'il est rentré dans le communisme aux côtés de tous les exploités. mais ce qu'il apporte est cette puissance des sommets, cette relation avec la nature, une force tellurique.

Cet effacement de tous ceux qui ont la moindre parcelle de pouvoir contraste avec le choix des paysans et des habitants de l'Alto de commencer une lente procession vers la Capitale, d'occuper les rues en refusant de reconnaitre la légitimité de la violence. Comme si nous assistions à une parodie du retour au choix du peuple, alors même que des brutes, des miliciens prétendent faire régner la terreur, mettre à genoux ceux qui l'ont été depuis des siècles.

Il y a là plus qu'une stratégie, une dramaturgie, un langage qu'il nous est difficile de comprendre, mais je sais à quel point il a été difficile à Morales de faire accepter aux peuples indigènes une coopération avec les blancs, d'ailleurs plus ou moins métissés, pas plus qu'ils n'avaient accepté l'inca.

Le mépris séculaire subi et renvoyé en silence, je peux comprendre la force qu'il y a là-dedans, mais quelle signification profonde a ce ballet entre ceux qui partent, se dépouillent de tout ce qui touche au pouvoir, tandis que les plus modestes, mineurs, paysans viennent au contraire occuper le terrain déserté et disent que tout cela est à eux. Bien sûr il y a quelque chose de l'ordre de la lutte des classes, mais d'une manière si inhabituelle que tout cela paraît une répétition de quelque chose pensé de longue date... Le départ des chefs vers un sanctuaire paraît être dans l'ordre des choses et n'engendrer aucun retrait au contraire, c'est la masse qui s'ébranle et qui proclame la guerre civile par le refus de la suspension de la légalité.

Il y a eu l'apprentissage des droits pour un peuple qui en avait été dépouillé, l'essentiel, mais il y a aussi cette volonté de lui laisser la parole pour être le véritable rempart à la violence.

Nous avons une stratégie déjà éprouvée, celle de Cuba mais avec une dimension beaucoup plus indienne, plus andine. Ce qu'on a entrevu récemment en Équateur.

Le fait est celui que j'ai appris des Cubains et qu'ils ont tiré de l'assassinat du Che comme de celle d'Allende et que je résume en fin de mes mémoires :
« ma conviction est que jamais il n'y aura de changement révolutionnaire sans violence et ce non pas parce que les Révolutionnaires auront une stratégie violente et multiplieront les actes de destruction comme des petits bourgeois, mais parce que jamais le capital et la bourgeoisie ne lâcheront le pouvoir sans avoir détruit un maximum de tout ce qui est vivant autour d'eux. Tout l'art du politique consiste désormais à se prémunir de cette violence en sachant qu'elle est inévitable. »

Ne pas soupçonner ce qu'est cette lutte, la mesestimer au point de croire que le communisme est comme un fruit mur à cueuillir que tout est de la faute de ceux qui n'ont pas su faire, toutes ces âneries mondaines de parisiens bobos si à la mode chez une partie des communistesfrançais, se heurte à la réalité de la lutte dans cet immense continent dont le souffle nous transporte.

Ce qui est sûr c'est que cette stratégie a déjà pour effet de mettre à mal l'idée d'une transition démocratique opérée par un peuple excédé par la fraude électorale qu'auraient bien voulu obtenir les Etats-Unis et leurs vassaux de l'OEA.

Cela laisse le temps à l'Amérique latine, comme vient de le faire le président mexicain de manifester sa solidarité non seulement en accueillant Morales et les siens, mais en s'adressant à l'OEA pour qu'ils reconnaissent qu'il y a coup d'Etat, situation totalement illégale malgré l'autoproclamation d'une femme membre du sénat d'être présidente par intérim et l'Etat de siège de l'armée.

Cela laisse le temps à la solidarité internationale de se manifester, l'important est d'empêcher que l'état de siège favorise le massacre contre lequel les Boliviens tentent de s'organiser. Mais nos députés doivent intervenir pour exiger de Macron qu'il dénonce le coup d'Etat et les risques que cet état de violence fait peser sur le peuple bolivien.

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